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BASIL WENCESLAS
L’odeur des médicaments et le bourdonnement des machines mettaient toujours le président Wenceslas mal à l’aise. Il détestait ces cures de rajeunissement régulières. Mais il savait combien étaient nécessaires les bains gériatriques qui supprimaient les radicaux libres et filtraient les toxines de ses tissus et de son sang. Très peu pouvaient se le permettre, mais Basil avait plus de responsabilités et de pression que quiconque dans tout le Bras spiral : il était impératif qu’il conserve la vigueur de la jeunesse.
Des docteurs de la Hanse surveillaient avec zèle tout écart de santé, afin d’éradiquer la moindre anomalie. Il ne pouvait tout simplement pas se permettre de s’affaiblir. Prendre sa retraite comme Maureen Fitzpatrick n’avait jamais été – ne serait jamais – une alternative pour lui. Il n’était pas prêt… et personne ne l’était pour le remplacer.
Son héritier logique, Eldred Cain, ne l’avait jamais déçu mais ne l’avait jamais surpris non plus. Certes, son adjoint connaissait sur le bout des doigts la Charte et ses règlements. Il saisissait le fonctionnement des institutions politiques et des Forces Terriennes de Défense, ainsi que les arcanes de la Ligue Hanséatique. Mais cela suffisait-il ? Serait-il assez habile et déterminé pour devenir le prochain président ?
Tandis que les docteurs soignaient Basil, lui injectant des cocktails de vitamines et enveloppant sa peau de minces films hydratants, il leva les yeux vers Franz Pellidor qui venait d’entrer dans la chambre. Ce dernier passa le barrage des gardes d’un simple mot. L’activateur avait des cheveux blonds coupés court, une mâchoire carrée et un nez trop parfait pour ne pas résulter de la chirurgie esthétique. Il portait des tenues très ajustées, afin de mettre en valeur son imposante musculature.
— Je connais la nécessité de ces procédures, mais je n’apprécie guère les heures perdues à patienter ici, lui dit Basil. J’aimerais que les docteurs ici présents se rendent compte combien mon temps est précieux. J’ai des choses autrement vitales à faire.
Les intéressés le regardèrent, indécis, mais ne répondirent pas.
— Même votre temps ne vaut sans doute pas le coût de ces traitements, monsieur le Président, répondit Pellidor d’un ton égal.
— Me ferais-je une idée exagérée de ma propre importance ?
— Monsieur le Président, vous valez plus que votre poids en ekti. (Pellidor s’arrêta là où Basil gisait, face contre table.) En parlant d’ekti, j’ai le rapport que vous demandiez. Notre station d’écopage modulaire sur Qronha 3 produit des quantités acceptables de carburant interstellaire, malgré les dissensions territoriales avec les Ildirans. Sullivan Gold nous assure que le travail avance sans interférence. Les deux groupes restent à l’écart l’un de l’autre.
— Après notre récente visite au Mage Imperator Jora’h, je doute que les Ildirans aient beaucoup à nous offrir en ce moment. (Malgré le silence du chef ildiran sur la question, le président avait décelé que l’empire millénaire rencontrait des problèmes internes.) Néanmoins, nous devons les conserver comme alliés. La Hanse ne peut se permettre un conflit sur un nouveau front.
Se plaçant sur le dos, Basil parcourut le rapport, notant les chiffres de production et les livraisons prévues depuis Qronha 3. Il espérait que l’usine flottante montée à la va-vite survivrait assez longtemps pour rembourser son coût faramineux. Jusqu’à présent, l’investissement paraissait judicieux, mais les hydrogues pouvaient revenir sans prévenir. Au moins Sullivan Gold abritait-il un prêtre Vert à son bord, de sorte qu’ils sauraient immédiatement si les hydrogues menaçaient la station d’écopage.
Une aiguille enfoncée par l’un des médecins le fit grimacer. Pellidor attendit de voir s’il allait s’emporter contre lui, ou faire semblant d’être insensible à la douleur.
Basil se concentra sur son travail, retournant dans son esprit mille problèmes et autant de solutions potentielles… Songer au prêtre Vert de la station de Qronha lui rappela ceux qui avaient abandonné leur poste au sein de la flotte pour revenir sur leur monde blessé. Peut-être avait-il fait une erreur en n’envoyant pas les FTD leur prêter assistance. Les Vagabonds l’avaient fait, et les Theroniens se sentaient en dette vis-à-vis des clans. Il détestait les opportunités manquées.
Il poussa un soupir.
— Vagabonds et Theroniens ont tous deux des vues trop étroites. Voilà plus de sept ans que le Bras spiral est en état d’alerte, et cela devient de plus en plus difficile d’assurer la bonne marche de la Hanse sans communications efficaces. Ah ! peut-être Sarein va-t-elle nous donner satisfaction.
Spontanément, l’image de l’adorable et ambitieuse jeune femme s’imposa à son esprit. Sans doute s’agissait-il d’un effet des drogues, mais Basil éprouva à son endroit une pointe d’envie. Il l’avait envoyée avec pour instruction de devenir la prochaine Mère de Theroc. Même en son for intérieur, il ne voulait admettre à quel point elle lui manquait : son joli corps, mais surtout son impitoyable détermination. Il ne s’était jamais rendu compte de l’énergie que sa seule présence lui procurait.
Il tenta de s’asseoir, mais les assistants l’entourèrent comme des poules dans une basse-cour.
— Il reste encore au moins une heure, monsieur le Président. Tout le gain du traitement sera perdu, si l’on arrête maintenant.
Basil serra les dents et se rallongea. Sentant – mais s’efforçant de ne pas le montrer – le poids de l’univers sur ses épaules, il leva les yeux sur l’activateur.
— Ce sont les défis qui me stimulent, Pellidor. Les Vagabonds, les hydrogues, les prêtres Verts, les mondes klikiss, l’ekti, même le roi Peter. Je vous jure que je ne les laisserai pas m’abattre.