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Le président Basil Wenceslas

Conformément aux instructions de Basil, le croiseur du Mage Imperator avait été capturé et ramené sans fanfare jusqu’à la Terre. Maintenu par de puissants faisceaux tracteurs, le vaisseau ornementé avait été remorqué jusqu’à la base lunaire et entreposé à l’abri de tout regard indiscret. Il fallait fournir à Jora’h des instructions complètes avant de le laisser paraître en public.

Basil secoua la tête. Un autre prétendu allié qui s’était retourné contre la Hanse. Une autre déception, une autre trahison…

L’amiral Diente méritait une récompense pour l’efficacité avec laquelle il avait géré l’opération, et le président s’assurerait qu’il la reçoive. Willis, en revanche, devrait être exécutée pour trahison. Le général Lanyan était revenu dans la honte en compagnie de ses soldats embarrassés d’avoir été battus mais manifestement loyaux. Basil était si furieux qu’il avait refusé de lui parler, en dépit des rapports de plus en plus désespérés qu’il lui avait envoyés. Peut-être l’amiral Diente devrait-il diriger les Forces Terriennes de Défense : jusqu’à présent, il était le seul à avoir exécuté correctement les ordres qu’on lui avait donnés.

Comme une formalité, il emmena Eldred Cain sur la Lune. Le Mage Imperator avait au moins un prêtre Vert à bord de son vaisseau, de sorte que Basil avait envisagé d’emmener également Sarein, l’ambassadrice officielle de Theroc. Mais ces derniers temps, la jeune femme avait trop souvent manifesté ses doutes et ses critiques à son égard, c’était pourquoi il avait décidé de la tenir à l’écart. Malgré ses efforts pour la maintenir sous sa coupe, il n’était plus certain de pouvoir lui accorder sa confiance.

Quant à son adjoint, il semblait manifestement troublé.

— Je doute que l’Empire ildiran vous pardonne un jour cette initiative, dit-il tandis qu’ils traversaient la base militaire.

Basil soupira.

— Je sais que vous ne m’approuvez pas, mais je vous assure que c’est la bonne décision. Je vois la lumière au bout du tunnel. La crise s’achèvera sitôt que le Mage Imperator aura entendu raison.

La base lunaire n’avait pas été conçue pour le confort. C’était une installation purement fonctionnelle, où les jeunes recrues apprenaient à s’en sortir avec un minimum d’agrément. Le sol et les murs étaient en pierre, et le mobilier en métal et en verre avait été fabriqué à partir du régolite. Jora’h, habitué à son existence hédoniste, n’avait probablement jamais vécu dans une telle austérité. Mais ce n’était pas Basil qui allait le plaindre.

Celui-ci n’était pas pressé de voir son invité, bien qu’il l’ait déjà fait attendre depuis un moment. À son arrivée sur la Lune, Basil fit un brin de toilette et se changea. Il passa sa tenue en revue avant de se rendre avec son adjoint dans la zone de détention. Des soldats gardaient l’entrée des baraquements réservés au chef ildiran et à son entourage. Les otages devraient partager les sanitaires, et mangeraient les rations militaires à la cantine. Mais Basil était sûr qu’ils s’y habitueraient.

Dans le réfectoire, le Mage Imperator semblait en proie à une grande agitation.

Contrairement à son prédécesseur aussi vieux qu’obèse, Jora’h avait voulu s’aventurer hors du Palais des Prismes. Chose qu’il devait regretter aujourd’hui. Si seulement il ne s’était pas rendu sur Theroc…

— Bienvenue dans la Hanse, Mage Imperator, le salua Basil. Permettez-moi de m’excuser pour la précarité de votre logement. Avec le temps, nous vous fournirons des commodités supplémentaires.

Jora’h avança à grands pas vers Basil.

— Avec le temps ? Vous n’avez pas le droit de me garder. Je suis le Mage Imperator de l’Empire ildiran, non un pion ou un otage livré à vos caprices.

— Vous êtes mon invité. Au vu des récents bouleversements politiques, je pense que la Ligue Hanséatique terrienne et l’Empire ildiran ont beaucoup à discuter. Dès que nous aurons conclu notre affaire à la satisfaction de tous, je serai heureux de vous laisser repartir chez vous.

— Je dois retourner sur Ildira immédiatement !

Une vague de colère traversa le visage de Jora’h, et sa tresse se tordit tel un serpent sur une pierre trop chaude. Basil tressaillit, surpris de la voir bouger d’elle-même.

Une prêtresse Verte surgit au côté de Jora’h.

— Les faeros ont attaqué Ildira. Mijistra est en feu. Le Mage Imperator doit partir diriger son peuple. La Marine Solaire se fait décimer.

Cette nouvelle inattendue souleva un vif intérêt chez Basil. Que diable les Ildirans avaient-ils fabriqué pour irriter autant les faeros ? Si la Marine Solaire déjà affaiblie devait s’occuper d’un nouvel ennemi, alors tant mieux. Les Forces Terriennes n’auraient pas à craindre leurs représailles.

— Dans ce cas, je suis heureux de vous offrir l’asile ici, avec nous. Nous vous protégerons.

La prêtresse Verte reprit la parole :

— J’ai averti la forêt-monde dès le moment de notre capture. Le roi Peter et la reine Estarra savent que vous avez pris le Mage Imperator en otage.

— Peter peut toujours venir lui-même et tenter de le sauver.

Basil se félicitait d’avoir saisi le surgeon de cette femme. Désormais, elle ne pouvait plus envoyer ni recevoir de messages. Coupés du télien, les otages étaient complètement en son pouvoir.

Un chercheur humain faisait également partie de leur groupe. Anton Colicos rappelait quelqu’un à Basil. Puis il se souvint vaguement de lui. Le jeune homme avait attiré l’attention sur la disparition de ses parents, Margaret et Louis, et avait imploré l’aide de la Hanse pour les retrouver. Basil se demanda ce qu’Anton avait appris sur les Ildirans au cours de son séjour parmi eux. Il ordonnerait qu’on l’interroge.

Cain lui toucha l’avant-bras.

— Monsieur le Président, peut-être devrions-nous poursuivre cette discussion un peu plus tard, une fois l’émotion retombée.

— Mon peuple subit une attaque, rétorqua Jora’h. En ce qui me concerne, l’émotion ne va pas retomber, bien au contraire.

— Néanmoins, la suggestion de mon adjoint est fort judicieuse, et j’ai une importante réunion avec le Pèrarque qui m’attend au siège de la Hanse. Je suis simplement venu vous accueillir et engager la discussion. (Il lui lança un bref sourire – le genre de sourire amical dont il avait presque oublié la pratique.) Vous et votre troupe, installez-vous. Inutile de vous inquiéter de quoi que ce soit.

Sur ce, il partit. Les gardes des FTD obturèrent les galeries derrière lui, coupant net les cris de colère qui en sortaient. Alors que son adjoint et lui revenaient à leur navette, il affichait un sourire cette fois sincère.

 

Le Pèrarque arriva dans les étages supérieurs de la pyramide de la Hanse. Voilà quelqu’un qui connaissait sa place et suivait les instructions. Le temps aidant, le président espérait composer une équipe qui adhérerait enfin à sa vision des choses. Alors seulement la Hanse recouvrerait sa puissance.

Le chef de l’Unisson tenait des meetings quotidiens pour entretenir l’atmosphère de peur et de paranoïa suscitée par le retour des « démons » klikiss. Basil doutait fort que ceux-ci s’intéressent le moins du monde à la civilisation humaine : les colons au nombre de leurs victimes s’étaient trouvés là au mauvais endroit et au mauvais moment. Si les Klikiss avaient été proches de l’extinction, ils ne pouvaient représenter une menace militaire sérieuse à présent, nonobstant le rapport extravagant de Lanyan au sujet de Pym.

Dans le bureau, Cain s’était assis à côté de lui, tandis que le Pèrarque relisait le discours que Basil lui avait écrit.

— Le contrôle par la raison ne fonctionne plus sur les gens, médita-t-il à haute voix. Je leur ai accordé le bénéfice du doute en espérant que, pour le bien de l’humanité, ils mettraient de côté leurs insignifiantes chamailleries. À ma grande déception, cela n’a pas rencontré le succès escompté.

— Quelle stratégie allez-vous adopter, monsieur le Président ? demanda Cain, qui semblait redouter la réponse.

— La loi civile fait obéir des citoyens gouvernés par la raison. Mais elle suscite également des interprétations et des débats sans fin. La loi religieuse, en revanche, se révèle beaucoup plus claire. Elle ne permet aucun compromis et nous offre la marge de manœuvre dont nous avons besoin.

— Les gens ne se laisseront pas tromper par ce stratagème, monsieur le Président. Ils sont plus intelligents que ça.

Basil gloussa.

— L’histoire a prouvé le contraire à maintes reprises.

Les sourcils froncés, le Pèrarque reposa le papier.

— Voilà un discours bien incendiaire, dit-il.

Basil darda un regard sur lui, et le dignitaire religieux rectifia aussitôt :

— Mais excellent dans sa composition. Vous avez raison d’exhorter ainsi le peuple.

— Entraînez-vous bien avant de le prononcer. Celui-là est très important.

— Ne le sont-ils pas tous, monsieur le Président ?

— Bien sûr que si.

Marmonnant dans sa barbe, le Pèrarque se retira du bureau de Basil, le laissant seul avec son adjoint.

— Je comprends bien ces choses, monsieur Cain. Ce dont j’ai besoin, c’est une ferveur religieuse à toute épreuve. Et pour la susciter, il faut un chef charismatique. La figure du Pèrarque est trop débonnaire, trop insipide aussi, pour jouer ce rôle avec efficacité. La Hanse a besoin d’un nouveau roi pour régner sous l’égide de l’Unisson. Voyez-vous, le peuple n’a pas de but, c’est pourquoi il a viscéralement besoin d’un véritable monarque. Ce sera notre sauveur. (Il pressa un bouton sur son bureau afin de convoquer le candidat qu’il avait gardé à l’isolement pendant si longtemps.) Voilà un bon moment que je préparais cela.

Basil s’était beaucoup entretenu avec le jeune homme, avait examiné ses notes, et finalement décrété qu’il était prêt et pleinement coopératif. Il était temps.

Le capitaine McCammon entra. Il menait un jeune homme en atours princiers, aux yeux marron et dont la forme du visage évoquait quelqu’un… Ses traits présentaient un étrange air de famille avec le roi Peter : le même menton, le même front. Basil avait expressément demandé qu’on garde ses cheveux intacts, et qu’on ne modifie pas la couleur de ses yeux. Il voulait que le prince, leur nouveau roi, corresponde exactement à l’image que Peter aurait eue de lui.

Cain se leva, et essaya de resituer le jeune homme dans le contexte de ses souvenirs.

— Voici notre nouveau prince, que le Pèrarque couronnera aussitôt que possible. Nous le présenterons à la population de la Terre et enverrons des messages partout, y compris aux représentants de la Confédération, sur Theroc.

Le jeune homme tendit la main à Cain et la serra en un geste bien étudié.

— Laissez-moi vous présenter le roi Rory, dit Basil en s’autorisant un sourire. Peter saura exactement qui il est.

Un essaim d'acier
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