28

 

 

Il n’y eut aucune sensation d’éveil, aucun sentiment de transition. Abruptement, comme une diapositive brusquement projetée sur un écran blanc, il fut conscient. Comme une marionnette soudain secouée violemment, il agissait, il se déplaçait.

Il n’était pas complètement Thomas Blaine. Il était Edgar Dyersen aussi. Ou bien il était Blaine à l’intérieur de Dyersen, une partie du corps de Dyersen, un segment de l’esprit de Dyersen, dévisageant le monde à travers les yeux chassieux de Dyersen, le filtrant par les pensées de Dyersen, conscient de tous les fragments indistincts des souvenirs, des désirs, des craintes et des espoirs de Dyersen. Et, pourtant, il était toujours Blaine.

Dyersen-Blaine quitta le champ labouré et s’appuya contre la clôture de bois. Il était fermier, un fermier de la vieille école du South Jersey, avec un minimum de machines, dont il se méfiait de toute façon. Il n’avait pas loin de soixante-dix ans et il était en bonne santé. Il y avait bien encore un peu d’arthrite dans ses articulations que le jeune médecin du village avait presque entièrement guéries, et il avait des ennuis, parfois, avec son dos, quand il allait pleuvoir. Mais il se considérait en bonne santé, en meilleure santé d’ailleurs que la plupart, apte pour une vingtaine d’années encore.

Dyersen-Blaine se mit en marche vers sa demeure. Sa chemise de travail grise était trempée d’une acre sueur, tout comme son informe salopette.

Il entendit un chien aboyer au loin et vit une forme brune et jaune, brouillée, galoper vers lui. (Des lunettes ? Non, merci. Je m’en sors très bien comme ça).

« Hé, Champ ! Hé ! Ici, Champ ! »

Le chien fit un cercle autour de lui, puis se mit à trotter à ses côtés. Il tenait quelque chose de gris dans ses mâchoires, un rat ou peut-être un morceau de viande. Dyersen-Blaine ne pouvait vraiment pas savoir.

Il se baissa pour caresser la tête de Champ…

 

Cette fois encore, il n’y eut aucun sens de transition ou de passage du temps. Une autre diapositive était tout simplement projetée sur l’écran et une nouvelle marionnette s’animait.

Maintenant, il était Thompson-Blaine, dix-neuf ans. Allongé sur le dos, il somnolait sur les rudes planches d’une yole, le taillevent et le gouvernail mollement maintenus par sa main basanée. A tribord, on pouvait apercevoir le rivage bas de la côte est et, à bâbord, le port de Baltimore. L’embarcation avançait aisément sous la légère brise d’été et l’eau glougloutait gaiement à la proue.

Thompson-Blaine se trémoussa sur les planches, jusqu’à ce qu’il ait réussi à caler ses pieds contre le mât. Il était rentré depuis une semaine, après deux ans d’études et de travail sur Mars. Une expérience très intéressante, surtout sur le plan archéologique et spéléologique. La vie des Fermes des sables avait été monotone par moments, mais il aimait piloter les moissonneuses.

Il était revenu sur Terre pour suivre un cours de formation accélérée de deux ans. Ensuite, il devrait regagner Mars en qualité de gérant d’exploitation agricole. Les termes de sa bourse le stipulaient. Mais nul ne pourrait l’obliger à repartir s’il ne le voulait pas.

Il ne savait pas ce qu’il déciderait.

Les filles sur Mars étaient tellement… dévouées. Rudes, capables, toujours un peu autoritaires. Quand il repartirait – s’il repartait, il amènerait sa propre femme, il n’en chercherait pas une là-bas. Bien sûr, il y avait eu Marcia. Mais tout son kibboutz avait déménagé du côté du Col Polaire Sud et elle n’avait pas répondu à ses trois dernières lettres. Peut-être qu’après tout ça n’avait pas été si sérieux que ça.

« Hé ! Sandy ! »

Thompson-Blaine leva la tête et vit Eddie Duelitle dans son petit voilier qui agitait la main. Eddie n’avait que dix-sept ans, il n’avait jamais quitté la Terre, et il voulait être capitaine de vaisseau spatial. Rien que ça !

Le soleil plongeait vers l’horizon et Thompson-Blaine en était heureux. Il avait rendez-vous ce soir avec Jennifer Rollins. Ils allaient danser au Starsling à Baltimore, et son père lui prêtait même l’héli familial ! Jennifer avait bien grandi en l’espace de deux ans ! Et elle avait une façon de vous regarder !… Qui sait ce qui se passerait en fin de soirée, sur le siège arrière de l’héli. Rien, peut-être. Ou bien tout…

Thompson-Blaine s’assit et donna un grand coup de barre. L’embarcation revint au lof et vira de bord. Il était temps de rentrer au bassin et d’aller dîner, puis…

 

Le fouet en peau de serpent lui cingla les épaules.

« Allez ! Au boulot, toi ! »

Piggot-Blaine redoubla d’effort, souleva la lourde pioche haut dans les airs et l’abattit sur la route poussiéreuse. Le garde se tenait à proximité, un fusil sous le bras gauche, le fouet dans la main droite, la mèche traînant dans la poussière. Piggot-Blaine connaissait chaque trait, chaque pore du visage stupide du garde, chaque modification de la moue de sa petite bouche serrée, du strabisme de ses yeux éteints.

Attends un peu, viande à charognard ! lança-t-il silencieusement au garde. Ton heure viendra ! Attends un peu !

Le garde s’éloigna, redescendant lentement la file des prisonniers qui suaient sous le soleil blanc du Mississippi. Piggot-Blaine essaya de cracher, mais ne put produire assez de salive. Vous parlez de votre beau monde moderne ? De vos grands vaisseaux spatiaux, de vos fermes automatiques, de votre belle vie du XXIe siècle. Vous croyez vraiment que c’est comme ça ? Eh bien, demandez-leur alors comment on construit les routes dans le Comté de Quilleg, Mississippi Nord. Ils vous le diront pas et vous avez intérêt à voir par vous-même. C’est ça le genre de monde où l’on vit !

Arnie, qui travaillait devant lui, murmura : « T’es prêt, Otis ? T’es prêt à le faire ? »

« Sûr que je suis prêt, » murmura Piggot-Blaine, ses gros doigts resserrant leur étreinte sur le manche en plastique de la pioche. « Je suis plus que prêt, Arnie. »

« Dans un instant, alors. Surveille Jeff. »

La poitrine velue de Piggot-Blaine était toute gonflée d’espoir. Il écarta une mèche de cheveux bruns de ses yeux et regarda vers Jeff, cinq hommes plus haut dans la chaîne. Il attendit, ses épaules endolories par les coups de soleil. Les chaînes avaient laissé des cicatrices calleuses sur ses chevilles et de vieilles marques de fouets se cicatrisaient lentement sur son dos. Une soif rageuse lui brûlait les tripes. Une soif que nulle eau n’assouvirait jamais, une soif démente qui l’avait conduit ici après qu’il eût détruit l’unique saloon de Gainesville et tué ce vieil Indien pourri.

La main de Jeff bougea. La file de prisonniers enchaînés se lança en avant. Piggot-Blaine bondit vers le garde, la pioche levée au-dessus de sa tête. L’homme lâcha son fouet et s’efforça maladroitement de pointer son fusil.

« Pourriture ! » hurla Piggot-Blaine, abattant la pioche en plein sur le front du garde.

« Les clefs ! »

Piggot-Blaine arracha les clefs de la ceinture du garde mort. Puis il entendit un coup de fusil, un cri aigu. Anxieusement, il leva la tête…

 

Ramirez-Blaine pilotait son héli au-dessus des plaines monotones du Texas, en direction d’El Paso. C’était un jeune homme rigoureux qui apportait le plus grand sérieux à son travail, aussi s’efforçait-il de pousser le vétusté héli au maximum de façon à pouvoir atteindre El Paso avant que Johnson ferme sa quincaillerie.

Il guidait la vieille guimbarde récalcitrante avec précaution, ne se laissant que rarement distraire par une pensée, n’ayant en tête que l’altitude et les lectures de boussole. Il y avait un bal à Guanajuato la semaine prochaine. À Ciudad Juarez, le prix des peaux…

La plaine, sous ses pieds, était tachetée de vert et de jaune. Il jeta un coup d’œil à sa montre, puis à l’indicateur de vitesse.

Oui, songea Ramirez-Blaine, il atteindrait effectivement El Paso avant la fermeture du magasin ! Peut-être même aurait-il même le temps pour une petite…

 

Tyler-Blaine s’essuya la bouche sur sa manche et épongea le reste de la sauce graisseuse avec un bout de pain de maïs. Il rota, repoussa la chaise de la table de la cuisine et se leva. Avec une insouciance étudiée, il prit un bol fêlé dans le garde-manger et le remplit de restes de porc, quelques légumes et un gros morceau de pain de maïs.

« Ed, » lui dit sa femme, » qu’est-ce que tu fais là ? »

Il lui jeta un coup d’œil. Elle était décharnée, avec les cheveux emmêlés, flétrie bien avant l’âge. Il se détourna sans lui répondre.

« Ed ! Dis-moi, Ed ! »

Tyler-Blaine la regarda l’air ennuyé, sentant son ulcère qui se crispait au son de cette voix anxieuse et criarde. La voix la plus criarde de toute la Californie, se dit-il, et il l’avait épousée. Voix criarde, nez aigu, coudes et genoux angulaires, seins plats et stériles. Des jambes pour soutenir un corps mais même pas pour une seconde de plaisir. Un ventre fait pour être rempli et non touché. De toutes les filles de Californie, il avait vraisemblablement choisi la plus minable, comme un imbécile, que son Oncle Rafe lui avait toujours dit qu’il était.

« Où vas-tu avec ce bol de nourriture ? » demanda-t-elle encore.

— « Je m’en vais donner à manger au chien, » dit Tyler-Blaine, s’avançant vers la porte.

— « Nous n’avons pas de chien ! Oh, Ed ! ne le fais pas ! pas ce soir ! »

— « Trop tard, » dit-il, heureux de la mettre mal à l’aise.

— « Je t’en prie, pas ce soir ! Laisse-le se débrouiller tout seul, ailleurs. Ed, écoute-moi ! Et s’ils l’apprenaient, en ville ? »

— « Le soleil est couché, » répliqua Tyler-Blaine, debout près de la porte avec son bol de nourriture.

— « Les gens espionnent, » dit-elle. « Ed, s’ils découvrent la vérité, ils nous lyncheront. Tu sais bien qu’ils le feront. »

— « T’aurais l’air bien drôle au bout d’une corde, » remarqua Tyler-Blaine en ouvrant la porte.

— « Tu ne le fais que pour me contrarier ! »

Il referma la porte. Dehors, c’était le crépuscule épais. Dans la cour, à proximité du poulailler désaffecté, il regarda alentour. L’unique maison voisine était celle des Flannagans, à une centaine de mètres de là. Mais ils ne s’occupaient que de leurs affaires.

Il attendit pour s’assurer qu’aucun des gosses du village ne rôdait par là. Puis il s’avança, tenant prudemment le bol de nourriture.

Il atteignit le bord du bois décharné et déposa le bol. « Ça va, » appela-t-il doucement. « Tu peux sortir, Oncle Rafe. »

Un homme émergea à quatre pattes du bois. Son visage était blanc de plomb, ses lèvres anémiées, ses yeux éteints et fixes, ses traits rudes et bruts comme le fer avant d’être trempé ou l’argile avant d’être mise au feu. Une longue plaie en travers de son cou s’était infectée et sa jambe droite pendait mollement. Les villageois la lui avaient cassée.

— « Merci, fiston, » dit Rafe, l’oncle-zombi de Tyler-Blaine.

Il engloutit rapidement le contenu du bol. Quand il eut terminé, Tyler-Blaine lui demanda : « Comment te sens-tu, Oncle Rafe ? »

— « J’sens rien du tout. Ma vieille carcasse est sur le point de crouler. Encore une paire de jours, peut-être une semaine, et tu seras débarrassé de moi. »

— « Je prendrai soin de toi, » lui promit Tyler-Blaine, « aussi longtemps que tu peux rester en vie, Oncle Rafe. J’aimerais pouvoir t’amener dans la maison. »

— « Non, » dit le zombi. « Ils l’apprendraient. Ce que tu fais maintenant est déjà assez risqué… Comment se porte ta maigrichonne de femme, fiston ? »

— « Elle braille plus que jamais, » soupira Tyler-Blaine.

Le zombi émit un son évoquant un rire. « Je t’avais prévenu, fiston. Voici dix ans, je t’avais conseillé de ne pas l’épouser. Pas vrai ? »

— « Sûr que tu me l’avais dit, Oncle Rafe. Tu étais le seul qui soit raisonnable. Je regrette de ne pas t’avoir écouté. »

— « C’aurait été mieux pour toi, fiston. Eh bien, je m’en vais retourner dans mon abri. »

— « Tu as confiance, Oncle ? » le questionna anxieusement Tyler-Blaine.

— « Ça, oui. »

— « Et tu essaieras de mourir confiant ? »

— « Oui, fiston. Et je vais y entrer, dans ce foutu Seuil, tu vas voir. Et, une fois là, je tiendrai parole. Vrai de Vrai. »

— « Merci, Oncle Rafe. »

— « Je la hanterai, fiston, si le Seigneur m’accorde le Seuil. D’abord le gros docteur qui a fait ça de moi. Puis ça sera son tour à elle. Je la hanterai jusqu’à la folie. Je la hanterai jusqu’à ce qu’elle file à l’autre bout de la Californie pour t’échapper ! »

— « Merci, Oncle Rafe. »

Le zombi émit un autre son proche d’un rire, puis repartit en rampant dans les bois. Tyler-Blaine frissonna, puis il ramassa le bol vide et s’en revint vers la baraque en planches.

 

Mariner-Blaine ajusta son maillot de bain afin qu’il adhère plus étroitement à son jeune corps mince et souple. Elle glissa le réservoir d’eau sur son dos, ramassa son appareil et se dirigea vers le sas.

« Janice ! »

— « Oui, maman ? » Elle se retourna, le visage lisse et sans expression.

— « Où vas-tu, chérie ? »

— « Je vais nager, maman. Je pensais peut-être aller jeter un coup d’œil du côté des jardins, au Niveau 12. »

— « Tu n’aurais pas par hasard l’intention d’aller voix Hal Leuwin, hein ? »

Sa mère avait-elle deviné ? Mariner-Blaine lissa ses cheveux noirs et dit : « Certainement pas. »

— « Bon. » Sa mère avait un mince sourire. Elle était de toute évidence incrédule. « Essaie de rentrer de bonne heure, chérie. Tu sais combien ton père se fait du souci. »

Mariner-Blaine se baissa et l’embrassa rapidement, puis elle se hâta vers la chambre à air.

Sa mère savait ! Elle en était sûre ! Et elle ne faisait rien pour l’arrêter ! Et puis, pourquoi l’aurait-elle fait ? Après tout, elle avait dix-sept ans, elle était bien assez grande pour faire ce qu’elle avait envie de faire. Les gosses grandissaient plus vite qu’à l’époque de Maman, mais les parents ne le comprenaient pas. Les parents ne comprenaient pas grand-chose. Tout ce qu’ils voulaient, c’était planter de nouveaux hectares pour la ferme. Leur seul divertissement était d’écouter de vieilles musiques classiques du genre bop ou rock and roll en chantant les paroles avec les partitions et en racontant leur belle jeunesse libre et romantique. Parfois, ils regardaient de grands livres d’art remplis de reproductions de bandes dessinées du XXe siècle et discutaient de l’art satirique aujourd’hui oublié.

Une soirée à tout casser, pour eux, c’était de contempler avec ferveur la collection complète des couvertures du Saturday Evening Post de la Grande Période. Mais tous ces trucs classiques ennuyait Mariner-Blaine. L’art, c’était rien. Elle n’aimait que les sensoriels.

Ajustant son masque, elle mit ses palmes et tourna la valve. En quelques secondes, la chambre se remplit d’eau. Impatiemment, elle attendit que les pressions soient égales, puis la chambre s’ouvrit automatiquement et elle sortit.

La ferme à pression de son père se trouvait au niveau moins 50, non loin de la masse géante sous-marine de Hawaï. Elle vira vers le bas, descendant vers l’obscurité verdâtre avec des brasses rapides et puissantes. Hal l’attendait dans les grottes de corail.

L’obscurité se fit plus dense tandis que Mariner-Blaine descendait. Elle alluma la lampe de son casque et mordit plus fermement l’embout du masque. Etait-ce vrai, se demandât-elle, que bientôt les fermiers sous-marins seraient en mesure de développer leurs propres ouïes ? C’était ce que son prof de science avançait, et peut-être que cela se produirait de son vivant. De quoi aurait-elle l’air avec des ouïes ? Mystérieuse, sans doute. Lisse, étrange, telle une sirène moderne.

D’ailleurs, elle pourrait toujours recouvrir les ouïes avec ses cheveux si elles ne l’avantageaient pas.

Dans la réverbération jaune de sa lampe, elle vit les grottes de corail devant elle, un labyrinthe rouge et rose avec des poches d’air fort confortables loin à l’intérieur où l’on pouvait être sûr de ne pas être dérangé. Et elle vit Hal.

Elle fut envahie par l’incertitude. Dieu ! et si elle avait un bébé ? Hal l’avait assuré que tout irait bien mais il n’avait que dix-neuf ans. Avait-elle raison de le faire ? Ils en avaient parlé bien souvent et elle l’avait choqué par sa franchise. Mais dire et faire, cela fait deux. Que penserait Hal si elle disait non ? Pourrait-elle en rire ? Prétendre qu’elle l’avait tout simplement fait marcher ?

Elancé et bronzé, Hal nagea à ses côtés. Il lui faisait des gestes d’amitié. Un baliste leur fila sous le nez, puis un petit requin.

Qu’allait-elle faire ? L’entrée des grottes était proche, sombre, attirante. Hal la regarda et elle sentit son cœur fondre…

 

Elgin-Blaine se redressa, prenant conscience qu’il avait dû s’assoupir. Il était à bord d’une petite embarcation à moteur, assis dans une chaise longue, enveloppé dans des couvertures. Le petit bateau tanguait sur la mer agitée mais, là-haut dans le ciel, le soleil brillait et le vent alizé emportait la fumée du diesel en un panache large et sombre.

« Vous vous sentez mieux, mister Elgin ? »

Elgin-Blaine leva les yeux vers un petit homme barbu portant une casquette de capitaine. « Très bien, très bien, » dit-il.

— « Nous sommes pratiquement arrivés, » dit le capitaine.

Elgin-Blaine acquiesça de la tête, désorienté, essayant de se reprendre, de se resituer. Il réfléchit à toute allure, et se souvint qu’il était plus petit que la moyenne, très musclé, la poitrine bombée, les épaules en armoire à glace, avec des jambes un peu courtes pour un torse si herculéen, de grandes mains calleuses. Il avait une vieille cicatrice dentelée à l’épaule, souvenir d’un accident de chasse…

Elgin et Blaine fusionnèrent.

Et il se rendit compte qu’il était enfin de retour dans son propre corps. Blaine était son nom, et Elgin le pseudonyme sous lequel Carl Orc et Joe l’avaient vraisemblablement expédié.

Le long voyage était terminé ! Son esprit et son corps étaient à nouveau réunis !

« On nous a dit que vous n’alliez pas bien, monsieur, » dit le capitaine. « Mais vous avez été si longtemps dans le coma…»

« Je vais bien maintenant, » l’assura Blaine. « Où sommes-nous par rapport aux Marquises ? »

« Plus très loin. L’île de Nuku Hiva n’est qu’à quelques heures d’ici. »

Le capitaine s’en retourna à la timonerie. Et Blaine songea aux nombreuses personnalités qu’il avait rencontrées, avec lesquelles il avait fusionné.

Il respectait la résolution et l’indépendance du vieux Dyersen tandis qu’il s’en revenait lentement vers son cottage, il espérait que le jeune Sandy Thompson retournerait sur Mars, se sentait inquiet à cause de ce Piggot déformé et meurtrier ; il avait eu plaisir à rencontrer le sérieux et probe Juan Ramirez et il éprouvait un mélange de tristesse et d’amusement pour le sournois et inefficace Ed Tyler, tout en souhaitant le meilleur à la jolie Janice Mariner.

Ils étaient encore avec lui. Bons ou mauvais, il ne leur voulait que du bien. Ils étaient de sa famille à présent. Une famille lointaine, des cousins et oncles qu’il ne rencontrerait jamais plus, des nièces et des neveux dont il ignorait le destin.

Comme toutes les familles, ils étaient diversifiés ; mais ils étaient à lui, et jamais il ne pourrait les oublier.

« Nuku Hiva ! » annonça le capitaine.

Blaine distingua sur l’horizon un minuscule point noir surplombé d’un nuage cumulus blanc et se frotta vigoureusement le front, bien décidé à ne plus penser à sa famille adoptive. Il y avait des réalités plus actuelles à confronter. Bientôt il atteindrait son nouveau domicile et il lui fallait réfléchir un peu et sérieusement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps meurtrier
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