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CELLI
La moitié des orbes de guerre s’était retirée de la surface de Theroc afin de pourchasser les vaisseaux vagabonds qui les harcelaient. D’après les témoignages qui s’entrecroisaient à la radio, plusieurs sphères de diamant géantes avaient été détruites. Détruites !
Incrédule, Celli regarda alternativement ses parents et Solimar.
— Ces temps-ci, il faut se garder de sous-estimer quiconque.
Alentour, ondes réfrigérantes et éclairs bleutés pilonnaient la forêt-monde en continu. Solimar se cramponna à Celli, grimaçant sous les cris silencieux des arbres suppliciés. Elle le soutint, et chacun d’eux puisa du courage dans l’autre.
Les échos de la bataille résonnaient des confins de l’atmosphère. La jeune fille était partagée entre le chaos qui régnait au-dehors et les échanges radio des Vagabonds. Les vaisseaux de Kotto Okiah semblaient rencontrer des ennuis. Les hydrogues s’étaient rassemblés pour les affronter. Elle entendit des cris frénétiques, une déflagration, puis quelque chose d’à peine compréhensible au sujet… d’une comète ?
« Regardez ! Ça vient d’infléchir sa trajectoire de quatre-vingt-dix degrés !
— Aucune comète ne peut…
— Je dois nous faire plonger à six G. J’espère que mes côtes ne vont pas craquer… Accrochez-vous.
— Regardez ça ! (Un long silence, puis :) Voilà un autre orbe de guerre… Il vient d’éclater comme une assiette sous un coup de marteau. Nous ne courons plus de danger dans l’immédiat.
— Cette espèce de comète doit être de notre côté. Les hydreux ne sont pas vraiment doués pour se faire des amis.
— Ça doit venir de leur personnalité. Ou de leur talent pour la discussion. »
Solimar contempla la forêt bruissante, puis le ciel, et son visage rayonna d’un émerveillement anticipé :
— Celli, tu devrais venir voir ça !
En contrebas, le golem-Beneto se tenait au centre de la clairière, les bras tendus, et tous les arbres semblaient suivre le même mouvement.
— Les wentals ! appela-t-il, aussi surpris que ses compatriotes. Les wentals sont toujours en vie. Et ils sont venus !
Dans l’espace, la comète bourrée d’énergie wentale de Jess Tamblyn plongeait vers Theroc. Le projectile vivant traînait un panache de gaz ionisés. Il pénétra dans l’atmosphère avec un cri aigu tandis qu’il se consumait, mais ne ralentit pas sa course en direction des orbes de guerre qui restaient ses ennemis séculaires.
Celli vit ces derniers se rassembler en surplomb du récif de fongus. Ils adoptèrent une formation de défense et lancèrent un réseau d’éclairs concentrés, mais rien ne semblait pouvoir arrêter le bolide. Au dernier instant, les sphères de diamant s’éparpillèrent, dans l’espoir d’offrir une cible moins évidente.
En réaction, la comète se fragmenta. Les morceaux se séparèrent à la manière d’ogives, pour foncer sur les orbes. Chacun d’eux vibrait d’une lumière intérieure. Des bangs supersoniques éclatèrent, suivis d’explosions massives : chaque esquille cométaire venait de frapper un vaisseau hydrogue.
Sous les impacts, les orbes se fendirent et allèrent s’écraser dans la forêt-monde. Vengeurs, les verdanis les recouvrirent de leurs tentacules végétaux afin de les réduire à l’impuissance. Puis ils achevèrent la destruction.
Celli se rendit compte qu’elle criait et pleurait en même temps. Elle n’arrivait pas à croire ce qui se passait sous ses yeux. Solimar l’étreignit.
— Les orbes de guerre ont tous été anéantis ! Les Vagabonds ont vaincu les autres dans l’espace. (Il s’interrompit, comme il recevait un message par télien.) Non… Deux orbes de guerre se sont échappés. L’un d’eux est endommagé. Mais nous sommes sauvés, conclut-il en lui passant un bras autour de la taille et en la faisant virevolter.
Idriss et Alexa n’en revenaient pas, eux non plus. Partagée entre la joie et l’incrédulité, Celli s’exclama :
— Allez, descendons dans la forêt.
Éperdus de soulagement et de gratitude, les Theroniens se rassemblèrent. Ils réalisaient que la forêt-monde avait de nouveau été sauvée. Non par les faeros cette fois, mais par une étrange comète vivante ; et par les Vagabonds.
Dans le ciel, des nuages s’aggloméraient, là où la montagne de glace s’était désintégrée : les restes instantanément vaporisés de la comète wentale, qui se mirent à pleuvoir. Des prêtres Verts s’étaient réunis dans la clairière. Celli et Solimar coururent à la rencontre de l’oncle Yarrod.
Cette pluie était douce et vivifiante ; un frisson de plaisir parcourut Celli lorsqu’elle la sentit sur sa peau. Les gouttelettes chargées d’énergie wentale imprégnèrent le sol cendreux de Theroc d’une vie nouvelle.
La bouche bâillant de surprise, Celli regarda des pousses, des feuilles blêmes, des tiges issues de graines et de racines soudainement régénérées émerger : un millier de fois plus vite que lorsqu’elle et Solimar dansaient. La pluie de la comète s’étendit à travers le paysage et entreprit de ranimer la forêt-monde.
Beneto se mit en marche parmi les gens stupéfaits. Son corps mouillé de pluie paraissait plus vivant que jamais.
— Il semble que nous ayons plus d’alliés que la forêt-monde ne l’avait prévu. Jadis, les wentals étaient de puissants ennemis des hydrogues. Mais les hydrogues, les faeros et même les verdanis ont cru à leur extinction. (Puis son expression se durcit.) Aujourd’hui, les hydrogues savent que les wentals sont revenus.