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RUSA’H L’IMPERATOR
Le thisme de Rusa’h, naguère resplendissant, se défaisait de toutes parts. Les rayons-âmes qu’il avait si bien tenus glissaient à présent entre ses doigts. Comment ce dépravé de Mage Imperator pouvait-il être si fort ?
La douleur de cette perte surpassait celle de la chair et du sang. Tous les champs de nialies avaient été anéantis… il n’y avait plus de shiing. Bien que son palais-citadelle soit bondé de gardes loyaux, de lentils, de favorites, d’assisteurs et de médecins, le Mage Imperator enfonçait ses défenses. Rusa’h n’aurait jamais cru que son frère serait prêt à tuer.
Deux des septars de la maniple qu’il avait confisquée restaient à son côté, en tant que conseillers militaires. Mais leurs compétences en matière de stratégie ne suffisaient pas à lui trouver un moyen de s’échapper, et encore moins de remporter la victoire. Les nouvelles étaient catastrophiques.
Depuis un balcon, il regarda les vaisseaux de Thor’h accomplir leur massacre. Mais la plupart des croiseurs s’étaient retournés contre eux. Avec ses pouvoirs insidieux, le Mage Imperator en avait pris le contrôle, arrachant les équipages à son thisme pour les emprisonner dans son réseau perverti. Et d’autres tombaient à chaque minute. Jora’h était sûr de sa victoire.
Durant l’expansion de la rébellion, ce dernier l’avait sous-estimé, et à présent il semblait que Rusa’h commettait la même erreur à l’égard de son frère. L’emprise de Jora’h sur son thisme, même corrompu, était puissante… trop puissante. Mais comment était-ce possible, si sa compréhension était faussée, s’il s’était fourvoyé ? Pourquoi la Source de Clarté ne lui avait-elle pas offert, à lui, le véritable Imperator, la cinglante victoire qui aurait démontré la validité de sa cause ?
— L’ennemi est fort, dit l’une de ses favorites, qui s’était glissée contre lui avec une langueur que démentaient ses muscles crispés. N’y a-t-il pas moyen que la Source de Clarté nous vienne en aide ?
Sur son chrysalit, Rusa’h tourna les yeux vers le ciel et laissa le soleil primaire blanc bleuté d’Hyrillka lui brûler les rétines. Plongé dans le sous-thisme, il avait vu la vérité lui apparaître de façon si claire. Il avait marché dans un royaume de pureté souveraine ; il avait remonté les rayons-âmes, vu le véritable motif qu’ils formaient. Sa commotion cérébrale l’avait libéré, l’avait illuminé.
L’Imperator agrippa les bras du chrysalit et fixa le soleil, à la recherche d’une réponse. Il était certain de ne pas s’être trompé… mais il ne distinguait plus de voie évidente. Les fils du thisme s’estompaient, et il ne comprenait pas ce que la Source de Clarté voulait qu’il fasse. Puis le soleil lui-même sembla l’appeler, lui montrer un moyen de se protéger. Il devait fuir les esclaves d’un Empire jadis glorieux, désormais fondé sur des mensonges.
L’un des septars vint lui remettre un rapport.
— Le palais-citadelle est assiégé, Imperator. Tous les croiseurs, à l’exception de celui de Thor’h et de deux autres, ont été capturés par l’ennemi.
— Il nous reste de nombreux soldats prêts à donner leur vie pour retarder l’entrée du faux Mage Imperator, dit le second septar.
Rusa’h fit la moue.
— Hélas, mon frère dispose d’assez de forces pour effectuer une percée à l’instant qu’il choisira… s’il est prêt à accepter les victimes qui en découleront. (Ses favorites le caressaient, tandis qu’il évaluait les possibilités.) Le fera-t-il ?
— Les Ildirans ne tuent pas les Ildirans, argua le premier septar. Il ne nous attaquera jamais directement.
Rusa’h plissa les yeux. Il avait fait cette hypothèse auparavant et s’était trompé.
— Non. Il hésitera, mais il le fera. (Il inclina la tête.) Jora’h a déjà rompu avec beaucoup de nos traditions. Regardez-le en cet instant, au pied de la colline : il se tient debout, sur ses pieds sacrés, comme un vulgaire serviteur. Au Palais des Prismes, sa propre fille, une fille noble, est devenue son garde du corps personnel. Puisque nous avons – à juste titre – tué des Ildirans, mon frère se trouvera une excuse pour nous faire subir le même sort.
— De toute façon, nous avons perdu, fit remarquer le second septar. Hyrillka va tomber. Nous n’avons ni le personnel, ni les armes, ni les croiseurs pour maintenir nos positions. Nous ne pouvons obtenir de renforts des mondes qui ont rejoint la rébellion.
Rusa’h entendit les préparatifs militaires au-dehors, les bruits de ses défenseurs comme ceux des troupes, bien plus nombreuses, de la Marine Solaire. Au-dessus de sa tête, près de quatre cents croiseurs convergeaient vers la forteresse. Il ne restait à Thor’h que trois vaisseaux pour se dresser contre eux.
Il n’y avait plus rien à faire pour sauver sa croisade.
Rusa’h prit une longue inspiration.
— Mettez-moi en contact avec le Premier Attitré. J’ai quelques dernières instructions à lui communiquer.
Thor’h parvenait avec peine à conserver le contrôle de ses trois croiseurs, alors que les autres vaisseaux le harcelaient sans discontinuer. Zan’nh aurait pu les détruire à n’importe quel moment, mais pour une raison inconnue il se retenait. Jora’h lui avait probablement ordonné de capturer Thor’h vivant.
Peut-être Rusa’h disposerait-il d’assez de temps…
« Premier Attitré, je comptais faire de toi mon successeur comme dispensateur de la Source de Clarté, mais nous avons échoué, émit-il sur une fréquence privée. Tu as toujours été un compagnon honorable. Tu m’as aidé avant même que j’aie reçu ma révélation, et tu m’as cru quand j’ai vu le chemin véritable. Aujourd’hui que tout s’obscurcit, souviens-toi que j’ai vu la vérité. Moi seul connais la voie qui nous guidera. Nous ne sommes pas aveugles. Je ne cesserai jamais d’essayer d’accomplir le dessein sacré. »
Sur l’écran, il pouvait voir un grand trouble s’emparer de Thor’h.
« Je dispose toujours de trois vaisseaux, Seigneur. Cela me suffit, avec toute la foi qui se trouve en moi. Que désirez-vous que je fasse ?
— Ton père a lancé ses régiments sur mon palais-citadelle. Ils remontent la colline en ce moment même. (Il eut un mouvement de tête confiant.) Toutefois, toi et tes croiseurs pouvez m’offrir la chance dont j’ai besoin. »
Thor’h semblait trop ému pour faire ses adieux à son oncle. D’un ton bourru, il accusa réception des ordres et coupa la transmission.
Rusa’h interpella ses favorites et les deux septars :
— Soyez prêts à partir. Mes ingénieurs ont préparé un vaisseau rempli de carburant, qui se trouve dans l’arrière-cour. Un groupe restreint m’accompagnera. (Il fixa de nouveau le soleil éclatant.) Nous allons directement nous rendre à la Source de Clarté.