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Gaïa
La clavicule arriva dans sa main et la réconforta. Elle reconnaissait Rhita. Pour le moment, c’était suffisant. La clavicule lui fut retirée, et Rhita la regretta profondément.
Sans que nul temps se soit écoulé, mais plus tard quand même, elle eut conscience d’avoir appris par la clavicule que la porte était pleinement établie, « au format commercial standard », et qu’il y avait même d’autres portes, ce qui ne fit rien pour la rassurer.
Lugotorix, nu entre deux énormes serpents-épées, touché aux bras et aux cuisses par des pastilles de lumière verte.
Il y a une relation entre cet homme et vous ?
Oui.
Vous avez besoin de lui ?
Oui.
Et des autres ?
Elle pensa à Demetrios et à Oresias.
Ils furent sauvés.
Elle se demanda ce qui allait arriver aux autres.
Ce n’était pas pour elle un réconfort que de se savoir au centre de l’attention générale. Durant quelque temps, il y eut plusieurs Rhita, dont quelques-unes furent soumises à des expériences désagréables. Ce fut tout ce qu’elle put se rappeler. Elle n’avait pas été physiquement blessée.
Elle n’avait aucune intimité.
Ils lui demandèrent si Athënë avait ouvert des portes pour aller sur Gaïa, ou si c’était Isis, ou Astarté. Elle répondit non. Elle ne croyait pas que ces êtres, ces dieux eussent une existence réelle. Cette réponse les intéressa.
Les dieux sont-ils des compagnons imaginaires destinés à vous consoler de la possibilité de mourir ?
Elle ne sut que répondre à cela.
Ce n’est pas vous qui avez fabriqué la clavicule.
Il n’était pas nécessaire de répondre. La chose était évidente.
Comment l’avez-vous trouvée ?
Elle leur donna toutes les explications.
Ils la crurent. Et ils se montrèrent très intéressés par la sophë.
Elle est morte, les informa Rhita.
Vous venez d’elle.
De nouveau, tout commentaire était inutile.
Il s’écoula un moment d’inconfort intense, pire que la douleur.
Cela valait presque l’expérience, pour sentir de nouveau le temps passer.
Vidée de tout souvenir, elle demeura dans un endroit qui dominait la mer, sous le ciel bleu, entourée de marbres fissurés. Puis cela s’effaça, et revint, mais elle était plus jeune de quelques années, dans le sanctuaire d’Athënë Lindia. Et elle se souvenait de tout, y compris de sa vie après cet instant. Près d’elle se tenait un jeune homme à la beauté floue, au visage sans contours bien définis. Il portait une chemise en byssus blanc et un pantalon foncé aux jambes fendues dans le bas et nouées. Un peu comme un pêcheur, mais pas tout à fait. Elle se demanda si c’était un amoureux. Mais non. Et ce n’était pas non plus un ami.
— Trouvez-vous cela agréable ? lui demanda-t-il en marchant autour d’elle. Répondez avec sincérité, je vous prie.
— Ce n’est pas douloureux.
— J’espère que vous nous pardonnerez cette intrusion. Nous avons rarement eu l’occasion de collaborer directement avec vos semblables. Vous avez été maltraitée.
Elle ne pardonnait rien. Sa confusion était trop grande pour qu’elle s’arrête à des nuances.
— Préférez-vous que j’aie un nom ?
— Je ne vous connais pas, de toute manière.
— Aimeriez-vous que nous restions ici ?
Il lui semblait sage de répondre oui. Elle hocha la tête, appréciant la caresse du soleil sur sa peau et le froid réconfort du temple abandonné creusé dans la roche. Mais elle ne croyait pas vraiment à sa présence ici.
Je suis Rhita, se dit-elle. Et je suis vivante. Peut-être qu’ils m’ont fait franchir la porte.
Peut-être que grand-mère venait du pays d’Hadès.