33

ORLI COVITZ

Même s’il n’avait pas souhaité la compagnie de la fillette, Hud Steinman prenait ses responsabilités au sérieux.

— J’ai toujours su qu’il me fallait un abri en dur, dit-il. Aujourd’hui, le prétexte est tout trouvé pour me construire un véritable palais !

Orli se nettoyait consciencieusement. Elle se sentait aussi sale que l’était le vieil ermite.

— Je ne me suis pas plainte de dormir à même le sol, répondit-elle.

Toutefois, elle devait admettre que le camping se révélait beaucoup moins amusant en pratique qu’en théorie.

— Je n’ai pas dit ça. Mais mon dos me fait un mal de chien, c’est pourquoi il est temps de se construire une maison. (Il la regarda, le front plissé.) Je ne pense pas que tu t’y connaisses en menuiserie ou en maçonnerie ?

— Je sais seulement le peu qu’il y avait dans mes livres d’école.

Steinman haussa les épaules.

— On verra bien si c’est compliqué ou pas.

Il sélectionna un endroit près d’une source pour y installer leur « propriété » puis entreprit de gribouiller des plans. Orli aidait de son mieux en triant les outils récupérés dans les ruines. Pendant qu’il ne regardait pas dans sa direction, elle vérifia également les calculs de Steinman. Elle savait qu’il avait repéré son manège, mais il n’émit aucune objection : soit il appréciait son geste, soit il considérait sa relecture comme utile… Elle détecta quelques erreurs mais ne les releva pas.

Lorsqu’il se fut convaincu qu’il était au point, le vieil homme exposa son projet à Orli et expliqua comment tous deux devaient s’y prendre.

— On peut couper des percharbres pour la charpente. On fabriquera des planches avec la scie laser, et les rondins plus petits formeront une armature parfaite.

Orli se laissa gagner par l’enthousiasme.

— Si on entrelace des herbes, on produira des espèces de cordes, qu’on utilisera pour attacher les rondins d’armature.

Elle en avait déjà tressé quelques-unes autour du feu de camp.

— Est-ce qu’on ne fabriquait pas jadis des briques avec de la boue ? suggéra Steinman. Ce serait possible. Ce monde regorge de matériaux de construction !

Ils abattirent sans peine un percharbre, et sa chute dans les hautes herbes provoqua la fuite éperdue de deux bacrabes. La cime leur fournit trois poutres solides, facilement transportables. Mais lorsqu’il tenta de débiter le tronc en planches égales, Steinman l’endommagea à tel point qu’il ne fut plus utilisable que pour rafistoler les murs.

— Comme bûcheron, je ne vaux rien. Cela dit, je n’ai jamais prétendu le contraire…

Ils eurent plus de chance avec les deuxième et troisième tentatives. Au quatrième percharbre, ils disposaient de suffisamment de bois pour commencer. Ils plantèrent les plus grosses poutres dans le sol, les faisant tenir au moyen d’un mélange de boue et de gravier. Ensemble, ils dressèrent les poteaux d’angle et insérèrent les poutres transversales dans des encoches creusées par Orli. Peu à peu, l’ouvrage prenait tournure.

Ils suivirent le plan de Steinman du mieux qu’ils purent. Le gros des travaux accompli, la fillette examina l’abri de fortune. Steinman avait imaginé un palais aussi original que primitif, un foyer à la Robinson Crusoé. Au lieu de cela, ils se retrouvaient avec une cabane qui volerait en éclats à la première tempête. Tout à fait le genre de projet, mal conçu et mal réalisé, qui aurait pu germer dans la tête de son père…

Piquée par cette pensée, Orli redressa l’échine. Peu importait que leur cabane soit bancale, elle en était fière. Ils l’avaient construite tout seuls, avec des matériaux primitifs et dans de rudes circonstances.

— Ça ira, dit-elle, et Steinman lui donna une tape dans le dos.

 

Lassée de manger des grillons poilus à chaque repas, Orli écuma la prairie à la recherche de graines, de tubercules ou de fruits comestibles. Mais par où commencer ? se demanda-t-elle. Elle grignota avec précaution des bouts de feuillage, de baies et de racines farineuses. Elle identifiait et rejetait les feuilles au goût trop acide. Une baie bleuâtre la fit vomir sitôt avalée. Mais une racine brune, sucrée et à la texture grumeleuse ne provoqua aucun mal d’estomac après qu’elle l’eut ingérée. Certaines fleurs lui enflammèrent la gorge tant elles étaient épicées, mais elles avaient bon goût. Progressivement, la fillette ajouta des couleurs et de la variété à leur régime.

Steinman l’avertit :

— Prends garde à recracher tout ce qui ressemble à du poison.

— Et qu’est-ce qui ressemble à du poison ?

— Je ne sais pas. Si j’en avais avalé, je serais probablement mort…

D’exaspération, Orli leva les yeux au ciel… et se figea. Elle loucha, jusqu’à être certaine d’avoir bien vu le sillage de fumée d’un vaisseau en approche. Celui-ci descendait droit sur le canyon et la colonie détruite.

— Un vaisseau ! Regardez, monsieur Steinman, un vaisseau !

Steinman tapa dans ses mains en riant.

— Sûrement l’un des vaisseaux de ravitaillement de la Hanse, gamine. Est-ce qu’on ne devait pas recevoir une cargaison d’équipement ?

Le point noir qui les survolait à haute altitude grossit jusqu’à devenir la silhouette reconnaissable d’un cargo. Orli courut en agitant les bras.

— Viens ! appela Steinman. Il faut atteindre la ville avant qu’il redécolle.

Tous deux fendirent les hautes herbes. Des bacrabes, en les entendant débouler bruyamment, s’égaillaient. Rapidement, Orli distança le vieil homme, mais elle se força à ralentir afin qu’il la rattrape. Elle mourait d’envie de voir leurs sauveteurs, mais s’il s’agissait d’une nouvelle attaque des robots elle préférait avoir l’ermite à ses côtés.

Le temps qu’ils atteignent le terrain d’atterrissage jouxtant le canyon, Orli s’était arraché la gorge à force de hurler. À ses côtés, Steinman ahanait comme un soufflet de forge, mais il ne semblait pas s’en apercevoir. Il avançait d’un pas trébuchant, en la tenant par la main.

Le vaisseau avait déjà survolé le canyon, avant de décrire un cercle au-dessus de la colonie. Le pilote avait dû essayer d’entrer en communication, mais aucune réponse ne lui était parvenue. Le cargo refit un tour, puis battit des ailes afin d’indiquer qu’il avait aperçu les deux arrivants. Après avoir trouvé un endroit dégagé au milieu des décombres, l’appareil atterrit.

Orli se rua en avant, le visage inondé de larmes. Un homme aux grands yeux, aux cheveux crépus et à la peau tannée sortit du vaisseau. Sur son visage émacié, l’expression de surprise était totale. Orli se rappela qu’il s’agissait de Branson Roberts, qui avait déjà livré du matériel peu de temps auparavant. Il contempla les deux individus qui couraient à travers les hautes herbes dans sa direction.

Autour de lui, tout n’était que ruines. Corribus avait été annihilée. À plusieurs reprises, Roberts ouvrit la bouche puis la referma, avant de lâcher enfin :

— Bordel, et re-bordel ! Qu’est-ce qui s’est passé ici ?

Orli se jeta dans ses bras, et instinctivement le pilote referma ses bras autour d’elle pour la rassurer. Elle sanglotait trop pour lui répondre.

— On, euh… apprécierait d’être évacués, dit Steinman, si c’est en votre pouvoir.

Soleils éclatés
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