131
Davlin Lotze
La bataille entre les Klikiss fit rage tout l’après-midi. Davlin doutait que leur petit groupe puisse demeurer caché jusqu’à la nuit, où ils pourraient tenter de s’échapper. Il décomposa le problème de façon à résoudre chaque élément l’un après l’autre.
Bien que tremblants et épuisés, tous les six étaient prêts à partir. Aucun d’eux n’avait l’intention de se rendre, même pas Margaret Colicos. Robb Brindle souffrait toujours de sa blessure au dos, mais celle-ci ne semblait pas mettre sa vie en danger.
— C’est un vrai labyrinthe, dit Nikko. Au mieux, je m’y perds… Comment sommes-nous censés trouver l’ancienne cité klikiss, puis sortir en passant sous le nez des Klikiss en train de se battre ?
— Je pourrais optimiser notre parcours, proposa DD. Une fois que nous serons rentrés dans les ruines, je nous trouverai une sortie plus appropriée.
Orli passa un bras rassurant autour des épaules du petit comper, mais ne dit rien.
DD les guida vers la vieille cité. Cependant, le temps qu’ils aient atteint les passages érodés pourvus de circuits électriques et de câbles de télécommunication, Davlin crut déceler un changement au sein de la ruche. Des ouvriers passèrent à toute allure, ne s’arrêtant que pour examiner brièvement les humains avant de les écarter d’une bourrade. Quelque chose changeait.
Margaret écouta les cliquetis, puis dit :
— Il faut partir d’ici. Très vite. Le spécex en aura bientôt fini avec la sous-ruche adverse.
— Il est temps de mettre les bouts, donc, dit Robb.
Davlin parvint à une décision :
— Je sais comment les tenir à distance… mais j’estime les chances de succès à dix pour cent.
— Dix pour cent ? répéta Nikko, l’air déçu.
— C’est toujours mieux que zéro pour cent, fit remarquer Tasia. (Elle se gratta la tête et en extirpa un grumeau de résine durcie, qu’elle jeta.) Que devons-nous faire ?
— En ce qui vous concerne, débrouillez-vous pour sortir. Rejoignez l’Osquivel et secourez les réfugiés des promontoires. Tamblyn, Brindle, vous volerez un véhicule roulant aux Klikiss s’il le faut. Vous êtes assez malins pour trouver comment ça se conduit.
Il savait qu’il pouvait déléguer cette responsabilité à ces deux-là. Ils avaient assurément les qualifications requises pour devenir des « spécialistes des indices cachés » comme lui-même.
— On dirait que vous n’envisagez pas de nous rejoindre, dit Robb.
Margaret s’arrêta.
— Je n’ai aucune intention de vous abandonner, Davlin, après tout ce que vous avez fait pour nous.
— Je trouverai quelque chose. J’ajusterai mes plans en fonction. Ne m’attendez pas. Si tout se passe sans à-coups, je serai sur vos talons.
— Si tout se passe sans à-coups ? grogna Nikko. Est-ce arrivé une seule fois ?
Davlin se tourna vers Orli.
— J’ai besoin de ton sac à dos.
À contrecœur, elle ôta les sangles de ses épaules.
— Mon synthétiseur à bandes ?
— Il me le faut pour nous sauver tous. Maintenant, partez !
Davlin ne s’éternisa pas. Il attrapa le sac d’Orli et courut dans les galeries, suivant les gaines électriques en direction de la centrale installée plus d’un an auparavant par les chiens de garde des FTD. D’après les diodes des boîtiers relais, le courant passait toujours, au moins par intermittence. Les insectes avaient récupéré des éléments des baraquements, mais dédaigné d’autres pièces.
De nouveaux Klikiss défilèrent dans les couloirs ; certains avaient des membres en moins et une carapace fendue. L’air sentait la poussière et l’amertume du sang d’insecte. Si la bataille principale était terminée, le spécex de Llaro allait traquer ce qui restait des envahisseurs, et la présence de Davlin finirait par être remarquée.
Alors, les insectes l’intercepteraient.
À travers une petite fenêtre, il regarda dehors. Au niveau du transportail, les plus puissants guerriers du spécex de Llaro déchiquetèrent quatre des accouplants envahisseurs. Les monstres tigrés de noir eurent beau se démener, ils furent submergés. Ils combattirent, et périrent.
Pour Davlin, peu importait qui gagnait. Quoi qu’il arrive, il lui restait très peu de temps.
La centrale de commandes et de communication était un réduit fermé par une porte grillagée. Davlin n’eut aucune peine à en découper les mailles. Il était soulagé de constater que les Klikiss n’avaient prêté aucune attention à son intrusion dans l’ancienne cité. Cela ne les intéressait tout simplement pas.
Il laissa choir le sac à dos en loques d’Orli sur le sol dur. Les autres devaient avoir atteint l’extérieur. Il comptait là-dessus. S’ils n’étaient pas assez rapides, les Klikiss les attaqueraient.
Davlin déroula les bandes souples du synthétiseur sur le sol de pierre. Il fonctionnait encore. Il alluma la petite batterie, déroula le câble de sortie audio, puis arracha le capot de la console de communication pour effectuer le branchement. Quelques notes s’élevèrent pendant qu’il procédait, mais aucun des Klikiss ne sembla le remarquer. Il travaillait d’instinct : pour les besoins de ses multiples missions d’espionnage, il avait dû apprendre comment fonctionnaient tous les systèmes de communication existants. Si la boîte à musique de Margaret Colicos avait un impact suffisant pour troubler le spécex, alors la musique bien plus sophistiquée d’Orli devrait avoir un effet comparable. Et il comptait leur en donner une dose massive. Il pria pour que cela s’avère suffisant.
Il sélectionna l’ensemble des mélodies enregistrées par la fillette et les mit en boucle. Puis il poussa le volume au maximum et appuya sur le bouton « Lecture ».
La musique surgit des haut-parleurs installés à intervalles réguliers à travers les anciennes galeries. Un ouvrier klikiss dévalait le passage en direction de Davlin. Dès que la musique s’éleva, il pivota, comme désorienté.
Le synthétiseur continuait à jouer, et les notes fascinaient les Klikiss. Le spécex, par les oreilles de ses serviteurs, devait à présent avoir le vertige.
Davlin sortit par la brèche dans la porte grillagée, la referma et se mit à courir. Il était temps pour lui de trouver une sortie.