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Cesca Peroni
À l’intérieur de leur vaisseau d’eau et de nacre, Cesca et Jess communiaient avec les wentals qu’ils venaient de récupérer dans une nouvelle nébuleuse. Le nombre de créatures élémentales détruites et dispersées au cours de la guerre antique échappait encore à la jeune femme, mais sa perception ne cessait de gagner en force, en netteté et en étendue.
Soudain, elle perçut un grand trouble parmi les wentals, comme si un coup de gong avait retenti. La trame de l’univers résonna d’un cri d’agonie.
Jess l’agrippa tandis qu’ils flottaient au sein de leur vaisseau.
— Je ne sais pas ce que c’est. Les wentals de l’autre nébuleuse… quelque chose d’atroce, des flammes…
Tous deux ressentirent dans leur chair le hurlement mental. Des wentals, assassinés ! Et ils savaient qu’il s’agissait des faeros. Cesca pouvait le sentir.
— On les a jetés dans un soleil, murmura-t-elle.
Un groupe d’entités ignées avait attaqué un cargo de Plumas dans le système de Jonas… avec son père et Caleb Tamblyn à bord !
D’autres murmures, d’autres tremblements de peur.
Pis, un groupe bien plus vaste de faeros attaquait autre part : une armée phénoménale de plusieurs milliers de bolides ignés.
— Charybde ! cria Jess d’une voix déchirée.
Dans leur vaisseau, les nouveaux wentals tourbillonnaient autour d’eux. Cesca tenta de refouler un gémissement, mais la souffrance affluait de toutes parts. Son père, Charybde, tant de wentals…
Comme si ses yeux s’étaient ouverts sur un lointain monde étranger, elle aperçut un océan bouillonnant, dont la surface était crevée çà et là de robots noirs inanimés. Elle reconnut la planète sur laquelle Jess avait rétabli la présence wentale, où elle-même avait été soignée et métamorphosée. Là où Jess et elle s’étaient mariés.
Toutes les mers de Charybde étaient vivantes, imprégnées d’énergie wentale. Comme des grappes de faeros fondaient sur elles, les wentals érigèrent leurs défenses sous forme de vagues gigantesques. Les nuages eux-mêmes s’amassèrent pour la bataille.
Les faeros furieux apparurent : des dizaines, des centaines puis des milliers, tels des soleils miniatures. Aussi brillants que des étoiles se muant en novae, ils vaporisèrent les nuages qu’ils traversaient, projetant de la vapeur en tous sens.
Tandis que les faeros s’enfonçaient dans les mers, les eaux s’écartèrent, puis les engloutirent. Les créatures incandescentes luttèrent farouchement. Leurs ennemis noyèrent des myriades d’entre elles, mais il en arrivait sans cesse. Les faeros commencèrent leur bombardement, et les flammes, pareilles à de la lave, brûlaient les rochers noirs et la mer elle-même. Les wentals de Charybde ne pouvaient résister à une force si écrasante. C’était comme si tous les faeros de l’univers s’étaient donné rendez-vous pour livrer bataille : une attaque inconcevable, destinée à stériliser la planète entière.
Cette agonie déchira le cœur de Cesca. Cela ne pouvait se produire ! Les faeros asséchaient littéralement les océans. Les wentals lâchaient sur eux leurs prolongements aqueux afin de les moucher, mais la pluie de feu se poursuivait. Peu importait le nombre de bolides ignés qui s’abîmaient, fumants, au fond des océans en baisse, une quantité inépuisable de faeros arrivait sans cesse.
Loin de ce spectacle, Cesca chercha à tâtons la main de Jess et s’y cramponna. Lorsqu’il la serra en retour, elle se réjouit de sentir cette petite douleur physique, si insignifiante comparée aux horreurs qu’elle voyait sur Charybde. Elle cria.
Leur vaisseau fonça en direction de Charybde, mais ils se trouvaient bien trop loin pour être d’une quelconque aide. Il leur faudrait plusieurs jours pour arriver. Et ils n’avaient pas de wentals à amener en renfort. Tandis que la destruction par le feu se poursuivait, Cesca et Jess s’efforcèrent de saisir la raison pour laquelle les faeros s’en prenaient aux wentals. Même ces derniers ne comprenaient pas cette fureur vengeresse à leur encontre.
Les larmes de Cesca affluèrent, pour se diluer aussitôt dans le liquide vivant. Comme ils observaient les ultimes instants de l’attaque, l’eau de leur vaisseau issue de la nébuleuse commença à chauffer… puis à bouillir.