4

OSIRA’H

Ces derniers jours, les tests s’étaient multipliés. Aucun des instructeurs n’en avait expliqué la raison à Osira’h, pas plus qu’à ses frères et sœurs, mais elle savait que le temps leur manquait. À moins que l’urgence ne soit qu’une nouvelle façon de manipuler les télépathes hybrides ?

Osira’h feignait l’innocence et la bonne volonté. Mais en son for intérieur, elle n’avait confiance en rien ni personne depuis qu’elle avait appris la sinistre vérité au sujet des agissements de son oncle Udru’h et de ses employés ici, sur Dobro. Son mentor bien-aimé l’avait dupée, altérant la réalité afin de la manœuvrer plus aisément. Sa mère lui avait été enlevée, et son véritable père – le puissant Mage Imperator – affirmait tout ignorer de ce qui s’était passé. Que devait-elle croire ?

On la surveillait à chaque instant. Osira’h et ses frères et sœurs s’efforçaient d’impressionner les mentalistes et les lentils. Tous étaient nés dans une intention précise, et l’un d’entre eux devait réussir à briser la barrière de communication qui les séparait des hydrogues. Jour après jour, les trop rares heures de repos entre les séances conduisaient les enfants à l’épuisement.

Osira’h écoutait et observait en silence, sans parvenir à trouver de réponse claire à son dilemme. Elle offrirait aux Ildirans ce qu’ils désiraient… en espérant qu’ils reconnaissent un jour leurs fautes.

Les enfants étaient assis en tailleur sur une natte, tandis qu’au-dehors l’obscurité recouvrait la colonie ildirane et le camp de reproduction fortifié. Juché sur un siège surélevé, un mentaliste surveillait leurs exercices. Aucune parole n’était prononcée ; les deux plus jeunes serraient les paupières afin de se concentrer, mais les autres n’avaient pas besoin de tels expédients.

Osira’h savait comment procéder. Dès qu’elle eut ouvert son esprit, elle se déploya hors de la pièce, puis de la ville, pour pénétrer dans le camp humain. Pendant des années, elle n’avait jamais imaginé que sa mère se trouvait là-bas, si proche et pourtant livrée à la solitude, violentée… puis tuée.

À présent, chaque fois qu’elle voyait la clôture, les baraquements, les médecins avec leurs contrôles de fertilité, elle savait ce qui se déroulait. Elle songeait à Nira, traînée dans une chambre et contrainte d’endurer les viols répétés de soldats, de lentils… de l’Attitré Udru’h en personne. C’était ainsi que sa mère avait conçu sa progéniture.

Rod’h, le fils d’Udru’h, travaillait plus dur que les autres, afin d’essayer d’atteindre le niveau d’Osira’h. En principe, ils partageaient les mêmes buts. Osira’h mourait d’envie de lui apprendre la vérité, mais elle doutait qu’il l’écoute.

De tous les frères et sœurs hybrides, seule Osira’h connaissait le sort de leur mère. Nira s’était évanouie, comme un dossier jeté à la corbeille, juste après avoir tout révélé à sa fille. Convaincus de leur importance dans le destin des Ildirans, les enfants ne soupçonnaient rien de leurs origines. Mais contrairement à elle, ils ne détenaient pas la mémoire de leur mère.

Parfois, durant la nuit qui effrayait tant les Ildirans, la jeune fille percevait des pensées fascinantes, des images prophétiques qui lui faisaient espérer, contre toute raison, que Nira était en vie. Elle avait usé de toute la puissance de son esprit pour répondre, invoquant l’infime murmure qui lui rappelait sa mère. Mais bien qu’elle l’ait cherchée au point d’avoir parfois l’impression que sa tête explosait, elle ne trouvait aucun lien tangible avec la prêtresse Verte.

Osira’h laissa ses pensées agitées flotter tels des flocons de neige parmi les prisonniers ; elle touchait leurs esprits, effleurait leurs expériences… Ils différaient sensiblement de la mentalité ildirane mais demeuraient bien moins étrangers que les hydrogues.

À l’issue de l’exercice, le mentaliste hocha la tête.

— Tout au long de votre vie, nous avons aiguisé vos talents ainsi que votre sens du devoir. Il vous échoit de sauver l’Empire ildiran.

Les enfants inclinèrent la tête de conserve. Osira’h avait cru ces mots pendant des années, mais à présent elle était tourmentée. Malgré ce qu’elle avait découvert, elle n’avait jamais rejeté ses engagements. Son mentor avait travesti la vérité, mais elle restait convaincue qu’il n’avait pas exagéré la menace hydrogue et, bientôt, elle devrait plonger dans les profondeurs d’une géante gazeuse infestée pour les affronter. Elle comprenait l’enjeu : le destin d’une espèce entière se trouvait entre ses mains. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de se demander si les Ildirans menteurs et cruels méritaient d’être sauvés…

Sa mère avait eu la certitude que Jora’h était innocent, et que l’Attitré de Dobro avait seul ourdi ce plan machiavélique. Si tel était le cas, pourquoi Jora’h n’avait-il rien entrepris pour faire cesser les atrocités du camp d’élevage ? Pendant des générations, les Ildirans avaient maintenu des humains en captivité et les avaient maltraités. Jora’h était devenu le Mage Imperator de l’Empire ildiran. Il avait eu l’occasion de rétablir la justice, et cependant, il n’était pas intervenu.

La jeune fille ne pouvait donc faire confiance à personne.

Avant que le mentaliste achève son discours, Udru’h entra dans la pièce. Il balaya d’un regard angoissé les cinq enfants de Nira, avant de se concentrer sur Osira’h. Ses yeux luisaient comme s’il venait de pleurer, mais elle y lut également la fierté fanatique qu’il éprouvait à son égard.

— Un message du Palais des Prismes vient de me parvenir, lui dit-il. Les hydrogues ont détruit notre monde minier de Hrel-oro. La Marine Solaire n’a pu l’empêcher.

Osira’h percevait le trouble sur le visage et dans les gestes de l’Attitré. Les émotions émanaient de lui telle la chaleur d’un feu brusquement attisé. Elle demeura silencieuse. Udru’h s’était montré si gentil avec elle, si aimable et empressé… Elle l’avait adoré et respecté. Mais aujourd’hui, elle le voyait de deux façons différentes. Elle songeait à la manière dont il l’avait couvée, à l’abri dans la résidence qui donnait sur le camp d’élevage. Bien qu’Udru’h ne soit guère porté à l’éloge, Osira’h savait qu’elle lui était chère.

Elle se rappelait toutefois l’autre face de l’Attitré : sa brutalité froide et efficace, dont sa mère avait souffert. Il l’avait placée à l’isolement, la privant de lumière, sans jamais se soucier des dommages infligés à son esprit, tant qu’elle demeurait fertile. Il l’avait poussée sur un lit, puis violée. Il ne l’avait jamais regardée avec colère ou dégoût, mais simplement avec un détachement professionnel.

Osira’h puisait des souvenirs plus plaisants, dans lesquels Jora’h – son père – avait aimé et chéri la prêtresse Verte. Udru’h, quant à lui, n’avait vu en Nira que le réceptacle de son sperme, un objet avec lequel il devait accomplir une tâche déplaisante mais nécessaire.

Lorsque ces souvenirs embrasaient son esprit, Osira’h ne pouvait regarder son oncle.

Celui-ci continua :

— Depuis plusieurs années, les robots klikiss ne parviennent plus à protéger nos mondes des hydrogues. Maintenant, ils renoncent à honorer leurs obligations. (Il posa une main paternelle sur son épaule, et elle essaya de ne pas tressaillir.) Nous avons besoin de toi, Osira’h, aujourd’hui plus que jamais. Les hydrogues ont toujours refusé de répondre à nos appels. Nous avons besoin de toi pour les convaincre de s’entretenir avec le Mage Imperator avant qu’ils nous aient tous anéantis.

La jeune fille acquiesça, solennelle.

— Je suis née dans ce dessein.

Udru’h enchaîna avec des nouvelles plus extraordinaires encore.

— Bien que cela semble impossible, mon frère Rusa’h a fomenté une rébellion sur Hyrillka. De nombreux Ildirans se plaignent du comportement insolite du Mage Imperator et de son rejet des traditions sacrées. Mais cette fois, c’est allé beaucoup plus loin. Thor’h, le Premier Attitré, s’est joint à Rusa’h et a assassiné l’Attitré expectant d’Hyrillka.

Osira’h avait déjà senti une tempête mystérieuse croître au sein du thisme, tel un trou noir qui aspirait l’âme ildirane. La perturbation provenait d’un coin situé aux marges de l’Agglomérat d’Horizon… Hyrillka. À présent, elle comprenait pourquoi. À cause de Rusa’h, une partie de leur esprit collectif s’était muée en tumeur nécrosante.

Le mentaliste ne put refouler un hoquet de surprise.

— Un Ildiran a tué un autre Ildiran !

Udru’h concentra son attention sur les enfants.

— Le Mage Imperator a déchu Thor’h, et l’adar Zan’nh a été envoyé à la tête d’une maniple de croiseurs lourds afin de réprimer la révolte. (Il se reprit.) L’Empire fait face à des ennemis imprévus. Nous devons user de toutes les armes, de tous les instruments dont nous disposons. Par conséquent, Osira’h, le Mage Imperator m’a ordonné de te mener à Mijistra aussitôt que possible.

La jeune fille s’écarta des autres enfants. Elle avait toujours su que cet instant viendrait. En la regardant, Udru’h se gonfla d’orgueil.

— J’ai promis à Jora’h que tu ne le décevrais pas – et je sais que tu me donneras raison.

Il saisit sa petite main et l’emmena hors de la chambre d’entraînement. L’espace d’un bref instant, Osira’h se tourna vers ses frères et ses sœurs afin de leur adresser un regard d’adieu. Udru’h, de son côté, ne leur jeta pas un coup d’œil.

Soleils éclatés
cover.xhtml
title.xhtml
qe.xhtml
chapter.xhtml
chapter1.xhtml
chapter2.xhtml
chapter3.xhtml
chapter4.xhtml
chapter5.xhtml
chapter6.xhtml
chapter7.xhtml
chapter8.xhtml
chapter9.xhtml
chapter10.xhtml
chapter11.xhtml
chapter12.xhtml
chapter13.xhtml
chapter14.xhtml
chapter15.xhtml
chapter16.xhtml
chapter17.xhtml
chapter18.xhtml
chapter19.xhtml
chapter20.xhtml
chapter21.xhtml
chapter22.xhtml
chapter23.xhtml
chapter24.xhtml
chapter25.xhtml
chapter26.xhtml
chapter27.xhtml
chapter28.xhtml
chapter29.xhtml
chapter30.xhtml
chapter31.xhtml
chapter32.xhtml
chapter33.xhtml
chapter34.xhtml
chapter35.xhtml
chapter36.xhtml
chapter37.xhtml
chapter38.xhtml
chapter39.xhtml
chapter40.xhtml
chapter41.xhtml
chapter42.xhtml
chapter43.xhtml
chapter44.xhtml
chapter45.xhtml
chapter46.xhtml
chapter47.xhtml
chapter48.xhtml
chapter49.xhtml
chapter50.xhtml
chapter51.xhtml
chapter52.xhtml
chapter53.xhtml
chapter54.xhtml
chapter55.xhtml
chapter56.xhtml
chapter57.xhtml
chapter58.xhtml
chapter59.xhtml
chapter60.xhtml
chapter61.xhtml
chapter62.xhtml
chapter63.xhtml
chapter64.xhtml
chapter65.xhtml
chapter66.xhtml
chapter67.xhtml
chapter68.xhtml
chapter69.xhtml
chapter70.xhtml
chapter71.xhtml
chapter72.xhtml
chapter73.xhtml
chapter74.xhtml
chapter75.xhtml
chapter76.xhtml
chapter77.xhtml
chapter78.xhtml
chapter79.xhtml
chapter80.xhtml
chapter81.xhtml
chapter82.xhtml
chapter83.xhtml
chapter84.xhtml
chapter85.xhtml
chapter86.xhtml
chapter87.xhtml
chapter88.xhtml
chapter89.xhtml
chapter90.xhtml
chapter91.xhtml
chapter92.xhtml
chapter93.xhtml
chapter94.xhtml
chapter95.xhtml
chapter96.xhtml
chapter97.xhtml
chapter98.xhtml
chapter99.xhtml
chapter100.xhtml
chapter101.xhtml
chapter102.xhtml
chapter103.xhtml
chapter104.xhtml
chapter105.xhtml
chapter106.xhtml
chapter107.xhtml
chapter108.xhtml
chapter109.xhtml
chapter110.xhtml
chapter111.xhtml
chapter112.xhtml
chapter113.xhtml
chapter114.xhtml
chapter115.xhtml
chapter116.xhtml
chapter117.xhtml
chapter118.xhtml
chapter119.xhtml
chapter120.xhtml
chapter121.xhtml
chapter122.xhtml
chapter123.xhtml
chapter124.xhtml
chapter125.xhtml
chapter126.xhtml
chapter127.xhtml
chapter128.xhtml
chapter129.xhtml
chapter130.xhtml
chapter131.xhtml
chapter132.xhtml
chapter133.xhtml
chapter134.xhtml
chapter135.xhtml
chapter136.xhtml
ba.xhtml
qo.xhtml
re.xhtml
qi.xhtml
copyright.xhtml
back.xhtml