AU ROYAUME DES CAROTTES, LES OIGNONS SONT ROIS.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous vous souvenez sûrement de cette grosse brute qui flanquait du sable dans les yeux d’un gringalet de 45 kilos ? Eh bien, le problème du gringalet n’a jamais été résolu, malgré les affirmations contraires de Charles Atlas. La véritable brute garantie aime flanquer du sable dans les yeux des gens. Pour une brute, brimer les autres, c’est tout simplement une satisfaction au niveau viscéral. A supposer que vous pesiez une bonne centaine de kilos, que vous soyez tout en muscles durs et en tendons d’acier, et que vous soyiez aussi doué que Salomon ou aussi malin que Voltaire, vous vous retrouveriez quand même avec tout le sable d’une bonne insulte plein les yeux, et il est probable que vous ne diriez rien.

Voilà comment Howard Cordle voyait la situation. C’était un homme charmant, perpétuellement pourchassé par les représentants en Super-balais, les tapeurs, les maîtres d’hôtel et autres monuments d’autorité. Cordle détestait tout ça. Il subissait en silence l’assaut des innombrables maniaques agressifs qui, du coude, se frayaient un chemin en tête des queues de cinéma, prenaient les taxis avant lui, et qui, dans les soirées, lui soufflaient les filles auxquelles il parlait.

Le pire, c’est que ces gens-là semblaient chercher la provocation dans le seul but d’être désagréables aux autres. Cordle n’était jamais arrivé à comprendre pourquoi il en était ainsi jusqu’à ce jour d’été où, défoncé à mort, alors qu’il roulait quelque part dans le nord de l’Espagne, le Dieu Thot-Hermès lui révéla le satori original en murmurant : « Eh !… Écoute, je connais bien ton problème, mon pote, mais, je vais te dire, il faut rajouter quelques carottes, sans ça ton Ragoût sera un peu tarte. »

— « Des carottes ? » dit Cordle, tendu vers l’illumination.

— « Je parle de ces types qui te les brisent, » expliqua Thot-Hermès. « Il faut qu’ils soient comme ça, vieux, parce que ce sont des carottes, et que les carottes sont ainsi faites. »

— « Si ce sont des carottes, » dit Cordle, tâtant le terrain, « alors je…»

— « Toi, bien entendu, tu es un petit oignon blanc. »

— « Oui ! Dieu, oui ! » s’écria Cordle, ébloui par la luminosité du satori.

— « Et naturellement, toi et tous les autres oignons blancs, vous pensez que les carottes ne sont que de sinistres présages, qu’une espèce d’oignon orangé difforme, alors que les carottes vous traitent d’affreuses carottes blanches et rondes ! Psss !… Vous ne pouvez pas vous sentir alors que, en réalité…»

— « Oui, continuez ! » s’écria Cordle.

— « En réalité, » déclara Thot-Hermès, « chacun a son rôle dans le Ragoût ! »

— « Bien sûr ! Je vois, je vois, je vois ! »

— « Et cela signifie que tous ceux qui existent sont nécessaires et qu’il faut bien qu’il y ait de longues carottes orangées et détestables si tu veux avoir aussi de gentils oignons blancs décents et agréables, ou vice versa, parce que, sans tous ces ingrédients, ce n’est pas un Ragoût, en d’autres termes, la vie, ça devient… euh… voyons voir…»

— « Une soupe ! » s’écria Cordle, au comble de l’extase. « Oui, je vois maintenant – une soupe à l’oignon blanc ! Crémeuse ! C’est notre rêve paradisiaque, alors qu’un méchant potage de carottes flamboyantes, c’est notre vision de l’Enfer. Ça colle ! Ça colle parfaitement bien ! »

— « Om manipadme hum, » confirma Thot-Hermès.

— « Mais où vont les petits pois ? Et la viande alors, nom de Dieu ? ! »

— « Ne cours pas après les métaphores, » lui conseilla Thot-Hermès, « ça laisse une écume plutôt moche. Tiens-t’en aux carottes et aux oignons. Et laisse-moi t’offrir un verre – une spécialité de la maison. »

— « Mais les épices ? Où est-ce qu’on met les épices ? » demanda Cordle, en avalant une bonne lampée d’un liquide couleur Bourgogne de son bidon rouillé.

— « Mon vieux, tu poses le genre de question dont on ne peut révéler la clé qu’à un franc-maçon au treizième degré souffrant d’hémorroïdes et portant des sandales. Je regrette. Mais n’oublie pas que tout va dans le Ragoût. »

— « Dans le Ragoût, » répéta soigneusement Cordle.

— « Et, surtout, ne laisse pas tomber les carottes et les oignons. T’étais vraiment bien parti là-dessus. »

— « Les carottes et les oignons, » répéta Cordle.

— « C’est ton trip, » dit Thot-Hermès. « Eh ! On est à Corunna ! Tu peux me déposer n’importe où. »

Cordle arrêta sa voiture louée sur le bord de la route. Thot-Hermès prit son barda sur le siège arrière et sortit. « Merci pour la balade, mon joli ! »

— « Tout le plaisir était pour moi. Merci à vous pour le vin. Comment appelez-vous ça ? »

— « Vino de casa avec un rien d’extrait d’acide instantané du docteur Hammerfinger. Brassé par des carabins dans les laboratoires secrets de l’Université de Californie par les camés du Marché Commun. »

— « Quoi que ce soit, c’était vraiment du super, » dit Cordle d’un air grave. « Un pur élixir. On pourrait vendre des cravates aux antilopes avec ce truc-là. On pourrait transformer le monde d’un sphéroïde aplati en un trapézoïde tronqué… Qu’est-ce que j’ai dit ? »

— « Ça ne fait rien, tout ça, c’est ton trip. Peut-être que tu ferais mieux de t’allonger un moment, non ? »

— « Dieu propose et l’homme dispose, » cita Cordle. Puis il s’allongea sur le siège avant de la voiture. Thot-Hermès se pencha sur lui. Sa barbe d’or resplendissante, la tête couronnée de feuilles de platane.

— « Ça va ? »

— « Mieux que jamais. »

— « Tu veux que je reste un moment ? »

— « C’est pas nécessaire. Vous m’avez aidé au-delà de toute attente. »

— « Je suis heureux de le savoir, vieux, j’apprécie ta musique. Tu vas vraiment bien ? Alors, salut, Kiki ! »

Thot-Hermès disparut dans le soleil couchant. Cordle ferma les yeux, puis résolut divers problèmes qui avaient rendu perplexes les plus grands philosophes de tous les temps. Il était légèrement surpris de la grande simplicité de la complexité.

Enfin, il s’endormit. Il se réveilla quelque six heures plus tard. Il avait oublié la plupart de ses brillantes intuitions et de ses solutions lumineuses. C’était inconcevable : comment peut-on égarer les clefs de l’univers ? Mais c’était ce qu’il avait fait, et il ne semblait pas y avoir le moindre espoir de les récupérer. Le Paradis était perdu pour de bon. Il se souvenait bien des oignons et des carottes, cependant, ainsi que du Ragoût. Ce n’était pas le genre d’intuition qu’il aurait choisie de lui-même, mais elle lui était venue et il ne la rejetait pas. Cordle savait, instinctivement sans doute, que, au jeu de l’intuition, on ne prend ce qu’on peut.

 

Le jour suivant, il atteignit Santander sous une pluie battante. Il décida d’écrire des lettres amusantes à tous ses amis, peut-être même de s’essayer à un sketch genre travelogue. Ce qui nécessiterait alors une machine à écrire. Le conserje de son hôtel lui indiqua un magasin qui louait les machines à écrire. Il s’y rendit et trouva un employé qui parlait parfaitement l’anglais.

« Est-ce que vous louez des machines à la journée ? » demanda Cordle.

— « Pourquoi pas ? » répliqua l’employé. Il avait des cheveux noirs et gras et un mince nez aristocratique.

— « Combien pour celle-ci ? » Cordle indiquait une Erika portative vieille d’une trentaine d’années.

— « Soixante-dix pesètes par jour, c’est-à-dire un dollar. Normalement. »

— « Maintenant, ce n’est pas normalement ? »

— « Certainement pas, étant donné que vous êtes un étranger en transit. Pour vous, cent quatre-vingts pesètes par jour. »

— « D’accord, » dit Cordle, avançant la main vers son portefeuille. « J’aimerais la louer pour deux jours. »

— « Il me faudra également votre passeport et un dépôt de 50 dollars. »

Cordle essaya de plaisanter. « Dites donc, je ne veux pas l’épouser, seulement écrire avec. »

L’employé haussa les épaules.

« Écoutez, c’est le conserje de l’hôtel qui a mon passeport. Mon permis de conduire ne vous conviendrait pas ? »

— « Certainement pas. Je dois garder votre passeport au cas où vous décideriez de fuir. »

— « Mais pourquoi vous faut-il mon passeport plus la garantie ? » demanda Cordle. Il se sentait brimé et mal à l’aise. « Je veux dire que la machine ne vaut pas même vingt dollars, non ? »

— « Vous êtes sans doute expert, en ce qui concerne l’argus en Espagne des machines à écrire allemandes ? »

— « Non, mais…»

— « Dans ce cas, permettez-moi, monsieur, de conduire mes affaires comme bon me semble. Il me faudra également savoir pour quel usage vous louez cette machine.

— « Quel usage ? »

— « Bien sûr, quel usage ? »

C’était une de ces situations invraisemblables que chacun peut connaître à l’étranger. La requête de l’employé était incompréhensible et son attitude insultante. Cordle était sur le point de le saluer et de faire volte-face. Puis il se souvint des oignons et des carottes. Il vit le Ragoût. Et, soudain, il lui vint à l’esprit qu’il pourrait devenir n’importe quel légume qu’il souhaitait être.

Il se tourna vers l’employé, lui fit un sourire chaleureux et dit : « Vous désirez savoir pour quel usage je loue cette machine ? »

— « Parfaitement. »

— « Eh bien, pour parler franchement, j’avais l’intention de me la mettre dans le nez. »

L’employé ouvrit grand la bouche.

— « C’est une méthode de contrebande tout à fait valable, » reprit Cordle. « J’avais aussi l’intention de vous donner un passeport volé et de fausses pesètes. Et, une fois en Italie, j’aurais vendu la machine dix mille dollars. Milan souffre d’une pénurie de machines à écrire terrible, le saviez-vous ? Ils sont dans une situation désespérée, au point d’acheter n’importe quoi. »

— « Monsieur, » dit l’employé, « vous avez choisi de vous montrer désagréable. »

— « Vous voulez dire méchant. J’ai changé d’avis au sujet de la machine. Permettez-moi, en passant, de vous complimenter sur votre maîtrise de la langue anglaise. »

— « Je l’ai assidûment étudiée, » admit l’employé, un soupçon d’orgueil dans la voix.

— « C’est bien évident. Et, malgré une certaine faiblesse du côté des R, vous parvenez à vous exprimer aussi bien qu’un gondolier vénitien sans palais. Mes meilleures salutations à votre estimée famille. Je vous laisse à présent gratter vos boutons en paix. »

Revoyant la scène plus tard, Cordle décida qu’il avait assez bien réussi ses débuts de carotte. Ses paroles de conclusion avaient, cependant, été un peu forcées et surintellectualisées. Mais le courant sous-jacent de méchanceté restait convaincant.

Le plus important, le plus percutant, c’est qu’il l’avait fait. Et maintenant, dans le calme de sa chambre d’hôtel, au lieu de se torturer dans un délire de dégoût de soi-même, il avait la satisfaction réconfortante d’avoir mis quelqu’un d’autre dans cette position.

Il l’avait fait ! Et il s’était transformé d’oignon en carotte.

Mais sa position était-elle défendable du point de vue éthique ? Vraisemblablement, l’employé ne pouvait s’empêcher d’être détestable. Il était un produit de son propre environnement social et génétique, une victime de son conditionnement ; il était naturellement plutôt qu’intentionnellement détestable.

Cordle interrompit ses réflexions. Il était embarqué dans un raisonnement typiquement oignonesque, incapable de concevoir les carottes autrement que sous l’aspect d’une aberration de l’oignonymat.

Mais, à présent, il savait que les oignons devaient exister ; au même titre que les carottes, sinon il ne pouvait y avoir de Ragoût. Et il savait aussi qu’un homme était libre et pouvait choisir d’être tel ou tel légume. Il pouvait même vivre comme un petit pois ridicule, un bouquet d’ail bourru. Là, il tirait un peu fort sur les cheveux de la métaphore. En tout état de cause, un homme pouvait faire son choix entre la carotterie et l’oignonymat.

Il y avait là matière à réflexion, songea Cordle. En fin de compte, cependant, il n’y réfléchit pas du tout. Il alla visiter la ville, malgré la pluie, et reprit son périple.

 

L’incident suivant eut lieu à Nice, dans un charmant petit restaurant de l’Avenue des Diables Bleus, avec des nappes à carreaux rouges et des menus incompréhensibles écrits à la main à l’encre violette. Il y avait là quatre garçons, dont l’un ressemblait à Jean-Paul Belmondo, jusqu’à la cigarette qui pendait à sa lèvre inférieure. Les autres ne ressemblaient qu’à de braves petits voyous courants. Plusieurs clients Scandinaves dégustaient tranquillement un cassoulet. Il y avait également un Français d’un certain âge coiffé d’un béret et trois jeunes Anglaises plutôt quelconques.

Belmondo s’amena tout doucement. Cordle, qui parlait un français clair quoique idiomatique, demanda le menu à dix francs qu’il avait vu affiché à la porte.

Le garçon lui décocha le genre de regard que l’on réserve aux mendiants prétentieux. « Ah ! c’est terminé pour aujourd’hui ! » dit-il en tendant à Cordle un menu à trente francs.

Dans sa précédente incarnation, Cordle aurait courbé l’échiné et commandé le menu. Ou peut-être se serait-il levé tremblant, outragé, et aurait-il quitté le restaurant, se cognant maladroitement en route sur une chaise. Mais désormais…

« Peut-être ne m’avez-vous pas compris, » dit-il. « La loi française exige que vous serviez tous les menus à prix fixe que vous affichez. »

— « Monsieur est avocat ? » s’enquit le garçon, les mains insolemment clouées aux hanches.

— « Non, monsieur est un emmerdeur, » dit Cordle, lui donnant ce qu’il considérait comme un avertissement franc et honnête.

— « Alors, monsieur doit emmerder comme bon lui semble, » dit le garçon. Ses yeux n’étaient plus que des fentes.

— « O.K., » dit Cordle. A ce moment précis, un couple âgé entra dans le restaurant. L’homme portait un costume bleu ardoise croisé à rayures blanches d’un bon centimètre de large. La femme était vêtue d’une robe d’organdi fleurie. Cordle les interpella : « Excusez-moi. Vous êtes anglais ? »

Quelque peu interloqué, l’homme inclina la tête en un soupçon d’acquiescement.

— « Alors, je vous conseillerais de ne pas manger ici. Je suis inspecteur d’hygiène pour le compte de l’UNESCO. Le chef, de toute évidence, ne s’est pas lavé les mains depuis le débarquement des Alliés. Nous n’avons pas encore effectué le test anti-typhoïdique définitif, mais nous avons nos doutes ! Dès que mon assistant arrivera avec le papier de tournesol…»

Un silence de mort était tombé sur le restaurant.

« Je suppose que vous ne risquez pas grand-chose avec un œuf à la coque, » ajouta Cordle.

Le vieillard ne le crut probablement pas. Mais, de toute façon, Cordle était clairement une source d’ennuis.

— « Viens, Mildred, » dit-il, et ils sortirent précipitamment.

— « Voilà soixante francs plus le pourboire qui vous filent sous le nez, » dit froidement Cordle.

— « Sortez d’ici immédiatement ! » gronda le garçon.

— « Ça me plaît, ici, » dit Cordle en se croisant les bras « J’aime l’ambiance, l’intimité…»

— « Vous n’avez pas le droit de rester sans manger. »

— « Je mangerai. Le menu à dix francs. »

Les garçons échangèrent un regard, hochèrent la tête à l’unisson et avancèrent en une phalange menaçante. Cordle interpella les autres clients : « Je vous demande, à tous, d’être témoins ! Ces hommes vont m’attaquer, quatre contre un, contrairement à la loi française et à la morale humaine universelle, simplement parce que j’ai voulu commander le menu à dix francs, qu’ils ont faussement affiché. »

C’était un long discours mais c’était le moment d’être grandiloquent. Cordle le répéta en anglais.

Les filles anglaises en suffoquèrent. Le vieux Français continua de manger sa soupe. Les Scandinaves hochèrent sombrement la tête et se mirent à ôter leurs vestes.

Les garçons tinrent un autre conciliabule. Celui qui ressemblait à Belmondo dit : « M’sieur, vous nous obligez à appeler la police. »

— « Cela m’épargnera, » dit Cordle, « d’avoir à le faire moi-même. »

— « Sûrement que m’sieur ne tient pas à passer ses vacances au tribunal ? »

— « C’est là que m’sieur passe presque toutes ses vacances », dit Cordle.

Nouveau conciliabule. Puis Belmondo s’avança majestueusement : « Le coût du prix fixe sera de dix francs, puisque, de toute évidence, c’est tout ce que m’sieur peut se permettre. »

Cordle le laissa dire. « Apportez-moi une soupe à l’oignon, une salade verte et le bœuf bourguignon. »

Le garçon s’en alla passer la commande. Tandis qu’il attendait, Cordle se mit à chanter Matilda d’une voix assez forte. Il se disait que cela ne ferait qu’accélérer le service. Il fut servit au moment où il en était pour la seconde fois : Tu ne me prendras jamais vivant, dit-il. Il tira la soupière à lui et leva une cuiller.

C’était un moment à vous couper le souffle. Pas un des clients n’avait quitté le restaurant. Et Cordle s’était préparé. Il s’inclina en avant, la cuiller à soupe en position de travail, et renifla délicatement. Le silence se fit dans la salle.

« Il manque un je ne sais quoi, » dit Cordle à voix haute. Fronçant les sourcils, il déversa la soupe à l’oignon sur le bœuf bourguignon. Il renifla, secoua la tête, et rajouta un demi-pain, en tranches. Il renifla encore et y rajouta la salade et le contenu de la salière.

Cordle se pinça les lèvres. « Non, » dit-il, « vraiment, ça ne fera pas du tout l’affaire. »

Il renversa tout le contenu de la soupière sur la table. Ce qui équivalait, si l’on veut, à jeter du violet de gentiane sur la Joconde. La France tout entière et une bonne partie de la Suisse romande en eurent le sang retourné.

Sans se presser, mais sans quitter de l’œil les garçons ébahis, Cordle se leva et laissa tomber dix francs dans la mixture. Il s’avança vers la porte, se retourna et dit : « Mes compliments à votre chef, qui ferait peut-être mieux comme malaxeur de ciment. Et voici pour vous, mon vieux. »

Sur quoi, il jeta sa serviette toute froissée par terre.

Comme le matador, après une série de passes fort réussies tourne le dos d’un air dédaigneux au taureau et s’éloigne lentement, de même s’en alla Cordle. Pour quelque raison inconnue, les garçons ne se lancèrent point à sa poursuite, ne le fusillèrent point pour ensuite pendre son corps au lampadaire le plus proche. Et ainsi Cordle marcha pendant quelques centaines de mètres, tournant à droite et à gauche au hasard. Il gagna la Promenade des Anglais et s’assit sur un banc. Il tremblait et sa chemise était trempée de sueur.

« Mais je l’ai fait ! » dit-il. « Je l’ai fait ! J’ai été ignoblement méchant et ça a marché. »

Maintenant il savait vraiment pourquoi les carottes agissaient ainsi. Doux Jésus ! Quelle joie ! Quelle délectable félicité !

Puis il revint à son soi affable, sans accroc et sans regret… Et il fut ainsi jusqu’à sa seconde journée à Rome.

Il conduisait une voiture louée. Avec sept autres conducteurs, il attendait à un feu rouge, sur le Corso Vittorio Emannuele II. Il y avait peut-être vingt voitures derrière eux. Tous les conducteurs faisaient ronfler leurs moteurs, rivés à leur volant, courbés en avant, les yeux mi-clos, rêvant du Mans. Tous excepté Cordle, occupé, lui, à boire des yeux l’architecture cyclopéenne de Rome.

Et ce fut le feu vert ! Les conducteurs appuyèrent à fond sur le champignon, essayant de faire patiner les roues de leurs Fiat pas assez puissantes, usant les embrayages jusqu’à la corde, et leurs nerfs aussi, avec autant d’éclat que de brio. Tous excepté Cordle, qui semblait être le seul homme dans tout Rome qui n’eût pas à gagner de course, qui ne fût pas en route pour un rendez-vous important.

Sans se presser ni tarder non plus, il enfonça la pédale. Déjà, il avait perdu près de deux secondes. Impensable à Monza ou à Monte Carlo.

Le conducteur qui se trouvait derrière lui klaxonna frénétiquement.

Cordle sourit d’un sourire secret, très laid. Il se mit au point mort, tira le frein à main et descendit. Il marcha vers le klaxonneur, qui avait un visage de plâtre et fouillait sous son siège, sans doute pour y prendre un cric.

« Oui ? » dit Cordle en français. « Quelque chose qui ne va pas ? »

— « Non, non, rien, » répliqua le conducteur, en français également – sa première erreur. « Je voulais simplement que vous bougiez – que vous démarriez. »

— « Mais je faisais précisément cela, » lui rappela Cordle.

— « Eh bien, en ce cas, ça va ! »

— « Non, ça ne va pas, » dit Cordle. « Je crois que j’ai droit à une meilleure explication de vos motifs pour m’avoir klaxonné ainsi. »

Le klaxonneur – un homme d’affaires milanais en vacances avec sa femme et ses quatre enfants – répliqua impétueusement : « Mon cher monsieur, vous étiez lent, vous nous retardiez tous. »

— « Lent ? » dit Cordle. « Vous avez klaxonné deux secondes après que le feu eut changé. Vous trouvez que deux secondes c’est lent ? »

— « C’était beaucoup plus long que ça, » riposta faiblement l’autre.

La circulation était maintenant bloquée vers le sud jusqu’aux portes de Naples. Une foule de dix mille badauds s’était rassemblée. Des unités de carabinieri, à Viterbo et à Gênes, avaient été mises en état d’alerte.

— « C’est inexact, » dit Cordle. « J’ai des témoins. » Il gesticula vers la foule, qui lui rendit ses gesticulations.

— « J’appellerai mes témoins devant les tribunaux. Vous devez savoir que vous avez enfreint la loi en klaxonnant dans l’enceinte de la ville de Rome dans une situation qui, de toute évidence, n’avait pas un caractère urgent. »

L’homme d’affaires milanais contempla la foule, que l’on pouvait maintenant estimer à une cinquantaine de milliers de personnes. Doux Jésus ! songea-t-il, si seulement les Goths descendaient à nouveau et exterminaient ces paillards de Romains ! Si seulement la terre s’entrouvrait pour engloutir ce fou de Français ! Si seulement il avait, lui, Giancarlo Morelli, une cuiller émoussée pour s’ouvrir les veines.

Des jets de la Sixième Task Force les survolèrent dans un bruit de tonnerre, prêts à intervenir pour mettre en échec le coup d’État attendu de longue date.

La femme de l’homme d’affaires milanais lui hurlait des insultes. Ce soir, il lui arracherait son cœur infidèle et le renverrait à sa mère à elle par colis postal.

Que faire ? À Milan, il aurait eu la tête de ce Français sur un plateau. Mais ici, c’était Rome, une ville du Sud, un endroit dangereux et imprévisible. Et, du point de vue de la loi, il était peut-être dans son tort, ce qui le désavantageait encore dans cet incident.

— « Très bien, » dit-il, « il n’était peut-être pas nécessaire que je klaxonne, malgré la provocation. »

— « Je veux de vraies excuses, » souligna Cordle.

Il y eut un fracas terrible à l’est. Des milliers de tanks soviétiques s’avançaient en formation de combat à travers les plaines de Hongrie, se portant au-devant de la vague d’assaut de l’OTAN en Transylvanie. L’eau avait été coupée à Foggia, Brindisi et Bari. Les Suisses avaient fermé leurs frontières et s’apprêtaient à dynamiter leurs cols.

— « Bon, bon, je m’excuse ! » hurla l’homme d’affaires milanais. « Je suis désolé de vous avoir provoqué et plus encore d’être né ! Encore une fois, je m’excuse ! Maintenant, si vous voulez bien partir et me laisser avoir un infarctus en paix. »

— « J’accepte vos excuses, » dit Cordle. « Sans rancune, hein ? » Il s’en revint vers sa voiture en fredonnant C’est si bon et démarra sous les ovations de plusieurs millions de spectateurs.

Encore une fois, la guerre avait été évitée d’un poil.

Cordle se dirigea vers l’Arche de Titus, rangea sa voiture et, au son d’un millier de trompettes, passa sous l’Arche. Il méritait ce triomphe autant que n’importe quel César.

Dieu ! gloussa-t-il. J’ai été écœurant !

 

En Angleterre, Cordle marcha sur l’orteil d’une jeune fille juste à l’intérieur de la Porte des Traîtres de la Tour de Londres. Incident qui devait bien augurer de quelque chose. La jeune fille se nommait Mavis. Elle était originaire de Short Hills, dans l’État du New Jersey, et elle avait de longs cheveux noirs et raides. Elle était mince, jolie, intelligente, énergique, et elle avait le sens de l’humour. Elle avait de petits défauts, aussi, mais ils ne jouent aucun rôle dans cette histoire. Elle laissa Cordle l’inviter à prendre un café. Ils furent inséparables le reste de la semaine.

« Je crois que j’en ai le béguin, » se dit Cordle vers le septième jour… s’avouant sur-le-champ que c’était là un bel euphémisme. Il était en fait violemment et désespérément amoureux. Mais qu’éprouvait Mavis ? Elle ne semblait pas dépourvue d’affection pour lui. Etait-il concevable qu’elle put éprouver le même sentiment que lui ?

À ce moment, Cordle eut une vision. Il se dit qu’une semaine auparavant il avait marché sur l’orteil de sa future femme et mère de deux enfants qui tous deux seraient nés et élevés dans un duplex avec meubles gonflables, situé à Summit, dans le New Jersey, ou peut-être même à Millburn.

Exprimé aussi brutalement, cela peut paraître peu séduisant et provincial, mais c’était quelque chose que Cordle désirait car il n’avait aucune prétention au cosmopolitanisme. Après tout, nous ne pouvons pas tous vivre au Cap Ferrât. Et d’ailleurs, chose étonnante, nous ne le souhaitons même pas tous.

Ce jour-là, Cordle et Mavis se rendirent à la Marshall Gordon Résidence dans le quartier de Belgravia pour y voir les miniatures byzantines. Mavis avait une passion pour les miniatures byzantines qui, à première vue, paraissait tout à fait inoffensive. La collection était privée mais Mavis avait obtenu des invitations grâce au gérant londonien d’une agence Avis qui faisait vraiment son maximum pour lui plaire.

La Gordon Résidence était un bâtiment des plus imposants, style Régence, dans Huddlestone Mews. Ils sonnèrent. Un maître d’hôtel en tenue de soirée se présenta à la porte. Ils montrèrent les invitations. Le coup d’œil du maître d’hôtel et son sourcil froncé indiquaient qu’ils étaient porteurs d’invitations de deuxième ordre, du genre qu’on donne aux poseurs pseudo-artistiques et importuns venus par charter tous frais payés, tout compris – 17 jours – plutôt que les invitations de première classe gravées que l’on envoie à Picasso, à Jackie Onassis, à Sugar Ray Robinson, Norman Mailer, Charles Goren et autres brasseurs et bousculeurs de la face du globe.

Le maître d’hôtel dit : « Ah oui !…» Deux mots qui en disaient des bibliothèques entières. Son visage se contracta nerveusement ; il avait l’air d’un homme qui vient de recevoir la visite inattendue de Tamerlan et d’un régiment de sa Horde Dorée.

— « Les miniatures, » lui rappela Cordle.

— « Oui, bien sûr… Je suis désolé, monsieur, mais personne n’est admis dans la Gordon Résidence sans veste et cravate. »

C’était une lourde journée d’août. Cordle était vêtu d’une chemise sport. Il dit : « Je vous ai bien entendu ? Veste et cravate ? »

Le maître d’hôtel acquiesça : « C’est le règlement, monsieur. »

— « Vous ne pourriez pas faire une exception, pour une fois ? » demanda Mavis.

Le maître d’hôtel secoua la tête : « Nous devons vraiment nous en tenir aux règlements, mademoiselle. Sinon…» Il ne formula pas la crainte de la vulgarité sous-jacente à ces paroles, mais elle resta suspendue en l’air comme un pet chromé.

— « Bien sûr, » dit Cordle. « Sinon… Alors, c’est une veste et une cravate qu’il faut ? Je crois que nous pouvons arranger ça. »

Mavis posa sa main sur son bras et dit : « Allons-nous-en, Howard. Nous pouvons revenir une autre fois. »

— « Pas question, ma chère. Si tu veux bien me prêter ton imperméable…»

Il ôta l’imperméable blanc de ses épaules et le mit, en déchirant une couture. « Nous y voici, mon vieux ! » dit-il vivement au maître d’hôtel. « Ça devrait faire l’affaire, n’est-ce pas ? »

— « Je crains que non, » dit le maître d’hôtel d’une voix morne à vous dessécher les artichauts. « De toute façon, il y a le problème de la cravate. »

Cordle n’attendait que ça. En un éclair, il avait sorti son mouchoir trempé de sueur et l’avait noué autour de son cou.

— « Ça vous va, oui ? » dit-il d’un air méchant, dans une imitation de Peter Lorre dans le rôle de Monsieur Moto qu’il fut le seul à apprécier.

— « Howard ! Allons-nous-en ! »

Cordle attendit, souriant sans ciller au maître d’hôtel, qui transpirait pour la première fois de mémoire de maître d’hôtel.

— « Je crains, monsieur, que ce ne soit pas…»

— « Pas quoi ? »

— « Pas précisément ce que nous entendons par veste et cravate. »

— « Dois-je comprendre par-là, » dit Cordle d’une voix déplaisante et forte, « que non seulement vous ouvrez les portes mais que vous êtes aussi un arbitre de la mode masculine ?…»

— « Bien sûr que non ! Mais cet accoutrement impromptu…»

— « Qu’est-ce qu’impromptu vient faire là-dedans ? Les gens sont-ils censés se préparer trois jours à l’avance uniquement pour passer votre inspection ? »

« Vous êtes vêtu d’un imperméable de femme et d’un mouchoir souillé ! » précisa sèchement le maître d’hôtel. « Je crois qu’il n’y a rien d’autre à dire. »

Il commença de refermer la porte. Cordle dit : « Vous faites ça, mon chou, et je vous fais un procès en diffamation. Ce sont là des charges d’une extrême gravité, vieux, et j’ai des témoins. »

À part Mavis, Cordle avait recueilli une petite foule timide mais intéressée.

— « Cette situation devient vraiment trop ridicule, » dit le maître d’hôtel, cherchant à gagner du temps, la porte mi-close.

— « Six mois à la prison de Wormwood Scrubs, ce sera encore plus ridicule, » lui dit Cordle. « J’ai l’intention de vous traduire en injustice – je veux dire en justice. »

— « Howard ! » s’écria Mavis.

Il repoussa sa main et fixa le maître d’hôtel d’un regard perçant. Il poursuivit : « Je suis mexicain, quoique mon excellente maîtrise de la langue anglaise vous ait peut-être trompé. Dans mon pays, un homme se trancherait la gorge avant de laisser passer une telle insulte sans la venger. Un imperméable que vous dites ? Hombre !… quand, moi, je porte une veste, c’est une veste d’homme ! ou bien est-ce que vous sous-en tendez par-là que je suis un maricon – un… comment dites-vous ? Homosexuel ? »

La foule, de plus en plus dense, grogna son acquiescement. Il n’y a que les lords pour aimer les maîtres d’hôtel.

— « Je n’entendais rien de tel, » dit faiblement le maître d’hôtel.

— « Alors, c’est une veste d’homme ? »

— « Comme vous voulez, monsieur. »

— « Cela ne me satisfait pas entièrement ! L’insinuation est toujours là. Je vais tout de suite aller chercher un policier. »

— « Attendez, ne vous fâchez pas, » dit le maître d’hôtel. Son visage était blême et ses mains tremblaient. « Votre veste est bien une veste d’homme, monsieur. »

— « Et ma cravate, alors ? »

Le maître d’hôtel fit un ultime effort pour stopper Zapata et ses péons assoiffés de sang.

— « Eh bien, monsieur, un mouchoir est clairement…»

— « Ce que je porte autour du cou, » dit froidement Cordle, « devient ce que bon me semble. Si je portais une pièce de soie à frou-frou autour du cou, vous appelleriez ça un sous-vêtement féminin ? La toile est bien un matériau convenable pour une cravate. Verdad ? La fonction définit la terminologie, vous êtes bien d’accord ? Si je vais à mon travail à cheval sur une vache, personne ne dira que j’ai monté un beefsteak. Ou bien décelez-vous une faille dans mon raisonnement ? »

— « Je crains ne pas le saisir entièrement…»

— « Alors, comment pouvez-vous présumer de le passer en jugement ? »

La foule, devenue impatiente, murmurait maintenant son approbation.

— « Monsieur ! » s’écria le maître d’hôtel dépité, « je vous en supplie !…»

— « Donc, » dit Cordle avec satisfaction, « j’ai une veste, une cravate et une invitation. Je vous serais gré de bien vouloir nous montrer les miniatures byzantines. »

Le maître d’hôtel ouvrit toute grande la porte à Pancho Villa et à ses hordes loqueteuses. Le dernier bastion de la civilisation avait été conquis en moins d’une heure. Des loups hurlèrent le long des bancs de la Tamise, l’armée des va-nu-pieds de Morelos fit entrer ses chevaux au British Muséum. La longue nuit de l’Europe avait commencé.

Cordle et Mavis visitèrent la collection en silence. Ils n’échangèrent pas un seul mot avant de se retrouver seuls dans Regent’s Park.

« Ecoute, Mavis…» dit Cordle pour engager la conversation.

— « Non, écoute-moi, toi ! » dit-elle. « Tu étais atroce ! Tu étais incroyable ! Tu étais… Je ne peux pas trouver un mot assez moche pour ce que tu étais ! Jamais je n’aurais soupçonné que tu étais un salaud aussi sadique, qui se défoule en humiliant les gens ! »

— « Mais, Mavis, tu as bien entendu ce qu’il a dit ! Tu as entendu comment…»

— « C’était un vieux bigot stupide, » dit Mavis. « Je croyais que ce n’était pas ton cas. »

— « Mais il a dit…»

— « Qu’est-ce que ça peut faire ? En vérité, tu te délectais ! »

— « Eh bien, peut-être que tu as raison, » dit Cordle. « Ecoute, je peux tout t’expliquer. »

— « Pas à moi, en tout cas. Jamais ! Howard, ne cherche pas à me revoir. Jamais. Je suis absolument sérieuse. »

La future mère de ses deux enfants commença à s’éloigner, hors de sa vie à lui. Cordle courut derrière.

— « Mavis ! »

— « Je vais appeler un flic. Howard, je te jure que je vais le faire ! Laisse-moi tranquille ! »

— « Mavis ! Je t’aime ! »

Sans doute l’entendit-elle. Mais elle continua de s’éloigner. C’était une fille très belle, très douce, très certainement un oignon.

 

Jamais Cordle ne réussit à expliquer à Mavis cette histoire de Ragoût et à la convaincre de la nécessité d’expérimenter un comportement avant de le condamner. Les moments d’illumination mystique sont rarement explicables. Il sut quand même lui faire croire qu’il était passé par une brève crise psychopathologique et sans précédent, qui ne se répéterait jamais. Avec elle du moins.

Ils sont mariés maintenant. Ils ont un garçon et une fille, et ils habitent un duplex à Plainfield, dans le New Jersey. Ils sont bien contents. Cordle est visiblement harcelé par les vendeurs de super-balais, les tapeurs, les maîtres d’hôtel et autres figures imposantes d’autorité. Mais voilà, il y a une différence.

Cordle se fait un devoir de prendre des vacances en solitaire à intervalles réguliers. L’an dernier, il s’est fait une bonne petite réputation à Honolulu. Cette année, il va à Buenos Aires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps meurtrier
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