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RLINDA KETT
Rlinda et BeBob étaient assis, misérables, dans le cockpit du Curiosité Avide aux mains des Vagabonds apprentis révolutionnaires. Ils avaient risqué le tout pour le tout pour échapper à l’armée terrienne – et voilà qu’ils tombaient dans un nouveau piège. Un piège stupide, qui plus est ! Rlinda grinçait des dents, pendant que son compagnon ronchonnait. Impuissants, ils survolaient la lune de Plumas.
Une quinzaine de Vagabonds en provenance des puits débarquèrent sur le cargo comme s’il leur appartenait. En les regardant envahir son vaisseau, Rlinda se demanda si elle serait capable d’en abattre deux ou trois. BeBob pourrait peut-être en tuer un, si celui-ci se révélait plus petit que lui et pas trop belliqueux…
Un homme bien mis, qui s’était présenté sous le nom de Denn Peroni, arriva dans le cockpit, souriant comme s’il avait pêché un poisson plus gros qu’escompté.
— Épatant, tout simplement épatant !
BeBob avait fermé les yeux, et Rlinda supposa qu’il s’était replié en lui-même.
— J’ai essayé de faire honnêtement mon boulot, c’est tout, marmonnait-il. Où les choses ont-elles mal tourné ? Je n’ai jamais voulu attirer l’attention, je n’ai même jamais cherché à être convenablement payé. J’ai secouru ce type et cette pauvre gamine sur Corribus, et, en remerciement de cette bonne action, qu’ai-je récolté ? On m’a arrêté pour me faire passer en cour martiale ! Par-dessus le marché, mon vaisseau a été détruit, Davlin Lotze s’est probablement fait tuer, et nous sommes en fuite.
— Tout le monde en voit de dures, ces temps-ci, lança Caleb Tamblyn.
Le vieil homme dépenaillé et à l’allure acariâtre flanquait Denn Peroni. D’autres Vagabonds étaient descendus dans la salle des machines et essayaient de tirer assez d’énergie des générateurs pour faire atterrir le vaisseau sur la lune de glace.
— À partir de maintenant, ce vaisseau nous appartient à titre de butin de guerre. Un début de remboursement pour ce que la Hanse a volé aux Vagabonds.
Rlinda fulminait.
— Allez-y, ça m’arrange…
— Peut-être ne m’avez-vous pas bien entendu, plastronna Caleb. Les Terreux ont détruit nos installations, y compris Rendez-Vous ! Les dommages matériels et autres sont astronomiques.
— Peut-être est-ce vous qui n’avez pas bien entendu, rétorqua BeBob. Les Forces Terriennes en ont aussi après nous. Vous ponctionnez les mauvaises personnes.
— Alors, considérez cela comme un asile. Nous sommes heureux de vous aider. (Caleb se rendit compte qu’il avait besoin de se raser.) On vous emmène sur Plumas : un abri sûr, si les Terreux sont réellement à vos trousses.
Rlinda savait que dans son état de délabrement actuel le Curiosité n’irait nulle part.
— Il est tout à vous, pourvu que vous en preniez soin. Mais vous avez intérêt à vous dépêcher, les gars. Les FTD nous talonnent, et je vous garantis que leurs intercepteurs ont de quoi vous réduire en miettes dispersées à travers tout ce système solaire.
Cette nouvelle doucha les pirates en herbe, et ils redoublèrent d’efforts. Peroni chassa Rlinda du siège de pilotage et s’y installa, bien qu’il soit bien trop grand pour lui. La jeune femme obéit à contrecœur, afin qu’il puisse étudier les commandes.
— Soyez gentil avec mon Curiosité. Il a été jusqu’en enfer et en est revenu.
Peroni enfonça divers boutons, activa des systèmes. Mais il était clair qu’il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait.
— Avec quoi la Grosse Dinde vous permet-elle d’équiper vos vaisseaux ? Il y a des défaillances dans tous les coins… Je n’ai jamais vu une telle pagaille !
— Vous le prenez en l’état, ou non ? gouailla Rlinda. Ne venez pas vous plaindre si vous avez des réparations à faire.
Peroni n’en finissait pas de manipuler les commandes de mise à feu, de sorte que Rlinda lui montra comment allumer les propulseurs.
— Je croyais que les Vagabonds avaient renoncé à la piraterie, dit-elle. Combien de fois ai-je entendu dire que Rand Sorengaard n’était qu’une anomalie, et que le reste d’entre vous l’avait désavoué ?
— C’était quand nous pensions que Rand agissait mal, répondit Peroni, concentré sur les commandes. Aujourd’hui, il semble qu’il ait été le premier à comprendre à quel point la Grosse Dinde est perfide. C’est pourquoi nous avons décidé qu’il était seulement en avance sur son temps.
Caleb lança un regard furieux aux deux prisonniers.
— Les accusations contre lui ont été forgées de toutes pièces. Ils l’ont exécuté pour des raisons purement politiques.
Sa repartie provoqua la colère de Rlinda :
— Foutaises ! Je me fiche que vous ayez fait de lui un héros ou je ne sais quoi, mais Sorengaard a réellement détruit un cargo. Vous voulez savoir comment je le sais ? Il s’agissait de l’un de mes vaisseaux, et j’étais là. Il a tué un de mes capitaines, Gabriel Mesta.
— Ouais, et Sorengaard a tenté de me tuer, moi aussi, souffla BeBob.
Caleb ouvrit la bouche mais ne trouva rien à répondre. Peroni, occupé par les commandes, se retourna, un large sourire aux lèvres :
— Là, je crois que je l’ai en main.
Rlinda regarda les deux Vagabonds.
— Messieurs, puisque tout est dit, sachez que je compatis à ce que subissent vos clans. Vous n’avez pas à nous convaincre de la fourberie de l’armée terrienne.
— Ouais, nous y avons goûté nous-mêmes, renchérit BeBob.
Le vaisseau s’ébranla, et Peroni leva les yeux.
— Alors, je suppose que, tous les deux, vous vous êtes trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment. Désolé.
Caleb les fit sortir du cockpit puis les entraîna vers le sas où était amarré son propre vaisseau. Plusieurs Vagabonds avaient déjà rembarqué et n’attendaient que de retourner sur Plumas. Par-dessus son épaule, Rlinda lança à Peroni :
— Faites attention à mon vaisseau, ou je vous ouvre le crâne.
— C’est une merveille, je ne lui ferai pas une égratignure. Bien sûr, j’aurai besoin que vous m’aidiez à comprendre certains systèmes, à l’occasion.
Rlinda se retint de répliquer. À contrecœur, elle suivit Caleb et les siens à bord de son vaisseau. Les Rémoras se montreraient peut-être de nouveau… bien qu’elle ne voie guère le profit qu’elle en tirerait alors. Si le général Lanyan les croyait morts, et le Curiosité détruit, Branson et elle n’auraient plus qu’un problème à gérer… un gros toutefois.
Une fois les passagers embarqués, Caleb se détacha de la baie d’amarrage puis se dirigea vers la lune de glace, suivi par Denn Peroni et sa bande de pirates. Sceptique, Rlinda le regarda manœuvrer le Curiosité Avide et fut soulagée de constater qu’il ne s’en tirait pas trop mal.
À la surface de la lune, en dessous, la jeune femme vit avec surprise des traces d’occupation humaine : rampes d’atterrissage et tuyaux de forage, vaisseaux cargos à l’amarrage, embouchures de puits en composite permettant d’accéder à un océan souterrain.
— Nous avons une colonie sous la calotte de glace, expliqua Caleb. Nous vous trouverons un travail gratifiant dans les puits.
— Et ensuite ? demanda Rlinda.
Le vieillard haussa les épaules.
— Vous vivrez sous un régime de – faute d’un meilleur terme – « détention planétaire ». Plus tard, on négociera peut-être un échange de prisonniers avec les Terreux.
— Merveilleux, grommela BeBob. Exactement ce dont nous avions besoin.
Un large sourire aux lèvres, Caleb fit atterrir son appareil sur une vaste plaine glacée.
— Dorénavant, vous êtes des Vagabonds. Il faudra vous y habituer.
— Hourra, dit Rlinda d’une voix éteinte. Mes rêves sont devenus réalité…
BeBob rassembla ce qui lui restait d’optimisme.
— Au moins, nous restons ensemble. Je préfère être coincé sur une lune de glace avec toi, Rlinda, que dans une cellule des FTD. Tu as tout de même réussi à m’amener jusqu’ici.
Rlinda l’aimait pour ce qu’il venait de dire.
— Tu as raison, BeBob. J’aurais pu me retrouver en rade avec bien pire, en matière d’ex-maris !