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Le roi Peter
Lorsque la flotte terrienne arriva au large de Theroc, la Confédération était prête à la recevoir. Les dix Mantas s’étaient immobilisées dans l’espace. À présent, Peter attendait de voir ce que l’amiral chargé du quadrant allait faire.
Dans la salle du trône aux murs immaculés, les écrans installés ces jours derniers par les Vagabonds retransmettaient les images des satellites de surveillance qu’ils avaient placés autour de Theroc. Dans les jours qui avaient suivi la mise en garde de Nahton, le roi Peter avait demandé aux clans de doter d’équipement technologique toutes les villes theroniennes. Des ingénieurs vagabonds s’étaient hâtés de descendre dans la forêt-monde afin de procéder aux améliorations dans le peu de temps imparti. Pour le moment, ils devraient se passer du charme qui régnait dans le récif de fongus. Même les prêtres Verts l’avaient compris.
La Confédération avait formé un barrage dissuasif autour de Theroc en rassemblant autant de vaisseaux que possible. Les chantiers d’Osquivel avaient réagi avec un rendement remarquable pour constituer une flotte d’autodéfense, mais Peter ne s’attendait pas à ce qu’une poignée d’appareils remplace une marine spatiale officielle.
Néanmoins, cette démonstration de force était assez impressionnante, peut-être suffisamment pour que Basil y réfléchisse à deux fois.
Des vaisseaux éclaireurs vagabonds transportant chacun un prêtre Vert formaient un cordon de surveillance autour du système theronien, tandis que d’autres patrouillaient dans les confins. À l’instant où les dix Mantas étaient apparues, le cordon extérieur avait sonné l’alarme via le télien, alertant le roi des heures avant qu’un signal électromagnétique conventionnel lui parvienne.
Les appareils vagabonds nouvellement armés s’étaient positionnés tout autour de la planète, parés au combat. Quant aux vaisseaux-arbres, ils étaient partis intercepter les croiseurs terriens. Même Jess Tamblyn et Cesca Peroni avaient mené en orbite leur vaisseau wental, qui évoquait une larme d’énergie concentrée.
La surprise de l’amiral fut totale.
Peter et Estarra s’assirent tous deux devant une caméra de transmission. À cause de son ventre, Estarra avait du mal à rester assise près de lui. OX se tenait non loin de là, comme s’il avait repris sa fonction d’ambassadeur de la Hanse. L’un des ingénieurs vagabonds ouvrit une fréquence standard des FTD.
« Ici le roi Peter, chef légitime de la Confédération. Identifiez-vous. Pourquoi avez-vous amené cette flotte dans notre système sans autorisation ? Nous exigeons votre retrait immédiat. (Lorsque l’écran s’alluma pour montrer la figure faussement maternelle de l’amiral, Peter fronça les sourcils.) Amiral Willis, je ne m’attendais pas à ce que vous, parmi tous mes commandants, participiez à cette idiotie. Je ne suis pas surpris que le président puisse monter un coup pareil, mais que vous, vous vous dressiez contre votre roi ?
— Ce n’était pas mon idée, roi Peter, mais je suis les ordres, répondit-elle en s’efforçant de ne pas perdre son sang-froid.
— Ces ordres ne proviennent pas d’une autorité légitime.
— Ça se discute. Vous avez causé pas mal d’agitation sur Terre. Le président Wenceslas m’a enjoint de rétablir l’ordre et de mettre un terme à votre rébellion. »
La reine Estarra se pencha vers la caméra.
« Et comment comptez-vous procéder exactement ?
— On y travaille, répondit Willis, manifestement troublée. À dire vrai, je n’avais pas prévu un tel étalage de force. Vous avez beaucoup travaillé depuis nos derniers clichés de surveillance.
— Avec raison, visiblement », releva Peter d’une voix dure.
Les bâtiments de guerre verdanis s’attroupèrent autour des Mantas, bien plus grands et bien plus dangereux que ces dernières. Les cargos vagabonds les encerclèrent ; ils composaient une centaine de cibles mouvantes, à l’armement suffisant pour endommager les croiseurs terriens.
Le petit vaisseau-bulle wental s’approcha du bâtiment de Willis, pour s’immobiliser juste en face de la baie d’observation avant de la passerelle. Willis observa les deux passagers visibles à travers la paroi.
« Et vous, quel coup êtes-vous en train de monter, roi Peter ? » demanda-t-elle, plus curieuse qu’inquiète.
Jess et Cesca, le visage grave, émergèrent de la membrane arrondie et flottèrent dans l’espace, le corps nimbé d’une aura d’énergie crépitante. Ils n’avaient pas besoin de porter de combinaison pour survivre dans le vide spatial. En les voyant dériver devant les hublots, l’équipage de la passerelle recula. Le spectacle des vaisseaux verdanis géants et bardés d’épines les avait emplis de stupéfaction et de crainte, et voici qu’ils voyaient deux humains flotter dans le vide absolu sans aucun matériel de survie.
Jess tendit l’index et traça quelque chose sur l’épaisse vitre : une série de lettres, qui apparurent comme la glace se condensait au fur et à mesure : « TERREUX, RENTREZ CHEZ VOUS ! »
Sur le hublot à côté, Cesca écrivit : « VOUS NE POUVEZ PAS GAGNER. »
« Qu’est-ce que c’est ? demanda Willis. De quel pouvoir disposent ces gens ? »
Jess eut un mouvement de la main, et une couche de givre envahit les hublots, aveuglant la passerelle avant que les caméras lui redonnent des images claires de l’extérieur.
« Nous avons de nombreux alliés, amiral, répondit Peter depuis sa salle du trône. Je vous suggère de ne pas nous forcer à démontrer notre puissance de feu. Vous êtes une femme raisonnable. Vous savez que vous ne pouvez gagner. »
Déconcertée, Willis pinça les lèvres.
« Et vous connaissez le président. Si je m’en retourne les mains vides, la prochaine fois il enverra une flotte plus importante.
— Pourquoi ne voit-il pas le véritable danger qui menace la Hanse et l’espèce humaine ? demanda Estarra en posant une main protectrice sur son ventre. Il devrait y prêter davantage d’attention.
— Comme le seul prêtre Vert de la Terre a été tué – oui, nous le savons –, vous ignorez qu’un événement majeur est survenu, reprit Peter. Même le président Wenceslas ne sait pas le péril que vous êtes sur le point d’affronter. Il est de votre devoir de partir, afin de le prévenir sur-le-champ. Nous sommes disposés à partager cette information décisive avec vous. »
Estarra se renfonça dans son fauteuil et émit un soupir incrédule.
— Il ne changera pas d’avis, quoi que tu dises.
— Probablement pas, murmura Peter. Mais cela donnera une excuse à Willis pour prendre la bonne décision.
« De quelle nouvelle voulez-vous parler, roi Peter ? »
Willis paraissait sceptique. Sans doute imaginait-elle déjà le savon qu’allait lui passer Basil Wenceslas.
« L’espèce originelle des Klikiss revient réclamer ses anciennes planètes. D’après les informations que nous avons reçues de l’Empire ildiran, ils se rendent maîtres des mondes de la campagne de colonisation hanséatique. »
Il expliqua en détail ce qu’ils avaient appris de Nira via le réseau de la forêt-monde.
« Si vous croyez toujours avoir besoin de faire joujou avec vos jolis vaisseaux de guerre, ajouta Estarra en se redressant, allez plutôt aider les colonies de la Hanse. La plupart d’entre elles n’ont aucune défense. »
Willis croisa les bras sur sa poitrine.
« Le général Lanyan mène déjà son inspection.
— Son inspection ? répéta Peter, dubitatif.
— C’est un terme militaire. »
Plongée dans ses réflexions, Willis laissa échapper un soupir. Ses Mantas étaient prêtes au combat. Les vaisseaux-arbres verdanis les survolaient, menaçants, tandis que les défenseurs vagabonds tourbillonnaient autour, telles des guêpes ne demandant qu’à être provoquées. Elle savait que sa flotte serait réduite en miettes si elle commençait à tirer.
« Évitez de causer un désastre, je vous en prie, dit Peter. Rapportez au président les informations que vous venez d’apprendre. Il semble avoir le plus grand mal à identifier ses véritables ennemis. Inquiétez-vous des Klikiss, non de la Confédération.
— D’accord, roi Peter, répondit Willis en raidissant les épaules. Les choses importantes d’abord. J’informerai le président au sujet des Klikiss. Je ne suis pas stupide, et lui non plus.
— Mais écoutera-t-il ? »
Elle ne répondit pas. Aucun coup de feu n’avait été tiré lorsqu’elle ordonna à ses croiseurs de faire machine arrière et de quitter le système theronien.