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LE GÉNÉRAL KURT LANYAN
Il suffit au général Lanyan de considérer l’expression de Stromo pour en tirer les conclusions qui s’imposaient, et soupirer.
— Nous avons un problème, mon général, dit l’amiral. Les preuves sont accablantes. D’après mes techniciens, il est certain que la destruction de Corribus a été causée par notre armement. Les traces d’atterrissage et les autres indications que nous avons trouvées sont compatibles avec un Mastodonte et plusieurs Mantas.
Lanyan se sentit chanceler.
— Mais d’où viennent-ils ? J’ai exigé un inventaire de chacun de mes amiraux en charge des dix quadrants, et rien ne manque. Nous n’aurions pas égaré six de nos plus gros vaisseaux de guerre !
— Pas… tout à fait, mon général. (L’amiral expliqua qu’il s’agissait sûrement des vaisseaux disparus au large de Golgen.) Leur équipage était entièrement composé de compers Soldats, exactement comme la fillette l’a décrit. Ils ont peut-être tué leurs commandants humains et se sont retournés contre nous.
— Amiral, avez-vous la moindre idée du nombre de compers militaires embarqués, dans la totalité des quadrants ?
— Oui, mon général, répondit Stromo, très pâle. Oui, je sais.
Lanyan se rappela les plaintes du roi Peter au sujet de l’utilisation de la technologie klikiss. La Hanse et les FTD les avaient rejetées, le croyant paranoïaque.
— Bon sang, et si le roi avait raison ?
— Mon général, qu’en est-il des soixante vaisseaux-béliers que nous venons d’envoyer sur Qronha 3 ? Ils sont bourrés de compers Soldats et ne comportent que quelques humains, pour la forme. Si les compers représentent une menace réelle, ne devrions-nous pas les rappeler ?
Lanyan avait envie de hurler.
— Et arrêter la seule arme efficace que nous possédions contre les hydreux ? Je ne pense pas, non ! En outre, nous n’avons aucun moyen de les contacter à temps.
Ils furent interrompus par l’aide de camp de Lanyan, qui frappait avec insistance à la porte du bureau. Le jeune homme n’aurait jamais osé les déranger à moins d’une affaire cruciale.
— Je suis désolé, mon général, mais il faut absolument que vous voyiez cela. C’est un message de Lars Rurik Swendsen.
— L’ingénieur ? (Après la disparition mystérieuse du conseiller scientifique en chef Howard Palawu, le Suédois avait été nommé à la direction de la fabrication des compers sur Terre.) Que diable veut-il donc ?
L’aide de camp dériva la transmission sur la table-écran. Lanyan regarda le visage nerveux de l’ingénieur qui remplissait l’image.
« Général Lanyan, comment allez-vous ? Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas parlés…
— Que voulez-vous, Swendsen ? Je suis très occupé.
— Eh bien, général, je ne suis pas certain de ce que cela signifie, mais… ce sont les robots klikiss. »
Lanyan sentit un iceberg se former au creux de son estomac.
« Qu’y a-t-il ?
— Normalement, ils sont très discrets, mais il y en a toujours qui observent les chaînes de montage. Or, aujourd’hui, euh… ils ont disparu. Ils ont quitté les usines sans un mot et se sont évanouis dans la nature. D’abord, j’ai vérifié via les systèmes de surveillance globale, puis j’ai contacté quelques-uns de mes collègues. Apparemment, les robots klikiss sont partis. Tous, jusqu’au dernier. »
Lanyan ne laissa pas transparaître son inquiétude.
« Je vais voir ça, Swendsen. Merci de me tenir au courant. »
Pendant que Stromo soliloquait, Lanyan envoya des messages à l’ensemble des observateurs qu’il connaissait. Les réponses qu’il reçut au cours des heures suivantes le glacèrent jusqu’au tréfonds.
— Swendsen ne plaisantait pas, dit-il. Pour autant que l’on sache, tous les robots klikiss ont fichu le camp. Le président Wenceslas a contacté, par l’intermédiaire de nos prêtres Verts, les colonies supposées en abriter. Jusqu’à présent, les nouvelles à travers le Bras spiral concordent toutes : ils sont partis.
Stromo secoua la tête d’un air incrédule.
— Heureusement, ils ne sont que… quoi ? une centaine ?
Lanyan tritura ses doigts, le regard fixé sur le mur rocheux de son bureau. Il avait un mauvais pressentiment au sujet de ce qui se tramait sous son nez. Enfin, à contrecœur, il décida qu’il n’avait pas le choix. Il lança une alerte générale à la flotte. Comme la plupart des vaisseaux ne possédaient pas de prêtre Vert, il faudrait un temps dangereusement long avant que l’alerte les atteigne tous.