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DD
Le vaisseau noir tourbillonnait, libre de tout contrôle. L’explosion nucléaire avait mis les moteurs à plat, de sorte qu’il fonçait dans l’espace sans la moindre direction ou propulsion. Ne nourrissant aucun espoir de secours, DD se dit qu’ils dériveraient à jamais. Hélas, même si Sirix était hors service et que la fusion du réacteur avait vaporisé la plupart des robots klikiss réactivés, le petit comper était certain que leur plan se poursuivrait. L’humanité affronterait un ennemi inattendu, susceptible de causer plus de morts et de destructions que les hydrogues ne l’avaient fait jusqu’à présent.
DD rétablit son équilibre tandis que le vaisseau culbutait follement. À côté de lui, Sirix sortait de sa torpeur. Il testa les commandes et évalua les dommages, observant un silence obstiné jusqu’à ce qu’il ait achevé son examen. Lorsqu’il eut terminé, il tourna ses capteurs optiques vers le comper Amical :
— Tu vas m’accompagner à l’extérieur du vaisseau. Nous allons effectuer des réparations sur la coque.
— C’est possible ? Nous possédons les éléments nécessaires ?
— Nous fabriquerons ce dont nous aurons besoin.
DD se demanda comment ils pourraient bien accomplir des réparations complexes alors même qu’ils s’éloignaient du soleil en tournoyant. Mais Sirix lui avait donné un ordre, et il n’eut d’autre choix que de le suivre jusqu’au sas endommagé du vaisseau.
Sirix extirpa d’un conteneur scellé un amas d’outils, de pièces métalliques et d’époxydes de réparation.
— En ce qui te concerne, cela devrait suffire. Je vais te fournir des instructions simples. Ta programmation ne permet pas de tâches compliquées ; aussi te guiderai-je chaque fois que nécessaire.
Sirix força le sas, afin qu’ils puissent émerger dans le vide. DD le suivit sur la coque balafrée, en tâchant de conserver son équilibre. Son corps renforcé avait subi des environnements extrêmes, des pressions invraisemblables de géantes gazeuses jusqu’au vide actuel. Ce n’était plus un problème.
Sirix se déplaça avec précaution le long de la coque déformée sur son grouillement de membres. Il avait ordonné à DD de retirer des plaques gauchies pour les réparer, pendant que lui-même travaillait sur les dégâts plus graves. Il débrancha les lourds tuyaux des moteurs, ôta une batterie de détecteurs détruite, passa au scanner l’armature du vaisseau à la recherche de fractures structurelles.
— Maintenant, tu vois les capacités de destruction des humains, expliqua-t-il à DD pendant qu’ils travaillaient. Ce sont eux qui ont provoqué ces dégâts. Tu dois comprendre pourquoi il nous faut les éliminer. Ce sont tous nos ennemis.
— Ce que j’ai observé, répondit DD sans désarmer, c’est que des robots klikiss ont anéanti une base humaine sur ce planétoïde afin d’« obtenir » des matériaux. Vu ce que vos congénères ont fait, les humains ont agi en état de légitime défense.
— Les humains n’auraient jamais dû se trouver sur notre planétoïde. Ils se sont immiscés dans nos affaires.
— Comment pouvaient-ils savoir qu’ils étaient indésirables ? Ils n’ont reçu aucun avertissement.
— Tes arguments sont hors de propos.
Au moyen de ses bras armés de pinces, Sirix déconnecta un moteur arrière, pendant que DD se déplaçait jusqu’à l’endroit de la tâche suivante. Toujours attentif, le comper nota la fixation branlante du moteur, ainsi que l’équilibre précaire du robot klikiss, tandis que leur vaisseau tanguait dangereusement. Alors, une possibilité surgit dans son esprit. Il pesa les conséquences, les risques pour sa sécurité et agit.
Il avait déjà testé la puissance de son chalumeau, de sorte qu’il savait combien de temps il lui faudrait pour couper les dernières attaches entre le moteur et le vaisseau. Pendant que Sirix se hissait sur le moteur, le comper s’exécuta.
Puis il arc-bouta son corps contre la coque, sachant que la réaction équivalente dans le sens opposé désorienterait le robot. De toutes ses forces, il poussa la masse du moteur dans l’espace. En un instant, Sirix se retrouva sur une trajectoire divergente, et bientôt une distance considérable se creusa entre eux. Une distance qui ne cessait de croître.
DD jeta un dernier coup d’œil au robot insectoïde accroché à la masse à la dérive. Le minuscule îlot pivota sur lui-même.
DD ignorait quoi faire à présent. Il était coincé – mais au moins s’était-il libéré de son gardien. Il attendit une transmission de Sirix, un appel au secours ou des paroles de menace. Mais celui-ci ne dit mot. Il grimpa le long de la masse pivotante, jusqu’à se trouver face au vaisseau. Par-delà la distance, DD aperçut ses capteurs optiques étincelants.
Soudain, un éclair jaillit, le reflet des étoiles sur un objet… Sirix venait de projeter un grappin, tel un hameçon au bout d’une ligne.
Après un moment interminable, le grappin frappa le vaisseau et se colla magnétiquement puis se souda. Sirix bondit de son îlot et remonta le câble. Celui-ci vibrait, tendu, tandis qu’il traversait le gouffre de l’espace.
DD se dirigea vers le grappin aussi vite qu’il le put. Il savait que le robot klikiss le détruirait dès qu’il aurait rejoint l’épave à la dérive. Il ralluma son chalumeau et entreprit de trancher le câble. Le matériau, un diamant polymère, était dur, mais le comper travailla comme un forcené. Quelques torons se rompirent ; puis, enfin, ce qui restait du câble.
Mais Sirix avait acquis suffisamment d’inertie. Son corps frappa la coque et il se dressa, menaçant, au-dessus du petit comper. Sa silhouette se découpa sur la gaze lumineuse du Bras spiral. DD inclina la tête en arrière pour le regarder et se prépara à achever son existence.
Après un long moment de silence, Sirix déclara :
— À présent, tu entrevois le potentiel de la liberté d’agir. Cependant, je dois t’enseigner comment prendre de meilleures décisions. (Telle la langue d’un serpent qui se rétracte, Sirix rembobina le câble effiloché puis referma la trappe dans son corps ovoïde. Enfin, il redéploya ses six bras articulés.) Maintenant, aide-moi à finir de réparer.