25
Quand il revint à lui, Blaine décida qu’il n’aimait pas l’Au-delà. C’était sombre, pesant, et ça sentait l’huile et le limon. En plus, il avait mal à la tête et son dos était endolori comme si on l’avait fracturé en trois endroits différents.
Un esprit peut-il être endolori ? Blaine bougea et découvrit qu’il possédait toujours un corps. En fait, il se sentait entièrement corps. Apparemment, il ne se trouvait pas dans l’Au-delà.
« Reposez-vous un moment, » dit une voix.
— « Qui est là ? » demanda Blaine à l’impénétrable obscurité.
— « Smith. »
— « Oh ! Vous ! » Blaine se redressa et se tint la tête, lancinante. « Comment avez-vous pu me tirer de là, Smith ? »
— « J’ai failli ne pas pouvoir, » lui dit le zombi.
» Dès que vous avez été déclaré Gibier, je suis allé vous chercher. Certains de mes amis d’ici se sont portés volontaires pour m’aider, mais vous vous déplaciez trop vite. Je vous ai appelé quand vous êtes sorti de la boutique. »
— « J’ai cru entendre une voix, en effet, » dit Blaine.
— « Si vous vous étiez retourné, nous aurions pu vous conduire ici sur-le-champ. Mais vous ne l’avez pas fait, alors nous vous avons suivi. Plusieurs fois, nous avons ouvert des grilles de métro et des plaques de trou d’homme pour vous, mais c’était bien difficile de calculer juste. Nous arrivions un peu trop tard à chaque fois. »
— « Mais pas la dernière fois, » dit Blaine.
— « Seulement parce que j’ai ouvert une grille juste en dessous de vous. Je suis désolé que vous vous soyez cogné la tête. »
— « Où suis-je ? »
— « Je vous ai retiré de la ligne principale, » dit Smith ! « Vous êtes dans un passage secondaire. Les chasseurs ne peuvent pas vous trouver ici. »
Encore une fois, Blaine ne sut trouver les mots pour remercier Smith. Et, encore une fois, Smith ne voulait pas de remerciements.
— « Je ne le fais pas pour vous, Blaine. C’est pour moi. J’ai besoin de vous. »
— « Savez-vous pourquoi maintenant ? »
— « Pas encore, » dit Smith.
Les yeux de Blaine, s’accoutumant à la pénombre, pouvaient distinguer le contour de la tête et des épaules du zombi.
— « Et maintenant ? » questionna-t-il.
— « Maintenant, vous êtes en sûreté. Nous pouvons vous conduire sous terre jusqu’au New Jersey. Une fois là, il vous faudra vous débrouiller tout seul. Mais je ne pense pas que vous aurez alors beaucoup de difficultés. »
— « Qu’attendons-nous à présent ? »
— « Mr. Kean. J’ai besoin de son autorisation pour vous conduire à travers les passages. »
Ils attendirent. Au bout de plusieurs minutes, Blaine put distinguer le mince profil de Mr. Kean, appuyé au bras du grand Noir, qui s’avançait vers lui.
— « Je suis désolé de vos ennuis, » dit Kean, s’asseyant avec une extrême lassitude à côté de Blaine. « C’est bien dommage. »
— « Mister Kean, » dit Smith, « si vous voulez bien m’autoriser à le conduire par l’ancien Holland Tunnel jusqu’au New Jersey…»
— « Je suis vraiment désolé, » dit Kean, « mais je ne puis autoriser cela. » Blaine regarda autour de lui et vit qu’il était entouré par une douzaine de zombis loqueteux.
— « J’ai parlé aux chasseurs, » poursuivit Kean, « et je leur ai donné ma parole que vous seriez dans les rues, là-haut, avant une demi-heure. Il vous faut partir maintenant, Blaine. »
— « Mais pourquoi ? »
— « Tout simplement parce que nous ne pouvons pas nous permettre de vous aider. J’ai pris un risque inhabituel la première fois, en vous autorisant à profaner la tombe de Reilly. Mais je l’ai fait pour Smith, parce que son destin semble lié en quelque sorte au vôtre, et Smith est l’un des nôtres. Mais ceci dépasse toute mesure. Vous savez qu’on tolère tout juste que nous vivions ici sous terre. »
— « Je le sais, » dit Blaine.
— « Smith aurait dû tenir compte des conséquences, » poursuivit Kean. « Quand il a ouvert cette grille pour vous, les chasseurs ont tous suivi. Ils ne vous ont pas trouvé mais ils savaient que vous étiez ici en bas, quelque part. Alors ils ont cherché, Blaine ; ils ont cherché ! Ils sont venus par dizaines ! Ils ont fouillé nos passages, bousculé nos gens ; ils ont hurlé ! Ils nous ont menacés ! Des journalistes sont venus aussi, et même quelques badauds. Certains des chasseurs plus jeunes se sont énervés et ont commencé à tirer sur les zombis. »
— « Je suis désolé de tout cela, » dit Blaine.
— « Ce n’était pas votre faute. Mais Smith n’a pas réfléchi. Ce monde souterrain n’est pas un royaume souverain. Nous n’existons que par tolérance… qui peut nous être ôtée à tout moment. Alors, j’ai parlé aux chasseurs et aux journalistes. »
— « Que leur avez-vous dit ? » demanda Blaine.
— « Je leur ai dit qu’un grille défectueuse avait cédé sous votre poids. Que vous étiez tombé en bas par accident et que vous aviez réussi à trouver une cachette. Je leur ai confirmé qu’aucun zombi n’était impliqué dans votre fuite, que nous vous retrouverions et vous ramènerions à la surface avant une demi-heure. Ils ont accepté ma parole et sont partis. J’aurais aimé agir autrement. »
— « Je ne vous blâme pas, » dit Blaine, se hissant lentement sur ses pieds.
— « Je ne leur ai pas précisé l’endroit où vous émergeriez, » dit Kean. « Vous aurez au moins une meilleur chance qu’avant. J’aurais aimé pouvoir faire mieux, mais je ne puis permettre que le monde souterrain devienne un terrain de chasse. Il nous faut rester neutres, n’ennuyer personne, n’effrayer personne. C’est à cette condition que nous pourrons survivre jusqu’à ce qu’advienne un âge de raison. »
— « Où vais-je sortir ? »
— « J’ai choisi une sortie de métro inhabituelle à la hauteur de la Soixante-Dix-Neuvième Rue Ouest, » dit Kean. Vous aurez certainement une bonne chance à partir de là. Et j’ai fait une chose de plus que je n’aurais probablement pas dû faire. J’ai contacté un de vos amis, qui vous attendra à la sortie. Mais je vous en prie, n’en soufflez mot à personne. Dépêchons-nous maintenant ! »
Mr. Kean prit la tête de la procession à travers le réseau des boyaux souterrains, et Blaine suivit. Son mal de tête se dissipait progressivement. Bientôt, ils firent halte devant un escalier en béton.
« Voici la sortie, » dit Kean. « Bonne chance, Blaine. »
— « Merci à vous aussi, Smith. »
— « J’ai fait le maximum pour vous, » dit Smith. « Si vous mourrez, je mourrai probablement aussi. Si vous survivez, je continuerai d’essayer de me souvenir. »
— « Et si vous vous souvenez ? »
— « Je viendrai alors vous rendre visite, » dit Smith.
Blaine hocha la tête et monta l’escalier.
Il faisait tout à fait nuit dehors et la Soixante-Dix-Neuvième Rue paraissait déserte. Près de la sortie, immobile, Blaine sondait l’obscurité et hésitait.
« Blaine ! »
Quelqu’un l’appelait. Mais, contrairement à son attente, ce n’était pas Marie. C’était la voix d’un homme, quelqu’un qu’il connaissait – Sammy Jones, peut-être, ou Thésée.
Il retourna rapidement vers la sortie de métro. Elle était fermée, verrouillée.