Chapitre 28
Le Légat avait le sentiment diffus que Troghöl, de manière habile, retardait l’avancée de la colonne. Peut-être dans le but de les épuiser, lui et ses Ikshites. Le Prince conservait ses manières onctueuses à l’égard du Légat mais quelque chose clochait.
Un autre fait le rendait soupçonneux. L’avant-veille, la troupe des Ténébreux s’était arrêtée en vue d’un village de huttes, posé dans un creux ensablé en contrebas de la piste. Troghöl avait détaché aussitôt dix de ses Sang-Coureurs pour aller fouiller les lieux. Au bout d’une dizaine de minutes, ceux-ci revinrent faire leur rapport, annonçant que le camp était désert, et que rien d’intéressant ne se trouvait là-bas.
— J’aimerais bien y aller, pourtant, fit savoir Leprín. Ne serait-ce que pour découvrir l’architecture des vôtres.
— Nous allons perdre du temps, riposta le prince. Et puis ce ne sont pas nos habitations mais celles des natifs de ce monde, un peuple aujourd’hui disparu. Nous reviendrons plus tard si vous voulez. Une fois la chasse terminée. Et si vous voulez voir un village, je vous en montrerai un, bientôt, celui où je réside. Je vous y recevrai avec grand plaisir.
Cette réponse ne convint pas au Légat, même s’il n’insista pas, soucieux de ne rien montrer qui mît la puce à l’oreille au prince. Perdre du temps, jusqu’alors, ne semblait pas déranger le N’Dalloch des Arikaris… Néanmoins, un quart d’heure de marche plus tard, tandis que les Ténébreux et leurs alliés poursuivaient leur route, Leprín prit l’un de ses pisteurs à part pour lui ordonner de quitter subrepticement la troupe, dès la halte du soir, et d’aller visiter ce village soi-disant vide.
Le Légat était coincé sur Valkyr, obligé de suivre ses hôtes, chef officiel de cette mission de traque, officieusement aux basques de Troghöl. Ni lui ni ses guerriers ikshites ne connaissaient suffisamment ce Plan pour espérer avoir une chance de rattraper ce maudit Cellendhyll de Cortavar sans l’aide de leurs alliés. Ils étaient obligés de suivre le train, rien d’autre, chaque jour un peu plus oppressés par cette jungle hostile, chaque jour un peu plus agacés du comportement moqueur des Arikaris à leur encontre. La tension couvait entre les deux groupes. Troghöl paraissait s’en moquer. Leprín, lui, trouvait la chose de plus en plus inquiétante.
Mais le Ténébreux ne pouvait pas pour autant rentrer les mains vides à Mhalemort, affronter le Père de la Douleur, sans preuves concrètes de la traîtrise des Sang-Pitié, sans autre excuse qu’un ressenti diffus.
Ses pensées se portèrent ensuite vers l’Adhan. Celui qu’il pourchassait depuis toujours. L’homme qui lui avait tranché le nez à Véronèse.
Que ferait-il subir au guerrier du Chaos lorsqu’il serait entre ses mains ? Avant de le tuer ?
Tout. Car la liste était impressionnante. Toutefois il faudrait également compter avec son maître le Père de la Douleur. Ce dernier avait réclamé sa tête dans un moment d’emportement, mais Leprín était certain que somme toute son maître préférerait le récupérer vivant. Il avait sans nul doute ses propres projets concernant l’Adhan. Leprín ne l’avait jamais vu réagir ainsi envers un ennemi. Il y avait de quoi s’interroger : que représentait Cellendhyll de Cortavar pour le Roi-Sorcier, au juste ?