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DEL KELLUM

–Bon sang, les compers sont devenus dingues ! s’exclama Del Kellum, à la fois interloqué et furieux, en voyant les rapports désespérés qui s’affichaient sur ses écrans. (Ses yeux sautaient d’un appel d’urgence à l’autre.) Qu’est-ce qui leur a fait perdre les pédales ? Quelqu’un a injecté de la caféine dans leur programme, ou quoi ? Merdre, je n’en crois pas mes yeux ! Je pensais que leur mémoire avait été effacée avant qu’on les mette à l’ouvrage.

— C’est le cas, répondit l’un de ses assistants. Complètement effacée !

— Ouais, c’est ce que je vois.

L’un des administrateurs des hauts-fourneaux surgit, comme s’il cherchait à semer quelqu’un lancé à ses trousses. Il arriva si vite qu’il ne parvint pas à s’arrêter à temps, heurta le mur et dut s’aider des quatre membres pour retrouver son équilibre.

— Del, j’ai un nouveau rapport ! Les compers Soldats ont surchargé le haut-fourneau G jusqu’à faire éclater le creuset. Il est en train de fondre au moment même où nous parlons !

— Des victimes ?

— Les dix ouvriers ont grimpé à temps dans deux modules cramponneurs. L’installation n’est plus qu’un tas de scories… y compris les compers Soldats qu’ils ont laissés.

Kellum empoigna l’administrateur par sa chemise brodée.

— Où est Zhett ? Quelqu’un l’a-t-il vue ?

— Je viens seulement d’échapper à ces robots en furie…

Kellum contacta un poste après l’autre. La situation était devenue folle, mais il se démenait pour reprendre le contrôle.

— Kotto Okiah est parti hier avec ses « sonnettes », pas vrai ? Il y a deux jours ? Peut-être pourrait-il aider nos ingénieurs à reprogrammer ces compers… ou au moins à les désactiver. Peut-on le faire revenir à temps ?

— Impossible, Del. À l’heure qu’il est, il se trouve à mi-chemin de Theroc.

Kellum jeta un regard fulminant aux alarmes et aux gyrophares qui palpitaient sur les écrans.

— Ils font des ravages partout !

L’un de ses assistants examina le rapport.

— On dirait que ce sont seulement les modèles Soldats. Les autres compers ne montrent aucune déviation de comportement.

— Remercions le Guide Lumineux. Mais on ne peut gérer des compers équipés pour le combat.

— Il ne s’agit pas des compers, papa, mais des Terreux prisonniers ! lança Zhett, qui venait d’apparaître à la porte. (Elle semblait bouleversée. Ses longs cheveux étaient emmêlés, son visage strié de crasse. Mais surtout, elle était rouge de colère.) C’est Fitzpatrick et ses copains… ils ont provoqué ça.

— Que t’est-il arrivé, ma chérie ? demanda Kellum en ouvrant les bras.

Mais elle était trop furieuse pour accepter l’étreinte.

— Il m’a eue, papa.

Étaient-ce des traces de larmes sur ses joues ? se demanda Del. Il essaya de lui caresser les cheveux.

— Explique-toi… mais vite.

Elle lui raconta comment Fitzpatrick l’avait dupée puis enfermée dans un entrepôt. Kellum sentit qu’elle omettait une partie de l’histoire, mais la colère qu’il éprouvait était tout entière tournée vers les détenus.

Zhett paraissait plus révoltée que blessée.

— Il m’a fallu une demi-heure pour réactiver les compers de l’autre côté, et leur ordonner de me délivrer. (Ses narines palpitèrent.) Il a volé le cargo escorteur des livraisons d’ekti. Il est parti depuis longtemps.

Tout s’éclaircit dans son esprit.

— Ce sont les Terreux qui ont fait ça ? Tu penses qu’il s’agissait d’une diversion ? Incroyable ! Regarde le grabuge, les dégâts matériels… Qui sait combien de victimes ils ont causées !

— Ça n’a pas empêché Fitzpatrick de me manipuler, de voler un vaisseau, et de s’enfuir en laissant ses camarades. Le salopard !

— Regardez ! cria l’administrateur du haut-fourneau. Cela empire de minute en minute.

Sur l’écran, un module cramponneur piloté par un comper Soldat fonça comme un missile dans une rade spationavale où se trouvait un cargo en construction. L’armature éclata et les poutrelles volèrent de toutes parts. Puis les réservoirs du module explosèrent malgré ses systèmes de sécurité, comme si le Soldat s’était arrangé pour le faire détoner. Non loin de là, des globules de métal fondu giclaient du haut-fourneau G et se déversaient dans le vide.

— Évacuez les rades, ordonna Del Kellum. Faites sortir les ouvriers. Notre priorité est de mettre tout le monde à l’abri.

— En principe, les compers protègent les êtres humains, dit Zhett. Ce programme est enraciné en eux. Comment ont-ils pu aussi mal tourner ?

— Demande à tes amis terreux, maugréa son père.

Zhett examina les écrans, à la recherche des endroits les plus chaotiques.

— Possible qu’ils aient provoqué plus de dommages qu’ils l’escomptaient. D’ailleurs, leurs équipes se trouvent au milieu de la zone de combat.

— Ils n’avaient pas prévu par exemple que les compers enflammeraient du carburant avec un détonateur… La situation leur a échappé, dit Kellum, avec l’envie de les étrangler tous, un par un. Même s’ils le méritent, je ne vais pas faire de favoritisme. Zhett, assure-toi que les Terreux sortent de là vivants, même si on décide de les tuer plus tard.

— Ça me convient, lança-t-elle avant de s’éloigner en courant.

Del poussa l’administrateur devant la console centrale.

— Prenez les commandes un moment. Moi, je sors. Préparez un module.

Un peu plus tard, lorsqu’il se fut enfin extrait du complexe administratif, Kellum eut l’impression d’entrer dans un champ de tirs croisés. Les robots Soldats fracassaient tout ce qu’ils pouvaient, surchargeaient les systèmes, projetaient des vaisseaux sur des astéroïdes d’entreposage ou même des blocs rocheux vides des anneaux d’Osquivel. Ils ne paraissaient suivre aucun plan, ne faisaient preuve d’aucun bon sens. Kellum se demanda depuis combien de temps les Terreux avaient prévu cette frappe. Ils étaient encore plus fous que leurs compers.

Zhett conduisit plusieurs navettes jusqu’à la rade d’assemblage principale, sur laquelle se trouvait le plus grand groupe de prisonniers militaires. Pendant que les compers Soldats poursuivaient leurs saccages, elle et son équipe de sauvetage hurlèrent aux Terreux d’affluer vers leurs appareils :

— Virez vos fesses de là !

L’un des prisonniers, Kiro Yamane, paraissait hagard.

— C’était une simple altération de programme, balbutia-t-il. Ils n’étaient pas censés faire ça. Je… je n’ai jamais eu l’intention de provoquer autant de ravages. Les compers agissent d’eux-mêmes…

— Vous autres, vous me dégoûtez, cracha Zhett. À quoi pensiez-vous ?

Comme il parcourait ses chantiers spationavals, Kellum se demanda comment son clan survivrait à cette série de catastrophes. Il y avait peu de temps qu’ils avaient remonté les installations et repris le travail pour rattraper le temps perdu, après la bataille d’Osquivel. Mais ces dégâts se révélaient d’ores et déjà plus dramatiques – et n’étaient pas près de s’arrêter.

Puis, alors qu’il semblait que rien ne pouvait arriver de pire, Kellum aperçut, sur ses écrans tactiques, un groupe de vaisseaux des FTD par-delà les anneaux. Il regarda à travers le hublot de son module cramponneur et fut stupéfait de découvrir un croiseur Manta accompagnant des vaisseaux diplomatiques, tous apparemment bardés d’armes. Kellum chercha le juron qui convenait dans son répertoire.

Une vieille femme au visage sévère apparut sur l’écran de transmission. Ses yeux étaient durs, sa voix aussi lourde qu’une massue.

« Ici Maureen Fitzpatrick, ancienne présidente de la Ligue Hanséatique terrienne. Quelqu’un pourrait-il me dire ce qui se passe, bon sang ? »

Soleils éclatés
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