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ADAR ZAN’NH
— Augmentez l’allure ! ordonna Zan’nh, sur la plate-forme du centre de commandement. Interceptez le vaisseau avant qu’il atteigne l’orbite.
Le navigateur secoua la tête.
— Son accélération est trop importante, adar. On ne pourra pas l’attraper.
— Continuez la poursuite. Quelle est la portée de cette navette ?
— Il semble qu’ils aient modifié ses propulseurs, sa poussée est bien supérieure aux normes prévues. Mais elle n’a certainement pas la capacité de quitter le système d’Hyrillka.
— Où a-t-il l’intention d’aller ? se demanda Zan’nh à haute voix… Suivez-le !
Au palais-citadelle, le Mage Imperator envoya un message :
« Mettez l’Attitré d’Hyrillka en état d’arrestation si vous le pouvez, adar… mais faites d’abord en sorte qu’il ne s’échappe pas. Il a déjà causé trop de dommages, et nous devons y mettre fin. »
Le croiseur amiral continua à accélérer. À cause de sa masse, sa vitesse n’augmentait que lentement, mais ses propulseurs étaient supérieurs à ceux de la petite navette royale. Dans son équipée aussi folle que vaine, celle-ci avait déjà poussé le régime des moteurs au-delà de leurs limites. Zan’nh transmettait ses mises en garde à Rusa’h, exigeant sa reddition, mais ce dernier le défiait en retour.
Autour d’eux, les étoiles de l’Agglomérat d’Horizon scintillaient telle une poignée de gemmes jetées dans le vide de l’espace. Le second soleil du couple stellaire d’Hyrillka dispensait sa lumière orange sur les planètes, tandis que le soleil principal blanc-bleu luisait tel un phare au centre du système.
— L’Attitré vous a corrompus, il vous a obligés à vous retourner contre votre Mage Imperator, dit Zan’nh en regardant farouchement son équipage. Il est responsable du chaos et des massacres incommensurables qui ont eu lieu. Nous devons l’arrêter avant qu’il poursuive son hérésie.
Bientôt, l’intention de Rusa’h devint évidente. Son but n’était pas de s’échapper. Tandis qu’il fonçait vers l’étoile centrale du système hyrillkien, il envoya un dernier message au croiseur amiral à ses trousses. Mais au lieu de montrer peur et désespoir, l’Attitré semblait triompher :
« Moi et mes derniers disciples retournons à l’endroit de la pure illumination ! Nous allons ne faire plus qu’un avec la Source de Clarté. Des incroyants tels que vous ne pourriez pas le supporter – mais nous, nous serons sauvés. »
— Il se dirige droit vers le soleil, dit Zan’nh. Visez ses propulseurs. Nous devons l’arrêter.
Les artilleurs firent feu avec soin, mais à mesure que la navette de Rusa’h s’approchait de la couronne solaire les instruments de pointage de cible perdaient de leur précision. Un tir endommagea légèrement les propulseurs de la navette ; un second atteignit plus sérieusement les moteurs, mais il était trop tard : la navette était prise dans les sables mouvants de la gravité stellaire. Elle tomba vers la photosphère, océan de plasma d’où s’élevaient des panaches de feu.
Zan’nh peinait à conserver son équilibre dans les tempêtes magnétiques qui secouaient son croiseur. Des parasites firent crépiter l’écran principal, et une pluie d’étincelles jaillit de plusieurs consoles de commande.
— Il faut faire demi-tour, adar, conseilla le navigateur. Le vaisseau de l’Attitré d’Hyrillka est perdu, et si nos propulseurs subissent de nouveaux dommages nous ne pourrons plus nous extraire de là.
— Cela n’en vaut pas la peine, insista l’officier du poste d’artillerie. Il est déjà perdu.
Zan’nh scruta l’image fortement filtrée sur l’écran. La navette n’était plus qu’un éclat tombant au sein du soleil. Il opina enfin.
— Replions-nous. Je ne permettrai pas à mon oncle de causer d’autres morts : certainement pas les nôtres.
Grinçant sous l’effort, le croiseur reprit de la distance.
Une ultime transmission leur parvint, à peine audible à cause des parasites :
« Regardez ! criait Rusa’h. La Source de Clarté ne nous a pas abandonnés ! »
Quelque chose se produisait dans les couches de gaz du soleil. Des traits de feu s’incurvaient sur des milliers de kilomètres, suivant les lignes du champ magnétique de l’étoile. Soudain, les cellules de convection bouillonnantes se calmèrent un instant, tels des nuages qui s’écartent.
À la stupéfaction de Zan’nh, des structures incroyables surgirent, comme une ville posée à la surface du soleil : des sphères, des dômes et des pyramides, contenant des matériaux incandescents, trop brillants pour être contemplés. Des ellipsoïdes flamboyants s’élevaient des nuages ionisés, des vaisseaux que l’on aurait dit modelés dans du feu.
— Les faeros ! s’exclama-t-il d’un ton révérencieux. Le soleil abrite une ville faeros.
Les bolides protégèrent l’appareil de Rusa’h quelques instants avant qu’il s’incinère.
« Regardez la lumière, si brillante, si pure ! » émit Rusa’h.
Tandis que le croiseur amiral se mettait à distance respectueuse de la couronne solaire, les entités ignées entourèrent la navette royale puis s’évanouirent dans les profondeurs de la mer de plasma. Malgré les filtres de l’écran, l’intensité lumineuse fit larmoyer Zan’nh, et il lui fut impossible d’en distinguer davantage.
Subjugués, les officiers lui transmirent leurs rapports d’une voix hachée :
— La plupart des systèmes sont de nouveau opérationnels, adar. Nous pouvons revenir en toute sécurité sur Hyrillka.
Zan’nh contempla un long moment le soleil blanc-bleu dans lequel l’Attitré fou avait disparu, puis acquiesça :
— Oui. Ramenez-nous auprès du Mage Imperator. La révolte est finie.