24

Gaïa

Bagdadë élamite était une ruine lentement reconstruite par les Nekhemites mésopotamiens qui, se déplaçant vers l’ouest en hordes mécanisées et blindées, avaient mis la cité à sac vingt ans auparavant pendant que l’attention de l’Oikoumenë était retenue ailleurs par l’une des incessantes incursions libyennes à sa propre frontière. Les Nekhemites s’étaient rapidement révélés incapables d’administrer les peuplades usées mais encore efficaces qu’ils avaient pieusement décimées au nom de leur dieu sanguinaire et sans visage. Ils s’étaient donc tournés vers Kleopatra, l’une des rares souveraines régnant encore sur Gaïa, pour lui demander d’être la « fiancée de Nekhem ». La requête était si cocasse, et formulée en un moment si opportun, qu’elle n’avait pas pu être rejetée. Par voie de conséquence, l’effigie de son Hypsëlotës impériale était adorée à Bagdadë, et l’assistance technique et financière de l’Oikoumenë avait commencé à affluer dans la cité antique. En échange, les Nekhemites gardaient les frontières avec la république des Hunnoï et le Rhus nordique.

Jamal Atta jugeait très improbable qu’ils se heurtent à des difficultés quelconques en se posant à Bagdadë. De fait, trois heures après leur escale à Damaskë, les hommes en turban et en robe rouge du nouvel aérodromos leur donnèrent tout le carburant dont ils avaient besoin ainsi que quelques cartes des territoires kazakh, ouzbekhi et kirghiz du Rhus nordique. Tandis qu’ils quittaient la triste Bagdadë, le Celte se pencha pour ramasser quelque chose sur le plancher de l’abeille. Il se redressa en souriant stupidement, un objet à la main. De toutes petites figurines en plastique représentant Kleopatra accouplée avec Nekhem leur avaient été jetées par la portière en même temps que quelques provisions qu’ils avaient demandées. Le Celte tendit sa trouvaille à Rhita, qui retourna pensivement la figurine entre ses doigts, fascinée par la force brutale qui s’en dégageait. L’objet était grossier, inélégant, vicieux et cruel au-delà de son expérience, mais cependant honnête et plein de vie. Un jour, les Nekhemites seraient peut-être les maîtres de toutes les terres centrales du vieux continent. Mais Rhita espérait qu’ils auraient déposé Nekhem entre-temps. C’était un dieu bien trop laid.

Quittant Bagdadë, ils traversèrent le territoire du Nekhem et furent poussés par un vent arrière qui les mena en deux heures jusqu’à Raki, l’ancienne Raghae, revenue dans le sein de l’Oikoumenë. C’était une cité isolée située dans une île de paix lourdement fortifiée sur toutes ses frontières. Oresias y apprit de la bouche d’un inspecteur militaire en déplacement qu’aucune nouvelle n’était parvenue d’Alexandreia, et que leur escorte aérienne – une citerne volante et un vieil avion-cargo qu’ils abandonneraient ensuite – était prête à les accompagner pour la suite de leur voyage.

C’était là que commençait leur incursion en territoire véritablement dangereux. Quinze cents ans auparavant, les Perses et l’Oikoumenë d’Europe avaient été repoussés vers l’ouest, jusqu’à la mer – la mer du Milieu et la mer Priddénéenne –, par les Alanoï et les Hunnoï, qui avaient réuni leurs nomades et leurs tribus teutoniques vassales en une vaste nation mobile de redoutables guerriers. Un empire s’était constitué, dont les frontières allaient des rives de la Galleïa et de la Kimbria jusqu’aux grandes murailles de Chin. Le plus grand que le monde eût connu, et aussi le plus fragile. Mais en l’espace de cinquante ans, cet empire s’était évanoui comme un cauchemar de sang et de fumée, et les Skythes et les Rhus nordiques s’étaient empressés de s’engouffrer dans la brèche. Les Alanoï et les Avars avaient finalement tenu bon à l’est de la Kaspienne, de même que les Hunnoï au nord et à l’est de ces derniers. Durant mille ans, ces territoires avaient été soumis à des changements continuels, mais cela ne les avait pas empêchés de conserver leur identité, jusqu’à l’arrivée des Turkmenoï aigéiens, ces pirates qui ne cessaient de dévaster Hellas.

Les Turkmenoï avaient façonné leur propre niche, transportant leurs mœurs de pirates sur la Kaspienne, et c’était ce petit territoire montagneux, pris entre les républiques altaïques, que l’abeille survolait en ce moment. Les Turkmenoï ne se reconnaissaient aucun maître. Ils s’isolaient et essayaient de contenir les incursions du monde extérieur. Ils n’auraient aucune pitié pour la mouette si celle-ci venait à faire un atterrissage forcé. Mais il était par contre peu probable qu’ils possèdent des armes capables de provoquer un tel événement.

Rhita contemplait les centaines de kilomètres de montagnes désolées qui défilaient sous elle, et elle se sentait plus seule que jamais. Elle songeait au caractère changeant de l’histoire et de la pensée humaines, et aux contradictions entre les différentes cultures, aussi impossibles à répertorier et à délimiter que ces pics et ces cols rocheux. Il lui semblait que les humains ne seraient jamais capables de partager la moindre vérité unique. Ce qui signifiait ou bien qu’il n’existait pas de vérité unique, ou bien que les humains étaient prêts à s’entre-tuer pour essayer de la trouver. Dans un cas comme dans l’autre, rien que d’y penser, elle en était profondément déprimée.

Son excitation des heures précédentes s’était muée en un sombre malaise. Elle était fatiguée. Le sommeil à bord de l’abeille, avec le fracas incessant des réacteurs, n’avait rien de réparateur. Son estomac se rappelait de nouveau à elle. Il n’était pas prudent de manger encore, et pourtant elle avait faim. Elle ne se plaignait de rien, mais le voyage traînait en longueur.

Ils se ravitaillèrent en vol à proximité de la frontière nord-est de la Turkmenia. L’opération, ou du moins le peu qu’elle en vit, fut intéressante. La citerne volante se détacha de la formation et retourna faire le plein à Raghae en leur laissant le vieux cargo comme seule escorte provisoire. Jusqu’à présent, malgré ses angoisses, Rhita devait admettre que l’expédition se déroulait très bien.

Malgré elle, ses pensées retournèrent à son île natale. Elle n’avait jamais eu d’opinion, ni dans un sens ni dans l’autre, sur l’Oikoumenë. Il avait toujours été là, il semblait immortel. Du vivant de Rhita, il n’y avait jamais eu de catastrophe assez vaste pour affecter son univers. Pourtant, Rhodos ne connaissait la paix que depuis quatre-vingts ans à peine. Quand elle était petite, Rhita allait nager dans de grands trous d’eau de pluie qui criblaient la face des collines, des trous de bombes plus anciens que quiconque vivant au pays. Mais si la reine elle-même, aujourd’hui, était menacée…

L’Oikoumenë tout entier pouvait changer de caractère. Elle n’aurait peut-être plus de chez elle où retourner vivre en sécurité. Elle s’agitait, de plus en plus nerveuse, sur son siège, la tête remplie de guerres, de révoltes et de tueries.

Les montagnes laissèrent place à des plaines de couleur ocre, à des collines nues et arrondies, et à des promontoires rocheux. L’ocre se transforma en vert par plaques le long de cours d’eau peu profonds.

— Nous avons dépassé les confins méridionaux des républiques hunnoï et alanoï, déclara Oresias en revenant de la cabine avant.

Ils volèrent au ras du sol durant une vingtaine de minutes. Atta paraissait particulièrement désolé. Il ne cessait de secouer la tête et de se frapper les cuisses de ses mains fermées. Il s’attendait à ce que les tours de guet des Ouzbeks et des Kazaks du Rhus nordique les repèrent, mais leurs chasseurs ne se montrèrent pas. Apparemment, ils étaient passés au travers, invisibles ou trop petits pour être pris au sérieux.

— Encore une heure, déclara Oresias.

Les réacteurs rugissaient et le vent sifflait contre la coque de l’abeille. Rhita ferma de nouveau les yeux pour dormir, mais ne put trouver la paix. Les tensions qui l’accablaient et les efforts qu’elle faisait pour cacher son trouble la laissaient tout endolorie. Les hommes demeuraient stoïques comme des statues, le visage de marbre, se balançant d’avant en arrière au gré des mouvements de l’abeille et des trous d’air.

Comment pouvait-elle être à la fois aussi mal à l’aise et aussi rongée d’ennui ? Elle allait peut-être mourir, et la mort ne l’exciterait même pas. La mort – qu’elle imaginait sous la forme d’un gros serpent noir avec des crânes à la place des crocs – reculerait-elle devant un pareil calme et une pareille froideur ? Était-il contre ses principes de s’attaquer à ceux qu’elle indifférait ?

Elle regarda par le hublot, clignant des paupières pour lutter contre l’éblouissement. Puis elle se leva pour utiliser de nouveau les toilettes à l’arrière et arroser les steppes. Elle retourna s’asseoir, et fixa sa ceinture.

— Elle est loin ? demanda Oresias en se penchant vers elle.

Elle avait finalement réussi à s’endormir. Elle était en train de rêver de tortues volantes. Elle se frotta les yeux et sortit la clavicule. Le globe était beaucoup plus large, et il tourna moins longtemps. Les symboles étaient bien plus nombreux et plus détaillés. Des signes étranges clignotaient. Puis elle se retrouva dans le creux de terrain où la croix était toujours à la même place, d’un rouge étincelant.

— J’aimerais m’asseoir devant, dit-elle.

On lui libéra le passage jusqu’à la cabine avant, et le copilote lui céda son fauteuil. Elle serra la clavicule, en harmonie avec elle, et contempla les prairies sans fin au-dessous d’elle.

— Descendez un peu, dit-elle au kybernëtës.

— De combien ? demanda ce dernier.

— Allez moins vite et descendez de… cent bras ? Un peu moins ?

Elle se retourna pour regarder Oresias. Demetrios s’était glissé derrière lui dans la cabine surpeuplée, les yeux agrandis, le visage toujours pâle comme un linceul.

— Cinquante bras, décréta Oresias. Allons-nous la voir ? demanda-t-il à Rhita.

— Je ne sais pas. Elle n’est peut-être pas très grosse. Mais lorsque nous y serons, je le saurai immédiatement.

Les deux abeilles ralentirent et commencèrent à descendre tandis que le cargo et la citerne volante décrivaient des cercles au-dessus du sol, en les survolant à intervalles réguliers. Rhita se concentrait sur le terrain, qu’elle essayait d’harmoniser avec les impulsions émises par la clavicule. Mais l’exercice n’était pas vraiment nécessaire, comme elle s’en aperçut bientôt.

— Là, dit-elle. Posez-vous là.

La clavicule lui avait simplement annoncé, par un moyen dont Rhita était incapable d’expliquer la nature, qu’ils étaient arrivés à destination. L’abeille décrivit un cercle, et elle la guida de nouveau, jusqu’à ce que le site se trouve devant les deux appareils, qui volaient à présent à moins de cent cinquante bras l’un de l’autre. L’endroit était parfaitement reconnaissable à l’œil nu. C’était un creux de terrain couvert d’une herbe verte bordant le lit d’un ruisseau boueux. Elle ne voyait pas la porte, mais la clavicule lui indiquait avec précision l’endroit où elle se trouvait.

— Posons-nous, dit Oresias au kybernëtës.

Celui-ci échangea quelques mots à la radio avec son homologue à bord de la deuxième abeille, et ils descendirent sur une cinquantaine de bras pour se poser avec un léger rebond dans l’herbe que leurs rotors faisaient frémir en vagues de sens opposé.

— Coupez les réacteurs, commanda Atta, qui se tenait derrière Oresias. Le silence est préférable. Nous arrivons ici en faisant autant de boucan qu’une horde de démons ivres. Inutile d’en rajouter inutilement.

— Est-ce qu’il y a un endroit pour faire atterrir les deux autres ? demanda Oresias à Rhita.

Elle fut un instant désorientée. Comment pouvait-elle savoir ? Puis elle se rappela que la clavicule était là pour la renseigner. Elle fit apparaître l’image, survola le paysage stylisé et chercha un endroit plat, sans creux ni aspérités, pour que les deux appareils puissent s’y poser.

— Au nord-est, à quelques centaines de bras, dit-elle. C’est à peu près plat, mais il doit y avoir quelques trous. Ils seront peut-être un peu secoués.

— Par où doivent-ils approcher ? demanda Oresias.

— Ils doivent se présenter en arrivant du sud. Ils ne peuvent pas manquer l’endroit. C’est le seul emplacement assez large.

— Souhaitez-leur bonne chance, dit Oresias au kybernëtës en lui transmettant les indications. Est-ce que nous pouvons descendre sans danger, maintenant ?

— Je ne vois rien de menaçant, fit Rhita.

Elle était cependant tremblante. Le fait de ne pas voir la porte de ses propres yeux la rendait anxieuse. Elle ne savait rien d’autre que son emplacement.

Il n’y a peut-être rien du tout à cet endroit, se dit-elle.

Les portières de l’abeille s’ouvrirent. Une bouffée d’air froid et pur envahit la cabine à l’atmosphère confinée. Il y avait là une odeur de foin qui faisait penser à une étable, avec peut-être quelque chose en plus qui devait venir de la terre humide.

D’un horizon à l’autre, la steppe ondulait sereinement, ignorant toute présence humaine, uniquement axée sur son propre rêve de fécondité. Ce sol, partout où il y avait de l’eau, était l’un des plus riches de Gaïa. À l’ouest, le soleil jaune orange aux contours nets allait disparaître avant une demi-heure derrière l’horizon. Le ciel était pur et sans nuages. Le bleu de l’ourlet d’Athënë s’étendait sur son domaine, émaillé de quelques étoiles ou planètes qui scintillaient au loin telles des paillettes tombées de la boîte à maquillage d’Aphrodite.

Le cargo descendit se poser à quelques stades de là, suivi de la citerne volante. Leurs moteurs résonnaient de manière incongrue dans le silence de ce lieu pastoral.

Les membres de l’expédition s’étaient regroupés sous les pales immobiles de la première abeille. Tous les regards étaient tournés vers le creux de terrain où se trouvait leur objectif. Jusque-là, ils ne s’étaient heurtés à aucune difficulté réelle. Mais personne, à en juger d’après les regards, ne s’attendait à ce que cela dure éternellement. Atta ne cessait de scruter l’horizon, le front plissé.

Le Celte se tenait à côté de Rhita, l’arme prête. Les autres gardes du palais le rejoignirent quelques instants plus tard, la mine impassible mais l’œil aux aguets. Peu à peu, les oiseaux étaient revenus se poser dans l’herbe, petites boules de plumes ébouriffées, timides et anxieuses.

Rhita souleva la clavicule.

— Elle est là, dit-elle. Je vais descendre, ajouta-t-elle après avoir dégluti avec peine. Que personne ne me suive… excepté lui.

Elle désignait le Celte, qui se serait senti profondément insulté si elle avait marché sans lui vers le danger.

Demetrios fit un pas en avant, le visage encore blême des suites du voyage en abeille.

— Je voudrais vous accompagner, dit-il. Je suis ici pour essayer de me faire une opinion sur ce que nous voyons. Je ne sers à rien si je reste en arrière.

Rhita était trop fatiguée et trop énervée pour discuter.

— Uniquement Lugotorix et vous, dans ce cas, dit-elle.

Elle espérait qu’il n’y aurait pas d’autres valeureux volontaires. Et il n’y en eut pas. Oresias et Atta demeurèrent en bordure de la dépression, les bras croisés, entourés par l’équipage des deux abeilles et par les autres membres de l’expédition, tandis que le Celte, Demetrios et Rhita descendaient le versant en pente douce jusqu’au lit du cours d’eau boueux.

Sans que sa volonté y fût pour rien, Rhita redressa la clavicule de manière à mieux repérer le terrain devant elle. La porte, sur l’écran, avait maintenant l’apparence d’un cercle rouge situé à moins de cinq bras de distance.

— Elle est là ? demanda Demetrios.

— Juste ici, fit Rhita.

Elle l’aperçut enfin à l’œil nu, sous la forme d’une lentille presque invisible qui flottait à huit bras environ au-dessus du sol, à peine plus foncée que le ciel environnant. Elle semblait inanimée, mais Rhita n’en était pas moins terrifiée. La clavicule l’abreuvait maintenant d’informations qu’elle comprenait à peine et qu’elle dut lui demander muettement, à plusieurs reprises, de répéter. Sans mots, la clavicule l’informa de nouveau qu’elle était devant une porte incomplète, qui ne demandait que très peu d’énergie pour fonctionner. Une porte expérimentale, à travers laquelle on pouvait tout juste prélever des échantillons et envoyer des sondes. Elle n’était pas assez grande pour laisser passer quelque chose de plus large qu’une main, et de toute manière elle ne fonctionnait pas pour le moment.

Rhita fit part de toutes ces précisions à Demetrios. Ils firent le tour de la porte, la tête penchée, pendant que le Celte restait à quelques bras de là, l’arme prête.

Est-ce que je ne pourrais pas l’agrandir moi-même ? demanda Rhita.

La clavicule lui répondit qu’il était possible d’ouvrir la porte de ce côté-ci, mais qu’une telle intervention aurait sans nul doute pour résultat d’alerter les personnes ou les dispositifs, quels qu’ils fussent, chargés de surveiller le passage.

Savez-vous qui a ouvert cette porte ?

Non, répondit la clavicule. À ce stade de création, elles sont à peu près toutes les mêmes.

Rhita se tourna vers Oresias et Atta pour leur dire :

— La porte est trop étroite pour nous livrer passage. Mais si j’essaye de l’agrandir, les gens qui sont de l’autre côté sauront que nous sommes ici.

Oresias réfléchit quelques instants, puis s’entretint à voix basse avec Atta.

— La nuit porte conseil, dit-il. Que tout le monde retourne aux abeilles. Nous établirons notre camp ici.

Le soleil avait déjà disparu derrière l’horizon. Le ciel s’assombrit rapidement au-dessus de la steppe. Rhita plissa de nouveau les yeux en direction de la lentille, à l’intérieur de laquelle brillait une étoile aux branches déformées comme par une masse d’eau. Elle se tourna vers Demetrios.

— Partons d’ici, dit-elle.

Des filets de camouflage furent tendus sur les abeilles, qui prirent l’aspect de monticules herbeux. Ce n’était pas très convaincant, se disait Rhita, au milieu d’un paysage si plat, mais cela valait mieux que rien.

Tandis que quatre larges tentes étaient dressées, Oresias et Atta discutèrent avec le kybernëtës de l’avion-cargo tandis que Rhita, sur son lit de camp posé sur une toile pour aplatir l’herbe, les écoutait parler de ce qu’ils comptaient faire le lendemain. Les mouches et les papillons de nuit voletaient autour de la lanterne suspendue dans un coin de la tente. Rhita était littéralement épuisée, incapable de garder les yeux ouverts, et cependant elle semblait incapable de trouver le sommeil. Demetrios lui apporta une gamelle de soupe de la cuisine improvisée. Elle l’avala en silence tout en se demandant, à plusieurs reprises : Pourquoi ici ? Pourquoi une porte précisément ici ? Qui avait bien pu suivre Patrikia jusqu’à cette Gaïa ? Qui pouvait avoir eu envie de faire une chose pareille ?

Il n’y avait pas eu de message sur son teukhos depuis deux jours. Ce soir, cependant, quand elle alluma l’écran, elle trouva de nouveau une note que lui avait laissée sa grand-mère. Mais celle-ci n’avait rien d’une sorcière, après tout. Elle livrait seulement à Rhita quelques réflexions sur la politique à Alexandreia, un monde bien éloigné, pour lors, des préoccupations de sa petite-fille.

Ayant pris connaissance du long message, Rhita ferma les yeux, paradoxalement soulagée. Longtemps, elle avait senti la présence de la sophë par-dessus son épaule, en train de lui demander des comptes. Mais il était maintenant manifeste que Patrikia était, après tout, une mortelle comme les autres.

Cédant à la fatigue, Rhita éteignit l’écran, remit la tablette dans son étui de peau de chèvre et étouffa la flamme de la lanterne au kérosène. Le reste de la tente était plongé dans un silence total. Au-dehors, la brise légère était tombée avec le jour et la prairie était enrobée d’une gangue de vide pesant sur des milliers de stades alentour.

Éternité
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