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ADAR ZAN’NH
C’était comme si les murs de sa cellule se resserraient autour de lui.
Zan’nh entendit des pas remonter les coursives mais ne parvint pas à percevoir de présence au-dehors. En temps normal, tout Ildiran vivait au fil des autres vies, baigné dans le thisme, et ses congénères représentaient autant de balises dans son existence. Le passage d’un soldat de la Marine Solaire aurait dû générer une onde perceptible même par-delà la porte verrouillée de sa prison.
Mais il ne percevait rien. Loin, très loin, les rayons-âmes du Mage Imperator Jora’h s’affaiblissaient à mesure que les heures s’écoulaient. Zan’nh frappa des poings sur les parois à s’en faire saigner les phalanges, sans se sentir mieux pour autant. Il se tassa dans un coin, salissant son uniforme en s’y essuyant les mains. Adar Kori’nh l’aurait certainement réprimandé pour son apparence négligée. Il enfonça son visage dans ses mains, serra les dents et tint bon.
En entendant un fracas dans le couloir, il se redressa en titubant. Il s’accroupit devant la porte blindée, l’oreille tendue, et recula. Il s’arrêta puis avança de nouveau, prêt à bondir sur quiconque franchirait le seuil. À présent, il sentait un écho, un rayon-âme reconnaissable, qui s’approchait. Il ne comprenait pas.
La serrure cliqueta, et la porte se rabattit.
En dépit de sa faiblesse, Zan’nh s’élança en avant. L’Attitré de Dobro se tenait là, les vêtements tachés de sang. Un poignard de cristal pendait négligemment au bout de son bras. Zan’nh le repoussa en arrière, tout en le frappant durement au poignet. Le poignard chuta dans un tintement sur les dalles du pont.
Un instant saisi, Udru’h se reprit sur-le-champ et, d’un coup de pied en arc de cercle, sonna son agresseur. D’une poussée, il le renversa. L’adar tenta d’agripper l’arme qui gisait non loin, mais l’Attitré de Dobro lui écrasa le poignet, avec assez de force pour faire craquer les os… L’autre grogna et laissa échapper le poignard.
— Assez de ces stupidités, lança Udru’h en écartant l’arme d’un coup de pied.
Hors d’haleine, encore affalé sur le sol, Zan’nh leva les yeux vers la coursive. Pour contempler, éperdu, la scène incongrue qui s’offrait à lui : un garde gisant dans une mare de sang à la porte, le second plus loin dans le couloir, face contre terre. Puis il contempla l’Attitré penché sur lui, suant et aspergé de sang.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il d’une voix rauque. Vous… vous avez tué des Ildirans !
L’Attitré attendit une seconde avant de relâcher le poignet de l’adar. Il recula, recouvrant son sang-froid.
— Rusa’h n’est pas le seul à savoir prendre des mesures extrêmes, dit-il d’un ton pragmatique. Pensez à ceux qu’il a tués. Si nous ne sommes pas prêts à nous salir les mains, cette rébellion insensée réussira. J’ai toujours fait ce qui était nécessaire, j’ai toujours servi l’Empire. (Il jeta un coup d’œil dédaigneux à l’adar puis offrit son bras pour le remettre sur ses pieds.) Venez avec moi si vous voulez mettre fin à la révolte.
Zan’nh hésita un instant, en proie aux émotions qui bouillonnaient sous son crâne. Puis il opina, dans l’espoir fou de pouvoir s’évader de sa cellule, de son croiseur. Après avoir échoué dans la capitulation de ses vaisseaux, il était prêt à détruire celui-ci plutôt que de le laisser répandre la corruption de Rusa’h.
— Même si on me maudira un jour pour cela dans la Saga, dit Zan’nh, je suis d’accord avec vous. (Il ajouta à voix basse :) Si moi j’avais fait ce qui était nécessaire, nous ne nous trouverions pas dans une situation aussi cruelle. Adar Kori’nh ne l’aurait jamais laissé dégénérer à ce point.
Il suivit son oncle dans le couloir trop calme. Ce dernier se pencha au-dessus du premier cadavre et, sans hésiter, l’attrapa par les épaules pour le tirer à l’intérieur de la cellule.
— Aidez-moi à cacher les corps et à nettoyer. Cela nous fera gagner du temps.
Avoir les mains gluantes de sang ne semblait guère gêner Udru’h, mais Zan’nh restait frappé d’horreur à la vue des gardes massacrés. Il s’agissait de membres de son équipage, avant leur conversion forcée. Puis il se rappela ceux qui avaient servi d’otages à Rusa’h, tués un par un jusqu’à ce qu’il ait livré ses vaisseaux, et son cœur se durcit. Il avait déjà du sang sur les mains. Ces deux gardes étaient les victimes d’une guerre civile, mais ils étaient moins innocents que d’autres.
Plus assuré, Zan’nh empoigna le second garde, et bientôt les deux cadavres furent enfermés dans la cellule. Ils utilisèrent des morceaux de leurs uniformes pour essuyer le gros du sang sur le pont, afin qu’un promeneur ne remarque pas les traces. Puis, à bout de souffle, ils se réunirent dans la coursive.
Le vaisseau de guerre, bien que rempli d’Ildirans, était silencieux dans le thisme. Zan’nh ne percevait que le lien de l’Attitré de Dobro, dans lequel il n’avait toujours pas pleine confiance.
— Ainsi, il n’y a que nous deux ici. Avons-nous un plan ?
Udru’h haussa les sourcils, quelque peu amusé.
— Ma part du plan est accomplie, adar. Je vous ai libéré. Maintenant, je compte sur vos connaissances de la Marine Solaire, et de ce croiseur en particulier. C’est à vous de vous occuper de la prochaine phase.