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Le roi Peter
Alors que Peter tenait le bras d’Estarra avec un sourire d’encouragement, une sage-femme vagabonde examinait la jeune femme.
— Quelques semaines encore, déclara-t-elle. L’enfant paraît sain, ainsi que la mère. Nous devrions avoir une naissance sans incident.
Peter gloussa.
— Sans incident ? Biologiquement parlant, j’espère bien. Mais d’un point de vue politique ? L’arrivée de cet enfant aura d’énormes répercussions, pour la Confédération comme pour la Hanse.
Estarra le regarda avec chaleur.
— Cette naissance alimente nombre de commérages chez les Vagabonds. Ils veulent la célébrer dignement.
Peter savait qu’elle avait assisté à la fête spectaculaire que les clans avaient organisée à l’occasion des fiançailles de son frère Reynald avec Cesca Peroni. Il lui caressa le dos. Elle ferma les yeux et lui sourit comme si elle s’apprêtait à ronronner.
— Prépare-toi à recevoir trois cents et quelques Rois mages, la taquina-t-il.
Yarrod apparut à la porte.
— Un marchand vagabond vient d’arriver des stations d’écopage de Golgen. Il a une nouvelle urgente à délivrer.
— Il y a toujours une nouvelle urgente, fit remarquer Estarra en tapotant la main de Peter. Continue à me caresser le dos.
— Il se plaint du fait que si toutes leurs stations avaient disposé d’un prêtre Vert, le message aurait été transmis instantanément, dit Yarrod sans paraître impressionné le moins du monde.
— On y travaille, répondit Peter. (Une centaine de volontaires avaient été envoyés afin de mettre en place un réseau de communication à travers la Confédération.) Je vais voir ce qu’il a à nous dire.
Boris Goff discutait avec d’autres Vagabonds du récif de fongus, relayant des potins et racontant ses histoires encore et encore. Lorsque Peter entra dans la salle du trône, Goff se retourna vivement.
— Ah, vous voilà ! Vous savez, la présence de ces arbres géants suffit pour flanquer la trouille à d’innocents marchands.
— Mieux encore, ils flanquent la trouille aux FTD, repartit Peter en s’asseyant sans façon sur son trône, afin d’éviter toute cérémonie. À présent, quelle est cette nouvelle urgente ?
— On a déniché un ancien officier des Terreux nommé Patrick Fitzpatrick III. Apparemment, il a déserté et errait à notre recherche.
Peter fronça les sourcils.
— Fitzpatrick… J’ai entendu parler de lui. N’est-ce pas le petit-fils de l’ancienne présidente de la Hanse ?
— Qu’est-ce que ça peut faire ? (Goff parvenait à peine à contenir son enthousiasme.) Quand on l’a trouvé sur Golgen, il a lâché une véritable bombe : c’est lui qui est à l’origine de toute cette pagaille ! Il a tout avoué.
— De quelle partie de « toute cette pagaille » parle-t-on ?
— Fitzpatrick a détruit le vaisseau de Raven Kamarov. Il a tiré le premier coup.
Peter secoua lentement la tête.
— Il y a sûrement plus. A-t-il agi sur ordre ?
— D’après lui, le général Lanyan lui a ordonné de s’emparer de l’ekti de Kamarov et de se débarrasser du témoin.
Peter serra les poings. Au cours de la débâcle, ni Lanyan ni le président ne lui avaient parlé de cela. Aujourd’hui, toutes les pièces s’assemblaient.
— Ainsi, malgré les démentis de la propagande de la Hanse, les accusations des Vagabonds étaient exactes depuis le commencement.
— Bien sûr.
Peu importait ce qu’avait commis Fitzpatrick. Le vrai criminel était le commanditaire : le général Lanyan. Mais le pire d’entre tous, c’était le président Wenceslas, qui avait créé un climat politique délétère et dissimulé des informations essentielles pour autoriser des subalternes à commettre de tels forfaits.
Peter cala son menton sur ses paumes et réfléchit. Basil était devenu mesquin et vindicatif. Il avait perdu la perspicacité, l’assurance et le flair qui avaient fait de lui jadis un dirigeant éclairé. Les crises renouvelées, les revers et les fiascos avaient eu raison de son ouverture d’esprit. Le roi était convaincu depuis longtemps qu’il aurait dû démissionner, mais aujourd’hui, il l’était plus que jamais. Il ne pouvait laisser les événements suivre leur cours sans intervenir. Pas s’il comptait avoir une Confédération forte et solide. Pas s’il comptait offrir un avenir à l’espèce humaine.
Boris Goff souriait par anticipation, puis joignit les mains devant son visage. Peter prit une inspiration et éleva la voix, afin que tout le monde puisse l’entendre dans la salle du trône. Les prêtres Verts présents dans les environs s’approchèrent et utilisèrent leur télien pour relayer ses paroles.
— Nous possédons une preuve incontestable de crimes contre l’humanité perpétrés par deux chefs de la Hanse, déclara-t-il. De ce fait, je condamne officiellement le général Kurt Lanyan et le président Basil Wenceslas. Dorénavant, tous deux seront considérés comme des criminels et des hors-la-loi qu’il faut isoler du reste du Bras spiral. Je réclame le soutien des représentants des Vagabonds, des colonies de la Confédération, des marchands qui voyagent à travers la galaxie. Diffusez mon annonce sur chaque monde, en particulier ceux qui se réclament encore de la Hanse.
» Les Terriens doivent prendre leurs affaires en main. Je suis toujours leur roi. Je les appelle à se révolter et à renverser le président. Alors seulement, nous obtiendrons la paix.