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OSIRA’H

Dans les abysses de Qronha 3, seule dans son caisson pressurisé, Osira’h se sentait dans la peau d’un animal de zoo. À travers les parois de cristal blindé, elle contemplait le milieu d’une étrangeté absolue où habitaient les hydrogues.

Par un moyen ou un autre, elle devait servir d’intermédiaire entre eux et le Mage Imperator. Elle n’était pas censée passer quelque accord que ce soit : seulement les convaincre de parler avec son père. Néanmoins, elle espérait leur faire comprendre l’inanité de cette guerre. Les hydrogues et les « rocailleux » n’avaient pas de besoins contradictoires et ne se disputaient aucune ressource. Mais ils n’avaient pas non plus de terrain d’entente, d’expérience partagée… à moins qu’Osira’h érige un pont entre eux.

Les hydrogues se tenaient devant elle tels des soldats de plomb… ou plutôt de mercure. Osira’h ressentit un tiraillement mental, comme s’ils tentaient de l’atteindre à travers l’atmosphère de son caisson cristallin. Elle ferma à demi les paupières et invoqua ses différents talents : la télépathie de prêtresse Verte héritée de sa mère, la discipline enseignée par l’Attitré de Dobro, la perception du thisme issue de son père, et l’amour qu’elle avait perçu en lui lors de leur première rencontre.

Elle chassa les doutes et les pensées négatives de son esprit. Se concentrer. Se concentrer…

.

Le lien qui s’établit entre Osira’h et les hydrogues fut pareil à un arc électrique tendu entre eux. Une porte ouverte, le premier pas vers une compréhension mutuelle. Mais ils étaient si étrangers !

Son impulsion initiale fut de fermer son esprit afin de chasser cette présence inhumaine, mais elle s’obligea à maintenir le contact. Ses mains menues se crispèrent. Elle devait devenir le canal par lequel passeraient les pensées ildiranes et hydrogues. Le moyen pour les deux parties de s’exprimer. Les robots klikiss avaient rempli cette fonction des millénaires auparavant ; aujourd’hui, Osira’h ferait de même.

D’abord, elle ne capta pas clairement la forme et l’organisation des pensées hydrogues ; mais elle progressa rapidement – bien plus, espérait-elle, qu’ils le supposaient. La plupart d’entre elles lui demeuraient floues et incompréhensibles, mais elle commença à sentir un trouble parmi eux, peut-être de la détresse. Leur villesphère grouillait d’activités, de plans qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer.

Enfin, des images confuses atteignirent son esprit, et elle comprit : une flottille de vaisseaux humains avait surgi dans les nuages en surplomb, transportant dans ses flancs une nouvelle sorte d’arme. En même temps, Osira’h sentit que les hydrogues préparaient une terrible surprise aux intrus.

Par l’intermédiaire des images reçues, Osira’h vit que la septe de Yazra’h était partie, et son cœur se gonfla. Ainsi, sa sœur l’avait abandonnée dans les nuages… mais telle était la mission que lui avait confiée le Mage Imperator. Ils n’auraient jamais pu aller à son secours, de toute façon. Tout dépendait de sa réussite.

Puis, avec un regain de surprise et de peur, elle apprit que les créatures des abysses gazeux étaient prêtes à lancer une nouvelle attaque contre les verdanis. Leur haine exsudait de leurs pensées.

Theroc, le monde natal de la forêt-monde !

Osira’h se raidit, prenant garde à ne pas laisser percer son inquiétude. La planète de sa mère ! La fillette ne l’avait jamais visitée, mais Nira avait partagé avec elle tant d’images saisissantes qu’il semblait à Osira’h qu’elle était à sa place parmi les arbremondes. Elle avait effleuré le délicat surgeon dans les appartements personnels du Mage Imperator, et cela lui avait paru juste.

Néanmoins, elle appartenait également aux Ildirans. Peut-être accomplirait-elle quelque chose pour les deux peuples. Elle ne devait pas se contenter de convaincre les hydrogues de communiquer avec le Mage Imperator.

Elle pressa les mains contre la paroi de cristal incurvée et envoya un appel clair, même s’il était dépourvu de mots. La vue de deux robots klikiss descendant des méandres informes de la villesphère la remplit de stupéfaction. Ils avaient rompu leur pacte avec l’Empire ildiran, et cependant ils restaient parmi les hydrogues !

Un frisson la parcourut. Encore des secrets, encore des machinations ? Debout au côté des hydrogues, les machines insectoïdes se mirent brusquement à converser dans leur langage chantant de bourdonnements et de cliquetis. Leurs capteurs optiques écarlates clignotaient sous leur noire carapace. Osira’h savait qu’ils avaient trahi son peuple en rompant l’alliance, mais pourquoi se trouvaient-ils encore ici ?

Soudain, une nouvelle idée s’imposa à son esprit. Les hydrogues n’étaient pas effrayés par les vaisseaux-béliers des humains. Ils avaient préparé une embuscade mortelle. L’univers tout entier repose-t-il donc sur la fourberie ? se demanda-t-elle.

Elle était une enfant de sept ans standard. Voilà qui pouvait tourner à son avantage, si l’ennemi la sous-estimait. Il lui faudrait se montrer plus intelligente, plus obstinée, plus imprévisible que les hydrogues et les robots klikiss réunis.

Elle émit sa requête, formant des images identifiables par les hydrogues. Elle leur montra que les Ildirans ne souhaitaient pas poursuivre la guerre, pas plus qu’ils ne l’avaient provoquée. Le Mage Imperator désirait communiquer avec eux.

Elle pensa, aussi clairement qu’elle le pouvait :

Il y a des millénaires, les robots klikiss ont agi comme intermédiaires pour signer un pacte de non-agression entre vous et les Ildirans, pendant que vous combattiez d’autres ennemis. (Dans sa tête, Osira’h ressentit un inexplicable dégoût pour les « renégats » faeros, un violent ressentiment vis-à-vis des verdanis ainsi que d’êtres élémentaux basés sur l’eau qu’ils appelaient les « wentals »… Ils s’étaient fait beaucoup d’ennemis.) Mais on ne peut faire confiance aux robots klikiss, poursuivit-elle, restant concentrée. Ils vous ont dressés contre nous. (Elle regarda les machines noires, de l’autre côté des parois cristallines. Elle n’arrivait pas à deviner qui les hydrogues allaient croire.) Mais je comblerai le fossé entre nos deux espèces. Jamais encore il n’y a eu de dialogue direct entre nous. Nous souhaitons vous comprendre. Je peux vous mettre en relation avec le Mage Imperator.

Son caisson aux parois vitreuses vacilla puis commença à bouger. Les hydrogues le poussaient en douceur vers un autre caisson, de fabrication plus grossière, qui se dressait non loin de là, vide, dans ce milieu à haute pression. Ils répondirent à Osira’h, et la fillette ressentit leur aversion à l’égard des humains.

Des voix hydrogues résonnèrent en elle comme autant de gongs :

Ils se sont alliés aux verdanis. Ils ont détruit des mondes hydrogues. Ils doivent être anéantis – comme jadis l’espèce klikiss.

Les hydrogues transportèrent son caisson jusqu’à une salle basse de plafond, qui emprisonnait un groupe d’humains. Derrière les parois transparentes biseautées, les captifs semblaient plongés dans l’abattement. Certains portaient des uniformes militaires, d’autres des tenues civiles en usage dans la Hanse ; mais tous arboraient la même expression de peur. Osira’h voulut savoir qui ils étaient, et pourquoi les hydrogues les détenaient.

À fin d’expérimentation. À fin d’amusement. Et pour comprendre. Les humains doivent être détruits. Ils ont utilisé le Flambeau klikiss pour annihiler nos mondes.

Le rôle de la fillette se cantonnait à celui de canal de communication, mais elle ne pensait pas que son père verrait une objection à ce qu’elle tente de les faire changer d’avis.

Pardonnez-leur, émit-elle d’un ton insistant. Ils ne savaient pas que vous existiez.

Ils ont utilisé leur arme à plusieurs reprises.

Elle fronça les sourcils. Il y avait tant de choses qu’elle ignorait !

Puis elle reçut des trois créatures de vif-argent une image pleine de violence de l’humanité exterminée. Et des verdanis. Et des faeros. Un flot mental si puissant qu’il la heurta comme une onde de choc physique :

Si vous êtes venue parler en faveur des humains, nous vous détruirons sur-le-champ.

Elle sentit que, s’ils étaient disposés à écouter sa supplique au nom de l’Empire ildiran, les hydrogues resteraient toujours opposés à inclure les humains dans leurs considérations. Osira’h contempla les prisonniers. Elle ne pouvait rien pour eux. Tandis que les hydrogues éloignaient son caisson, elle garda les yeux fixés sur plusieurs d’entre eux jusqu’à ce qu’ils soient hors de vue.

Une nouvelle fois, elle s’efforça de se concentrer sur ses pouvoirs. Cette occasion était la seule qu’elle aurait jamais de délivrer l’invitation du Mage Imperator. Pour le meilleur ou pour le pire. Ses frères et sœurs – en fait, toutes les générations précédentes d’hybrides qui avaient mené jusqu’à elle – avaient été génétiquement conçus dans cet unique dessein. Osira’h devait remplir la fonction pour laquelle elle était née : faire voir la vérité aux hydrogues en ouvrant leur esprit au sien. Elle sauverait les Ildirans, comme ils l’exigeaient d’elle… et malgré le risque qu’ils soient maudits pour cela. Mais d’après Jora’h, le prix à payer importait peu.

Celui-ci avait affirmé qu’il n’y avait pas d’autre moyen. Lui avait-il menti, lui aussi ? En la matière, il était obligé d’agir en tant que Mage Imperator, non comme son père ou comme l’amant de sa mère. Et elle devait lui obéir… ou du moins essayer.

Elle procéda ainsi qu’on l’y avait entraînée. Elle abaissa ses défenses mentales, devenant un canal entre deux espèces fondamentalement différentes.

Ses pensées à présent exposées sans restriction, une liaison totale s’établit entre les hydrogues et son esprit enflammé. Ses talents s’épanouirent dans toute leur plénitude, plus éclatants que jamais.

Alors, les hydrogues furent à sa portée.

Soleils éclatés
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