Chapitre 33
En ce début de soirée semblable aux autres, Cellendhyll quitta le bivouac pour monter dans les hautes branches d’un arbre. Il sortit son appareil de détection nodale, le mit en marche. Sans attendre, l’une des gemmes s’alluma d’un feu magenta, tout en pointant vers le nord-ouest. L’Ange contint sa jubilation et s’empressa d’appuyer sur la pierre. L’artefact se mit à vrombir, clignota, avant de reprendre sa teinte première. Le cœur nodal venait d’être mémorisé. Il pourrait ainsi se fier à cette sorte de boussole améliorée pour le retrouver sans la moindre erreur possible.
Fébrile, il rangea son instrument et retourna au camp. Les Spectres étaient réveillés, en train d’effectuer les préparatifs pour la journée du lendemain.
Cellendhyll les contempla. Quelque chose d’indéfinissable étreignait ses deux cœurs.
— J’ai trouvé le cœur nodal, annonça-t-il. Nous avons le moyen de quitter ce Plan.
Les visages restèrent quelques secondes abasourdis avant de s’éclairer.
— On n’a jamais douté de vous, commandant, sourit doucement Melfarak.
— Pour le commandant, hip, hip… tonna Bodvar.
— Suffit Bodvar ! se hérissa l’intéressé. Nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. Je te promets qu’une fois rentrés, je t’offrirai une fête que tu ne risques pas d’oublier. Mais tant que nous sommes sur Valkyr, on reste concentrés, c’est clair ?
— Oui commandant. Désolé.
— Allez, c’est la meilleure des nouvelles depuis que nous sommes arrivés sur ce maudit Plan. Raison de plus pour rester en vie.
Maurice marmonnait dans son coin, tout en secouant vigoureusement la tête. Il avait l’air de plus en plus fou et les Spectres l’évitaient autant que possible.
Ils passèrent la soirée le sourire aux lèvres.
Plus tard, une fois le bivouac endormi – à l’exception de Cellendhyll et d’Élias, les sentinelles du moment –, Faith retrouva Dreylen à l’écart du camp. Estrée l’avait une nouvelle fois agacée en se jetant presque au cou de Cellendhyll, prétextant qu’elle était si heureuse d’avoir enfin le moyen de quitter Valkyr, ce qui avait réveillé la jalousie de la Spectre.
Sans rien dire, Faith s’abandonna à l’étreinte de Dreylen. Elle le savait à présent, ce n’est pas en couchant avec celui-ci qu’elle oublierait l’Ange du Chaos. Ses étreintes avec le guerrier aux cheveux décolorés représentaient juste un moyen de tenir Cellendhyll à l’écart du moment présent. Rien d’autre. C’était toujours mieux que rien, pour l’instant, jugeait-elle.
Leur échange, cette fois pourtant, la laissa sur sa faim. Elle se rhabillait déjà. Toujours nu, il vint auprès d’elle pour arranger le désordre de sa chevelure. Elle arrêta son geste d’un revers de la main.
— Non, dit-elle.
— Quoi ? Après ce que nous venons de faire, je ne peux pas…
— Non… Nous avons baisé, d’accord, et c’était bon. Mais c’est tout ce que nous partageons en intimité. J’ai été très nette là-dessus, il me semble.
— Pas de tendresse, alors ? sourit le guerrier.
— Pas avec toi… Du reste, ce n’est pas ce que tu recherches.
Il poussa un léger ricanement.
— C’est vrai. Je te testais… Juste pour voir.
— Et bien, tu as vu, restons en là.
Sur ces mots elle le quitta à grands pas.
Les deux amants n’étaient pas les seuls, ce soir-là.
— Je ne t’aime pas, Bodvar. Que ce soit clair entre nous. Mais pour cette nuit, je me donne à toi et de bon cœur.
— Pourquoi ?
— Parce que je sais ce que tu ressens pour moi, me crois-tu aveugle ? Cela me touche, même si je ne peux te rendre la même chose en retour. Tu es aussi cher pour moi qu’un frère, Bodvar, je tiens à ce que tu le saches. J’ai envie de partager un moment avec toi, un moment cher, unique, et coucher ensemble, pour peu que cela se passe convenablement, nous fera grand bien, à tous les deux. Je te préviens toutefois, dès demain nous reprendrons nos rapports normaux, ne te fais pas d’illusion.
Le colosse lui adressa un sourire malicieux :
— Je me pose en lourdaud mais je ne suis pas stupide. Et ce serait particulièrement stupide de ma part de refuser ce que tu me proposes. Ne t’inquiète pas, j’ai compris. Et je ne te parlerai pas de mes sentiments, je ne veux pas t’embarrasser avec ça et surtout pas gâcher ce que tu nous offres. J’ai bon espoir plus tard, dans des temps plus calmes, de te faire changer d’avis. Mais parlons d’autre chose…
— Parlons ? Je ne suis pas venue pour ça, sourit-elle.
Elle se dévêtit avant de se laisser tomber sur lui.
Ils se tenaient dans l’ombre d’un arbre à l’épais feuillage rosé, à dix pas du camp. Elle l’avait entraîné sans se cacher. Se moquant bien qu’on les découvre ou pas.
Lovée contre Bodvar, savourant la puissante musculature du guerrier dont elle sentait le membre durcir, elle murmura :
— Sois doux, s’il te plaît…
Il fut doux, il fut dur. Et, quelque temps plus tard, il fut en elle.
C’était doux, c’était bon. Elle sentait le plaisir aller et venir en elle, vagues irradiantes, chevauchée des sens, mêlée des corps. Et la jouissance qui s’annonçait tel un raz de marée, oubli paradisiaque, instant sublime, déchaînement ineffable.
Elle jouit longuement, bien avant lui, plantant ses ongles dans sa chair pour contenir les cris qui menaçaient de l’emporter.
Longtemps après qu’elle se fut endormie, Bodvar était toujours éveillé, appuyé sur un coude en train de la contempler. Ses traits forts et grossiers se paraient d’une beauté sereine.