131
SULLIVAN GOLD
Lorsque les extracteurs d’ekti, tant ildirans qu’humains, furent amenés au Palais des Prismes, Sullivan Gold se sentit dans la peau d’un héros. Il n’avait pas prévu cette heureuse conséquence, mais il avait eu raison de sauver les Ildirans. Lydia aurait été fière de lui.
Sullivan n’était pas le genre de personnage à voyager pour voir les merveilles du Bras spiral. Il n’avait jamais rêvé d’être accueilli ainsi dans la métropole de cristal de Mijistra. Afin de les remercier de leur sauvetage désintéressé, une foule de fonctionnaires ildirans étaient venus célébrer l’arrivée des humains, et les combler d’honneurs. Sullivan espérait recevoir pareil accueil quand, de retour sur Terre, il paraîtrait devant le président de la Hanse.
Kolker, cependant, demeurait inconsolable. Ici, le prêtre Vert, toujours coupé du réseau du télien, restait comme aveuglé. Sullivan tentait de soutenir son lugubre compagnon :
— Je ne crois pas que les Ildirans possèdent des arbremondes ici, mais je suis certain qu’ils nous renverront bientôt chez nous. Peut-être même vous déposeront-ils sur Theroc. Il vous faut attendre un peu.
La tête de Kolker ballait sous le poids du chagrin et de la solitude.
— Chaque heure à venir semble impossible à supporter, dit-il. Est-ce ainsi que vous autres vivez au quotidien ? Déconnectés à ce point, parlant dans une imitation si superficielle de communication réelle…
Sullivan lui pressa les épaules.
— Néanmoins, c’est tout ce que l’on a, et notre civilisation s’est débrouillée avec pendant des milliers d’années.
Kolker le regarda, une expression égarée sur le visage.
— Mais vous êtes-vous vraiment débrouillés avec cela ? Pensez aux guerres provoquées par des malentendus. Une communication plus claire les aurait évitées.
— Vous avez peut-être raison, reconnut Sullivan en triturant sa lèvre inférieure. Rappelez-vous simplement que, chaque fois que vous aurez besoin de parler – à l’ancienne –, vous n’aurez qu’à venir me trouver. Je serai là.
Un courtisan du Palais des Prismes trouva les deux hommes sur un balcon ensoleillé. Il portait des vêtements baroques évoquant quelque étrange costume de théâtre.
— Le Mage Imperator requiert votre présence dans la salle de réception de la hautesphère.
Sullivan sourit au prêtre Vert.
— Voilà qui ressemble plus à ce que j’attendais.
Et il suivit d’un pas leste ses compagnons dans les couloirs multicolores.
Dans la salle royale étincelante, Jora’h le Mage Imperator siégeait dans son chrysalit. Des Ildirans de divers kiths parcouraient en tous sens le sol ornementé.
— Sullivan Gold, gérant du moissonneur d’ekti de Qronha 3, annonça le courtisan. Et le prêtre Vert Kolker.
Le Mage Imperator fit signe aux deux hommes de s’avancer. Si son visage arborait les premières rides de l’âge, il paraissait fort et en bonne santé, à l’opposé des images du corpulent Cyroc’h que Sullivan avait vues. Son expression était chaleureuse et amicale.
— Nous avons une dette envers vous, Sullivan Gold. Vous avez risqué votre vie pour sauver beaucoup de nos travailleurs. Nous vous remercions pour le service rendu à l’Empire ildiran.
— J’en suis heureux. Il était juste d’agir ainsi.
Sullivan s’inclina afin de dissimuler ses tempes empourprées.
Avant que le Mage Imperator puisse répondre, des gardes du kith des guerriers surgirent dans la salle d’audience, semant la confusion parmi les pèlerins. Yazra’h les accompagnait.
— Seigneur, vous devez voir cela ! Dans le ciel. Il y en a des milliers !
Sullivan regarda autour de lui, cherchant à comprendre. Kolker partageait sa perplexité.
Des kiths assisteurs se précipitèrent vers le chrysalit, mais le Mage Imperator se leva et descendit les marches de l’estrade. Yazra’h s’avança vers lui pour le guider.
— Venez avec moi, ordonna Jora’h aux gardes.
Comme personne ne les priait de rester en arrière, les deux humains, désireux de découvrir l’origine de cette effervescence, suivirent le cortège à distance respectueuse. Quand ils eurent atteint une niche transparente au flanc du dôme, ils levèrent les yeux. Le cœur de Sullivan se recroquevilla dans sa poitrine. Il avait espéré ne plus jamais revoir cela.
Le ciel était rempli d’orbes de guerre. Des centaines de sphères de diamant hydrogues survolaient le Palais des Prismes. Le silence tomba comme la hache du bourreau. Les Ildirans regardaient avec terreur et incrédulité.
— Eh bien, au moins n’attaquent-ils pas, dit Sullivan, et, bien que faible, sa voix résonna, assourdissante, dans le silence général.
Jora’h se tourna vers lui, les yeux étrécis.
— Ils n’attaqueront pas. Je dois me rendre sur la plus haute tour du palais, et m’adresser à eux.