105
UDRU’H L’ATTITRÉ DE DOBRO
Alors même que le croiseur rebelle faisait route vers Dobro pour accomplir sa mission de conquête, le shiing s’infiltrait dans son système de ventilation et envahissait ses ponts. Les bouteilles contenaient suffisamment de drogue pour soumettre une scission entière ; il y en avait plus qu’assez pour détacher l’équipage du thisme de Rusa’h.
Toujours caché, Udru’h attendait dans les soutes en compagnie d’Adar Zan’nh. Le temps s’écoulait avec lenteur.
Certains membres de la Marine Solaire remarquèrent leur soudain manque d’attention et s’en alarmèrent. Mais la drogue agit rapidement, apaisant leurs pensées. Bientôt, l’équipage entier se retrouva désorienté, en partie inconscient et – plus important – coupé du thisme de l’Attitré dément.
— Même s’ils sont perdus, au moins leur esprit est-il libéré, dit Zan’nh, la voix étouffée par son masque filtrant. J’aurais préféré que Thor’h soit à bord. J’aimerais le voir enfermé dans mon ancienne cellule, là où il ne pourrait plus nuire à personne.
Bientôt, l’air s’épaissit, comme si un léger brouillard s’était levé. Libéré de Rusa’h, l’équipage n’était désormais plus relié à aucun thisme. Udru’h et Zan’nh devaient imposer de nouveau leur ascendant, convaincre l’équipage de sa folie passée. Une tâche délicate en perspective.
Zan’nh arracha les pièces de déguisement empruntées aux cadavres des gardes mais conserva son masque filtrant. En dessous, son uniforme militaire était en loques et ensanglanté, mais il l’arborait avec fierté.
— Cela a assez duré. Je veux revenir au centre de commandement… mon centre de commandement.
Udru’h lui retourna un sourire contenu.
— À vos ordres, adar.
Les deux Ildirans franchirent les ponts en direction de la passerelle. Désormais, ils ne prenaient plus la peine de se cacher. Bien qu’ils n’aient plus dans l’idée de se battre, tous deux portaient des armes. Udru’h savait que, s’il le fallait, ils seraient capables de tuer des membres d’équipage. Mais ceux qu’ils croisèrent se contentaient de secouer la tête, comme s’ils n’arrivaient plus à retrouver le fil de leurs pensées.
— Je me demande si Rusa’h a conscience qu’il ne contrôle plus ses disciples, songea Udru’h à haute voix.
— J’espère qu’il sent bien davantage que cela, répliqua l’adar d’une voix noire de colère. J’espère qu’il sent sa rébellion tout entière tomber en morceaux.
Udru’h s’arrêta sur le seuil du centre de commandement.
— Nous n’avons presque plus de temps. D’après le plan de vol, le croiseur approche de Dobro.
— Alors, il faut agir.
Zan’nh pénétra sur la passerelle comme un général victorieux. Sa voix retentit, assez puissante pour faire sursauter les membres d’équipage à leur poste :
— Votre adar est de retour ! Vous allez obéir à mes ordres.
Il les regarda l’un après l’autre, les dominant du regard. Toujours sous l’influence du shiing, l’équipage se trouvait dans un état de stupéfaction ou de quasi-panique. Sans Rusa’h pour les diriger, ils n’avaient plus rien à quoi se raccrocher et étaient influençables.
— Écoutez-moi, dit Zan’nh sur un ton de commandant aguerri, qui rappelait celui d’Adar Kori’nh.
Udru’h se tenait à ses côtés. Tous deux affichaient une ferme assurance. Après un long instant, l’un des membres d’équipage se leva en flageolant et fit le salut ildiran, poing plaqué sur la poitrine. Le capitaine du croiseur secoua la tête, comme s’il émergeait d’un rêve. Il fixa des yeux l’insigne de l’adar puis sembla le reconnaître.
— Adar ! lança-t-il, trébuchant en arrière.
Alors, lui aussi fit le salut.
Un par un, les membres d’équipage se rendirent. Udru’h sourit :
— Très bien, adar.
Voyant Dobro grossir sur l’écran principal de la passerelle, il ouvrit son esprit aux rayons-âmes du thisme.
— Puisque vos opérateurs radar ne semblent pas très réactifs, peut-être devriez-vous vérifier vous-même sur les écrans ?
Zan’nh régla les capteurs longue portée du croiseur. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il repéra plusieurs échos, d’autres encore – puis une véritable nuée de vaisseaux qui se rapprochaient à vive allure.
L’Attitré de Dobro sourit. Malgré son ressentiment à son encontre, Jora’h avait pris le risque de suivre son plan.
— Est-ce le reste de ma maniple ? demanda Zan’nh. Est-ce que Thor’h… (Il regarda son équipage vidé de toute énergie, et la perplexité envahit son visage hagard.) Je doute de pouvoir engager ce croiseur dans une bataille maintenant.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Il devint vite évident qu’il s’agissait de bien plus qu’une maniple : une gigantesque flotte armée jusqu’aux dents s’était placée en travers de leur route. Trois cent quarante-trois vaisseaux : une cohorte de la Marine Solaire au grand complet.
À présent, Udru’h n’avait plus envie de dissimuler sa présence. Il perçut la connexion et se réjouit de la présence si proche du Mage Imperator. Des centaines d’artilleurs se tenaient prêts à ouvrir le feu sur eux.
Il se tourna vers Zan’nh.
— Nous savions quand Rusa’h arriverait pour menacer Dobro. Aussi le Mage Imperator a-t-il envoyé une flotte lourdement armée ici. Avec l’intention d’anéantir ce vaisseau.
— Mais nous sommes à bord ! s’exclama l’adar avec surprise.
Un mince sourire sur le visage, Udru’h écarta un opérateur radio et régla lui-même la fréquence de transmission.
— Votre père comprend enfin que les mesures extrêmes sont parfois nécessaires.