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LE PRINCE DANIEL
Après quelques jours livré à lui-même, Daniel avait quelque peu perdu le goût de la liberté.
Il avait faim. Il n’avait nulle part où aller, aucun ami à joindre. Partout où il allait, il s’imaginait que des espions du président le traquaient. Aussi discrètement que possible, il regardait les nouvelles, à l’affût d’avis de recherche le concernant. Il avait supposé que la Hanse offrirait une récompense substantielle à quiconque le ramènerait sain et sauf. Mais personne n’avait mentionné son évasion. Rien ! Pour tout le monde, le prince Daniel vivait comme un coq en pâte dans ses appartements, au Palais des Murmures.
En cet instant, avec des trous dans ses vêtements, il avait l’air sale et négligé. Bien qu’il ne l’eût jamais admis, il aurait volontiers mangé de cette nourriture si saine et ennuyeuse que lui infligeait OX. Et cela l’exaspérait au plus haut point.
Poussé par le désespoir, il marcha jusqu’au quartier où il avait vécu jadis, avec son beau-père et son idiote de sœur. Il n’avait jamais regretté de les avoir quittés, mais peut-être l’aideraient-ils. Il avait hâte de pouvoir moucher sa sœur en lui révélant qu’il était devenu le nouveau prince de la Hanse. Mais arrivé à son pâté de maison, il découvrit que l’immeuble avait disparu. Il avait été rasé et remplacé par un complexe de bureaux et de magasins.
Il devait prendre soin de ne pas montrer trop de curiosité, car le président Wenceslas faisait probablement surveiller les environs. Affectant un air désinvolte, il demanda à une vieille femme ce qui était arrivé aux anciens habitants. Celle-ci haussa les épaules.
— Expulsés, je crois. Un risque sanitaire, une épidémie ou quelque chose comme ça. Quelques personnes sont mortes, et le reste s’est retrouvé à la rue.
Mal à l’aise, Daniel se remit en marche sans l’avoir remerciée. Hébété, il se souvint qu’il n’y avait pas si longtemps le roi Peter avait surgi dans ses appartements en clamant que la Hanse avait assassiné sa famille. À l’époque, cela ne lui avait paru qu’une manœuvre destinée à l’inquiéter.
À présent, il n’en était plus si sûr.
La nuit venue, comme la faim le tenaillait toujours, il se glissa jusqu’à l’entrepôt d’une épicerie en gros. Il cassa une vitre et parvint à ouvrir la porte. Il n’avait aucun plan, se contentant de se gaver des premières denrées comestibles qu’il put saisir dans les cartons : des biscuits salés et un tube de confiture.
Lorsqu’il s’enfonça plus avant dans l’entrepôt, à la recherche de nourriture à emporter, il entendit un claquement dans son dos. Des panneaux de sécurité automatiques s’étaient rabattus sur l’entrée fracturée. Il se rua dessus mais ne trouva aucune sortie. Il devait avoir déclenché une alarme muette.
Pendant qu’il attendait, résigné, la police locale, il tâcha de se remplir l’estomac autant que possible. Comme il entendait les voitures et voyait des hommes en uniforme en émerger, il se composa une expression indignée.
— Vous en avez mis du temps ! se plaignit-il, en s’efforçant d’adopter un ton de commandement, comme dans les leçons de diplomatie que lui avait données OX. Je teste les systèmes de sécurité de la Hanse. Des voleurs professionnels auraient eu largement le temps de vider cet endroit.
Les policiers convergèrent sur lui, l’air peu amène, leurs convulseurs braqués sur lui.
— Je suis le prince Daniel. Vous ne me reconnaissez donc pas ?
Manifestement non. Pas plus qu’ils ne le crurent.
Quelques instants après la police, des journalistes arrivèrent pour filmer l’arrestation. Daniel se démena et brailla qu’il était le prince, au grand amusement des journalistes.
Finalement, les policiers usèrent de leurs convulseurs, dont la décharge neutralisa ses liaisons nerveuses. Le garçon chuta immédiatement, incapable de contrôler ses muscles. Il demeura conscient, alors même qu’il s’affalait, inoffensif. Il n’avait jamais été paralysé de la sorte.
On transporta le jeune homme encore en proie à des secousses dans un immeuble en forme de blockhaus, et on l’enferma avec d’autres suspects à l’air misérable. Ses cris et ses réclamations outragées laissèrent les policiers indifférents.
Au matin suivant, un homme large d’épaules et habillé avec soin arriva. Daniel reconnut Franz Pellidor, l’un des adjoints spéciaux du président.
— Je suis son oncle, déclara-t-il à l’un des factionnaires du poste de police. Je crains qu’il soit un peu délirant. Il doit avoir encore réussi à cacher ses médicaments. Je vous présente mes excuses. Bien sûr, ma famille paiera l’amende ainsi que le remboursement des dégâts.
Il conduisit le garçon dehors, lui broyant le bras comme dans un étau.
— D’accord, je suis désolé, grimaça le jeune fugueur. J’ai compris la leçon. Ramenez-moi au Palais. J’avoue que je suis content de vous revoir.
Pellidor lui jeta un regard de mépris absolu.
— Vous changerez vite d’humeur quand vous verrez le président Wenceslas.