121
Le président Basil Wenceslas
Basil avait beau être méticuleux, il n’arriverait jamais à prévoir toutes les tentatives de ceux qui désiraient l’abattre. Lors des opérations menées contre ceux qui relayaient la stupide condamnation de Peter et la confession de Patrick Fitzpatrick, il avait fait arrêter dix-sept meneurs. Il avait fait diffuser des déclarations officielles, preuves à l’appui, afin de réfuter les mensonges et les accusations puériles proférés à son encontre. Mais très vite, un autre groupe de mécontents avait pris la relève. Ils avaient ajouté les horribles images d’Usk et – cela exaspérait Basil au plus haut point – les avaient falsifiées pour lui donner le mauvais rôle. Cela ne l’amusait pas du tout.
Et voilà qu’il venait d’apprendre – d’un marchand indépendant venu sur Terre répandre fièrement la nouvelle – la spectaculaire annonce d’une alliance entre le Mage Imperator et le roi Peter. Par cette seule déclaration, le chef ildiran renforçait la légitimité de la Confédération. Basil avait vu rouge pendant cinq minutes, et ne savait plus ce qu’il avait dit ou fait durant ce temps. Quand il avait repris ses esprits, ses tempes l’élançaient et son crâne paraissait près de se fendre.
Il cligna des yeux et aperçut Cain assis à son bureau. Basil attendit qu’il s’exprime au sujet de la scène qu’il venait de faire, mais celui-ci eut la sagesse de ne rien dire. Le président aurait presque préféré le contraire, mais son adjoint resta muet, comme si Basil avait simplement éternué et avait eu besoin d’un instant pour se ressaisir.
Il prit une longue inspiration et se rendit compte que sa gorge était irritée. Il se demanda ce qu’il avait bien pu crier. Il ne s’en souvenait vraiment pas.
— Appelez-moi l’amiral… (Il s’interrompit, les sourcils froncés.) Sur quel amiral puis-je encore compter ?
— Les amiraux Pike et San Luis ont été envoyés sur deux colonies séparatistes. L’amiral Willis se trouve sur Rhejak. L’amiral Diente, toutefois, peut être facilement rappelé des chantiers spationavals de la ceinture d’astéroïdes.
— Ramenez-le-moi, mais sans tambour ni trompette.
Cain semblait se forcer à ne rien laisser voir, après l’accès de rage dont il avait été témoin.
— Qu’avez-vous en tête, monsieur le Président ?
Basil écouta ces paroles avec soin pour essayer d’y repérer une critique implicite. Il accordait de moins en moins de confiance à son adjoint. Il y avait si peu de personnes sur qui il pouvait compter ! Pas même Sarein, même s’il avait fait de son mieux pour la tenir sous sa coupe. Comment avait-il pu trouver séduisante cette Theronienne maigrichonne ? Elle lui paraissait si collante, effarouchée et outrancière à la fois… La dernière fois qu’ils avaient fait l’amour, il était ensuite resté allongé sans dormir, craignant qu’elle ne lui plante un couteau dans le dos pendant la nuit.
— Monsieur le Président ?
Basil souffla par le nez comme il revenait à l’affaire en cours.
— Il s’agit du Mage Imperator, monsieur Cain. Au lieu de me rencontrer, moi le président de la Ligue Hanséatique terrienne, il a préféré mener son « ambassade auprès de l’humanité » jusqu’à Peter. Il a choisi Theroc et non la Terre. C’est une insulte que nous ne pouvons pas ne pas relever. Nous devons montrer à l’Empire ildiran que nous représentons le seul véritable gouvernement. Avec le soutien du Mage Imperator, nous renforcerons de nouveau la Hanse.
— Monsieur le Président, les Ildirans ne comprennent pas la politique humaine. Le Mage Imperator n’est certainement pas au fait des changements qui ont eu lieu dans nos milieux politiques. Il a été mal informé. Je doute qu’il ait désiré vous faire un affront.
— Alors, nous l’informerons comme il convient. Nous allons lui donner l’occasion de s’excuser pour son manque de clairvoyance. J’ai l’intention de l’inviter ici, sur Terre. On lui trouvera des appartements spécialement adaptés.
Cain commença à se lever, mais sembla y renoncer après réflexion.
— Que dites-vous ? Comment ferez-vous pour amener le Mage Imperator jusqu’ici ?
— Nous l’inviterons… par la force armée si nécessaire. D’après les rapports, il voyage à bord d’un seul croiseur lourd. Dès qu’il aura quitté Theroc, nous escorterons son vaisseau sur Terre. C’est pourquoi j’ai besoin de l’amiral Diente.
À présent, Cain avait l’air épouvanté.
— Vous parlez de kidnapper le Mage Imperator ? Essayez-vous donc de déclarer la guerre à l’Empire ildiran ?
— Ne soyez pas si mélodramatique.
— Franchement, monsieur le Président, ce n’est pas le cas. Je suis absolument sûr que…
Basil l’interrompit, fatigué de ses regards et de ses commentaires réprobateurs :
— J’ai réfléchi aux conséquences et pris ma décision. La Marine Solaire est sévèrement endommagée, certainement plus que nos Forces Terriennes de Défense. Et vous connaissez comme moi les Ildirans. Dès que nous détiendrons le Mage Imperator, ils seront incapables de fonctionner par eux-mêmes. Un troupeau de moutons sans berger. Nous avons la supériorité militaire, et bientôt, nous posséderons un atout décisif dans les pourparlers.
Cain regarda sombrement par la fenêtre, comme s’il imaginait le Quartier du Palais en proie aux flammes.
— Je vous supplierais volontiers de reconsidérer la question, monsieur le Président, mais cela ne servirait à rien, n’est-ce pas ?
Basil lui darda un regard glacial.
— Je n’ai rien contre Jora’h, seulement contre Peter : constamment à me provoquer, à essayer de me faire passer pour un fou. Mais je m’occuperai aussi du Mage Imperator, s’il m’y force.
L’adjoint se leva.
— Vous vous engagez au-dessus d’un abîme, monsieur le Président. J’espère que vous en êtes conscient.
— Nous verrons lequel de nous deux a raison, monsieur Cain.
— Hélas oui, monsieur, répondit ce dernier en se retournant pour partir. Si vous voulez bien m’excuser, j’ai des dispositions à prendre.
Il transpirait d’abondance. Basil ignorait le genre de dispositions dont il parlait, mais il s’en fichait. Il entreprit de rédiger l’ordre destiné à Esteban Diente, et songea au moyen de faire en sorte que l’amiral ne le déçoive pas, comme tant d’autres l’avaient fait.
Il toucha la table-écran, afficha le dossier de Diente, et localisa les membres de sa famille. Deux filles, un fils, cinq petits-enfants. Cela devrait suffire comme moyen de pression. Oui, Diente obéirait sans discuter.