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Le gardien entre dans la cellule et dit : « Hans, avancez ! »

Les deux hommes s’avancent.

Le gardien dit : « Qui de vous deux est Hans ? »

Les deux prisonniers répondent : « Moi. »

Le gardien les examine. Il voit un homme blond, grand et mince avec une moustache noire et le teint clair debout à côté d’un homme brun, petit et rondelet avec une moustache blonde et le teint mat. Il les fixe avec méfiance quelques secondes, puis désigne le grand comme étant l’Allemand et ordonne à l’autre, au Français, de le suivre.

Les prisonniers, préparés à cela, se précipitent derrière le gardien et échangent leurs faux toupets.

Le gardien les examine, sourit, sans crainte, et vérifie sa liste d’identification des prisonniers. Il décide que le grand brun moustachu et maigre à la peau claire est l’Allemand.

Les prisonniers confèrent à voix basse. Ils se démènent derrière le dos du gardien. Hans s’agenouille et Pierre est sur la pointe des pieds. Le gardien, qui est très stupide, se retourne lentement pour les regarder.

Cette fois, ce n’est pas si facile. Il voit deux hommes de taille identique. L’un, rondelet, a les cheveux blonds, la moustache blonde, la peau mate. L’autre, mince, a les cheveux noirs, la moustache noire, la peau claire. Tous deux ont les yeux bleus, pure coïncidence.

Après réflexion, le gardien décide que le premier, le rondelet, blond à moustache blonde et à peau mate, est le Français.

Les deux prisonniers se glissent à nouveau derrière son dos et tiennent un bref conciliabule. (Le gardien a une mauvaise vue, de l’hydropisie et les pieds plats ; ses réactions sont faussées par la scarlatine contractée dans sa jeunesse. Il se retourne lentement, clignant des yeux.)

Les prisonniers échangent encore une fois leurs moustaches. L’homme mat se poudre la peau de poussière, tandis que l’homme au teint pâle se noircit le visage de suie. Le rondelet s’étire encore davantage sur la pointe des pieds et le mince se tasse un peu plus sur ses genoux.

Le gardien voit un homme rondelet de taille légèrement au-dessus de la moyenne, avec une moustache noire, des cheveux blonds et la peau pâle. À sa gauche, se trouve son compagnon mat, de taille légèrement inférieure à la moyenne, avec une moustache blonde et des cheveux noirs. Le gardien les dévisage, intensément, fronce les sourcils, se pince les lèvres, sort ses instructions et les lit à nouveau. Puis il désigne l’homme au teint pâle de taille légèrement au-dessus de la moyenne avec une moustache noire comme étant le Français.

Les prisonniers détalent et le plus grand resserre sa ceinture autour de sa taille alors que le petit desserre la sienne et se bourre le pantalon de chiffons. Ils décident d’échanger une fois encore leurs cheveux et moustaches, en signe de porte-bonheur.

Le gardien remarque tout de suite que le rapport rondeur-minceur a perdu de son importance. Il décide d’apparier les caractéristiques blonds-bruns, mais il s’aperçoit alors que le blond a une moustache noire, tandis que le brun a une moustache blonde. Le blond est de taille légèrement inférieure à la moyenne, et sa peau peut être considérée comme mate. L’homme à sa droite a les cheveux noirs, la moustache blonde (légèrement de guingois), une peau pâlotte, et il est de taille légèrement au-dessus de la moyenne.

Le gardien ne trouve rien dans les règlements sur cette question. Excédé, il tire de sa poche une vieille édition des Procédures d’identification du prisonnier, et cherche quelque chose de pertinent. Finalement, il tombe sur le fameux Règlement 12CC de 1878 : Le prisonnier français se tiendra toujours à gauche, le prisonnier allemand à droite.

« Vous, » dit-il, désignant le prisonnier de gauche. « Venez avec moi, « petit Français ». Quant à vous, « Kraut », vous restez là, dans la cellule. »

 

Le temps meurtrier
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