24

 

 

Il laissa derrière lui les maisons d’ouvriers délabrées et les immeubles vétustés, les bars et les boîtes de nuit, les mains dans les poches, s’efforçant de réfléchir. Il devait fuir New York.

Jones lui avait dit que tous les transports étaient surveillés.

Quel espoir lui restait-il ? Il était désarmé et totalement démuni.

Eh bien, peut-être pouvait-il encore changer la situation. Revolver en main, les choses seraient un peu différentes. Et même totalement différentes. Ainsi que Hull l’avait souligné, un chasseur avait légalement le droit d’abattre un Gibier, mais, si un Gibier abattait un chasseur, il était arrêté et sévèrement pénalisé.

Donc, s’il abattait un chasseur, la police serait en droit de l’arrêter ! Ce qui compliquerait drôlement l’histoire tout en le mettant momentanément hors de danger.

Il marcha jusqu’à ce qu’il tombe sur une boutique d’armes. La vitrine étincelait de panoplies d’armes à rayons et à projectiles, de fusils de chasse, de couteaux et de machettes. Blaine entra.

« Je voudrais un revolver, » dit-il au moustachu derrière le comptoir.

— « Un revolver ? Ah bon ! Et quelle sorte de revolver ? »

— « Avez-vous des rayonneurs ? »

L’homme acquiesça et se dirigea vers un tiroir. Il en retira un rayonneur de poing à finition cuivre.

— « Offre spéciale. Un authentique rayon-aiguille Sailes-Byrn pour le gros gibier vénusien. À cinq cents mètres, ça vous fauche tout ce qui passe, marche, rampe ou vole. Sur le côté, vous avez le sélecteur d’ouverture. Vous pouvez l’ouvrir pour tirer à bout portant ou le réduire à une tête d’épingle pour le tir à distance.

— « Bien, très bien, » dit Blaine en sortant une liasse de sa poche.

— « Ce bouton, » poursuivit l’homme, « commande la portée. Réglé de cette façon, vous aurez un recul standard fractionné. Un déclic prolonge la durée à un quart de seconde. En automatique, ça tranche comme une faux. Il est chargé pour durer plus de quatre heures et, dans celui-là, vous en avez encore pour trois heures. En plus, vous pouvez vous servir de cette arme pour bricoler chez vous. Avec une monture spéciale et une plaque isolante pour réduire la puissance, vous pouvez découper le plastique mieux qu’avec une scie. Un autre modèle de plaque isolante vous en fera une lampe à souder. Vous pouvez vous procurer ces plaques…»

— « Je le prends, » coupa Blaine.

Le marchand hocha la tête. « Puis-je voir votre permis, s’il vous plaît ? »

Blaine sortit son permis. Le vendeur acquiesça et, avec une lenteur affolante, se mit à remplir un reçu pour l’arme. Il dit : « Ça fera soixante-quinze dollars. »

Tandis que Blaine posait l’argent sur le comptoir, l’homme se retourna pour consulter une liste sur le mur derrière lui.

« Je ne peux pas vous vendre cette arme. »

— « Pourquoi ? » demanda Blaine. « Vous avez bien vu mon permis de chasse. »

— « Mais vous ne m’aviez pas dit que vous étiez Gibier enregistré. Vous savez bien qu’un Gibier n’est pas autorisé au port d’armes. Votre nom nous a été électrocommuniqué il y a une demi-heure. Vous ne pourrez légalement trouver aucune arme à New York, Blaine. »

Il repoussa les billets. Blaine essaya de saisir le rayonneur-aiguille. L’homme fut plus rapide et le braqua sur lui.

— « Je devrais leur épargner le boulot, » dit-il. « Après tout, vous avez votre sacrée assurance-Au-delà. Que voulez-vous de plus ? »

Blaine ne fit pas un geste. Le marchand abaissa le canon de l’arme.

— « Mais ce n’est pas mon travail, » dit-il. « Les chasseurs vous auront bien assez tôt. »

Il avança la main sous le comptoir et appuya sur un bouton. Blaine tourna les talons et s’élança au-dehors. La nuit tombait. Il était repéré à présent. Les chasseurs allaient le cerner avant peu.

Il crut entendre quelqu’un appeler son nom. Il se fraya un chemin dans la foule, sans oser regarder en arrière, essayant de réfléchir. Il était inconcevable qu’il eût franchi cent cinquante-deux ans pour se faire descendre devant un million de badauds ! Ce n’était pas juste !

Il s’aperçut alors qu’un homme le talonnait en ricanant. C’était Thésée, l’arme au poing, prêt à tirer, guettant le moment favorable.

Il redoubla d’allure, zigzagua à travers la foule, puis s’engouffra dans une rue latérale, qu’il dévala pour s’arrêter abruptement.

Au fond de la rue, un homme était posté, silhouette en contre-jour. Il avait une main sur les hanches, l’autre levée en position de tir. Blaine hésita et jeta un coup d’œil en arrière vers Thésée.

Le petit chasseur fit feu, éraflant une des manches de Blaine, qui s’élança vers une porte ouverte qu’on lui referma violemment en pleine figure. Le second coup brûla son manteau.

 

Dans une clarté de rêve, il vit s’avancer les chasseurs. Thésée était sur ses talons, l’autre chasseur plus loin en arrière. Ils lui bloquaient la sortie. Blaine, avec une lourdeur de désespéré, courut vers l’échéance la plus lointaine, sautant les bouches d’égout et les grilles de métro, passant devant les magasins fermés et les portes verrouillées. Droit sur le second chasseur, qui hurla : « Recule, Thésée ! Je le tiens ! »

— « Vas-y, Hendrick ! » hurla à son tour Thésée, en s’aplatissant contre un mur.

À vingt mètres de distance, le tueur visa et fit feu. Blaine s’aplatit au sol, et le rayon le manqua. Il roula sur lui-même en essayant de gagner l’abri précaire d’un porche. Le rayon le traquait, mordant dans le béton, transformant les flaques d’eau en vapeur.

Soudain, une grille de métro s’ouvrit sous lui.

En tombant, il comprit que la grille avait dû céder sous la morsure du rayon. Destin aveugle ! Mais il lui fallait retomber sur ses pieds, rester conscient, se traîner à l’écart de l’ouverture, autrement son corps serait exposé en pleine ouverture, cible facile pour des chasseurs postés au bord.

Il tenta une torsion en pleine chute, mais trop tard. Il atterrit lourdement sur ses épaules, et sa tête résonna contre un poteau de fer. Mais son désir de demeurer conscient était si intense qu’il se remit debout.

Il lui fallait se traîner à l’abri, au fond du couloir de métro, assez loin pour qu’ils ne puissent pas le retrouver.

Mais le premier pas fut de trop. Ses jambes fléchirent sous lui. Il tomba face contre terre, se retourna et fixa du regard l’ouverture béante au-dessus de lui.

 

 

 

 

 

 

Le temps meurtrier
titlepage.xhtml
content0001.xhtml
content0002.xhtml
content0003.xhtml
content0004.xhtml
content0005.xhtml
content0006.xhtml
content0007.xhtml
content0008.xhtml
content0009.xhtml
content0010.xhtml
content0011.xhtml
content0012.xhtml
content0013.xhtml
content0014.xhtml
content0015.xhtml
content0016.xhtml
content0017.xhtml
content0018.xhtml
content0019.xhtml
content0020.xhtml
content0021.xhtml
content0022.xhtml
content0023.xhtml
content0024.xhtml
content0025.xhtml
content0026.xhtml
content0027.xhtml
content0028.xhtml
content0029.xhtml
content0030.xhtml
content0031.xhtml
content0032.xhtml
content0033.xhtml
content0034.xhtml
content0035.xhtml
content0036.xhtml
content0037.xhtml
content0038.xhtml
content0039.xhtml
content0040.xhtml
content0041.xhtml
content0042.xhtml
content0043.xhtml
content0044.xhtml
content0045.xhtml
content0046.xhtml
content0047.xhtml
content0048.xhtml
content0049.xhtml
content0050.xhtml
content0051.xhtml
content0052.xhtml
content0053.xhtml
content0054.xhtml
content0055.xhtml
content0056.xhtml
content0057.xhtml
content0058.xhtml
content0059.xhtml
content0060.xhtml
content0061.xhtml
content0062.xhtml
content0063.xhtml
content0064.xhtml
content0065.xhtml
content0066.xhtml
content0067.xhtml
content0068.xhtml
content0069.xhtml
content0070.xhtml
content0071.xhtml
content0072.xhtml
content0073.xhtml
content0074.xhtml
content0075.xhtml
content0076.xhtml
content0077.xhtml
content0078.xhtml
content0079.xhtml
content0080.xhtml
content0081.xhtml
content0082.xhtml
content0083.xhtml
content0084.xhtml
content0085.xhtml
content0086.xhtml
content0087.xhtml
content0088.xhtml
content0089.xhtml
content0090.xhtml
content0091.xhtml
content0092.xhtml
content0093.xhtml