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Patrick Fitzpatrick III
Les Vagabonds avaient placé Patrick sous haute surveillance jusqu’à ce qu’il comparaisse devant le tribunal clanique. À présent que le Gitan avait été saisi, il ignorait ce que Del Kellum redoutait à son sujet. Peut-être les Vagabonds craignaient-ils qu’il ne sabote le réacteur d’ekti, ne détruise les systèmes antigravifiques et ne provoque ainsi la chute de la station d’écopage dans les nuages ? Il ne comprenait pas pourquoi ils se méfiaient de lui, puisqu’il avait passé des mois à chercher cet endroit, pour voir Zhett et faire amende honorable, non pour causer plus de mal.
— Ton palmarès est éloquent, dit l’ouvrier à la mine revêche venu lui apporter un plateau de viande épicée et de légumes issus de l’agriculture hydroponique, avec du riz. Regarde les dégâts que tu as provoqués. Pas question de te laisser la moindre occasion d’en causer davantage.
— Non, je suppose que non.
Il le remercia et accepta le déjeuner avec gratitude. Le goût lui rappelait d’agréables souvenirs. Malgré un nœud à l’estomac, il racla son assiette jusqu’au dernier grain.
Si sa grand-mère connaissait sa situation, elle rirait probablement de son manque de prévoyance et de son incapacité à tourner les événements à son avantage. Contrairement à Maureen Fitzpatrick, « la Virago », il n’avait jamais été très fort pour la manipulation. Et il en était heureux. Il n’avait pas besoin de manipuler, seulement d’être honnête. Bien sûr, il avait emprunté son vaisseau spatial lorsqu’il en avait eu besoin… Un jour, il trouverait un moyen de le lui rembourser.
Zhett n’était pas venue le voir, et tout ce dont il désirait se soulager auprès d’elle lui pesait toujours. Sa confession au sujet de Raven Kamarov avait été la chose la plus éprouvante qu’il avait jamais faite, et il se doutait qu’il n’aurait probablement plus jamais l’occasion d’ouvrir son cœur à Zhett désormais. C’était encore plus dur pour lui. Pourquoi ne le laissait-elle pas lui dire combien il était désolé ? Il avait oublié à quel point elle était exaspérante, parfois.
Ses quartiers exigus aux parois métalliques le faisaient se sentir claustrophobe. Ici, dans cette gigantesque station d’écopage planant au-dessus des nuages, n’aurait-on pu lui trouver une chambre avec vue ? Ce n’était pourtant pas le ciel qui manquait. Il réfléchit à ce qu’il dirait au tribunal, même s’il ignorait quelles questions on lui poserait. Alors, il s’assit et attendit… et pensa à Zhett.
La porte coulissa, laissant filtrer une bouffée des relents industriels de la coursive. Del Kellum était vêtu d’une chemise ajustée, brodée de ses armoiries. Elle était si propre et si tape-à-l’œil que Patrick devina qu’il ne la portait pas souvent. Les cheveux striés de gris de Kellum étaient peignés avec soin.
— Prêt, mon garçon ? J’espère que tu as profité de ta solitude pour trouver ton Guide Lumineux.
— Je ne savais pas que j’étais censé le chercher.
— Tout homme doit trouver le sien. Allons.
Patrick le suivit sans rechigner.
Le tribunal clanique comprenait Kellum et quatre autres chefs de station, et se tenait dans une salle sous dôme, sur le pont supérieur. Le plafond incurvé et transparent laissait voir les volutes pastel qui s’élevaient tout autour d’eux. À son entrée, les chefs de station le toisèrent avec un mépris cinglant.
Zhett était assise en tête de table à côté de son père. Elle était superbe dans son uniforme de travail noir qui moulait si parfaitement son corps. La seule chose qui n’allait pas, songea-t-il, était son visage cruellement dépourvu de sourire. Il aurait préféré qu’elle se mette à hurler, à l’insulter ou à l’accuser. Si elle pouvait seulement l’écouter cinq minutes…
Kellum déclara la séance ouverte. L’expression avenante qu’il arborait d’ordinaire avait disparu.
— Patrick Fitzpatrick III, veuillez vous lever.
Celui-ci baissa les yeux.
— Je suis debout.
Kellum semblait suivre un scénario à la lettre.
— Racontez-nous de nouveau les crimes que vous avez avoués de façon informelle. Pour le procès-verbal.
— Je parie qu’il va changer son histoire, maintenant qu’il comparaît, murmura Bing Palmer.
— Je ne changerai pas mon histoire. Je suis venu expier, chercher le pardon si vous voulez me l’accorder, ou accepter ma condamnation si vous ne voulez pas. Je suis venu vous dire que je suis désolé.
Il espéra une réaction de la part de Zhett, mais elle demeura aussi impassible qu’une statue.
Néanmoins, il répéta la liste de ses crimes, non seulement celui concernant Raven Kamarov, mais aussi le blocus d’Yreka et les actes mesquins de harcèlement contre les clans. Il raconta cela dans une sorte de vertige. Ses genoux tremblaient, son cœur cognait si fort qu’il avait l’impression qu’un boxeur martelait sa poitrine de l’intérieur.
— Je ne cherche pas à me dédouaner, mais le temps que j’ai passé chez les Vagabonds m’a appris que j’avais tort. C’est pour cela que j’ai abandonné les Forces Terriennes de Défense et que j’ai tout quitté. Le général Lanyan m’aurait fait abattre comme déserteur si j’étais revenu chez moi.
— On dirait qu’il ne vous reste plus une seule option valable, dit l’un des chefs.
— Non, en effet. Et je n’attends aucune clémence.
— Nous n’avons pas l’intention d’en faire preuve à ton égard, dit Del avant de regarder sa fille : À moins que tu ne souhaites parler en sa faveur, ma chérie ? C’est à toi de décider.
Zhett jeta un coup d’œil à Patrick, et l’espace de quelques secondes, elle parut s’attendrir. Tout de suite, cependant, son visage redevint de marbre. Elle secoua la tête, et le cœur de Patrick chavira.
Kellum posa les mains à plat sur la table. Il avait l’air d’être devenu un complet étranger et semblait immense, impressionnant. Sa voix grave ne trahit aucune émotion :
— Ainsi, Patrick Fitzpatrick III, nous n’avons pas le choix. Non seulement vos actions ont provoqué la mort de Raven Kamarov, mais vous avez avoué votre implication dans le meurtre de colons yrekiens, et dans le déclenchement des événements qui ont mené à la perte d’innombrables Vagabonds et à de graves souffrances. Selon l’ancien code des écopeurs d’ekti, les règles sont claires. (Il croisa les bras sur sa poitrine.) Nous vous condamnons aux vents.
Une rumeur embarrassée parcourut les chefs de station. Zhett parut envahie par la nausée.
Les yeux de Patrick allaient et venaient alors qu’il tâchait de déchiffrer leurs visages.
— Qu’est-ce que ça signifie ? De quoi parlez-vous ?
— Vous n’avez jamais vu l’un de ces vieux spectacles vids historiques sur les pirates ? lança l’un des chefs de station avec un ricanement âpre.
Kellum opina.
— Une comparaison juste. Nous nous trouvons en surplomb d’un vide de mille kilomètres, sans rien d’autre en dessous que l’infini. Vous subirez le supplice de la planche.