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Sirix
Le retour des Klikiss modifiait les plans de Sirix. Après sa fuite de Wollamor, le temps était venu pour lui de rejoindre les robots de Maratha et les vaisseaux qu’ils avaient construits là-bas. Ils deviendraient l’armée de destruction qu’il avait imaginée des millénaires auparavant.
Sirix et ses congénères devaient éliminer leurs créateurs tant haïs. De nouveau. L’essaimage de la sous-ruche par le transportail de Wollamor ne pouvait être un cas isolé. Si les Klikiss retournaient sur leurs anciens mondes, ils réapparaîtraient partout, résolus à se venger. Il devait y avoir beaucoup de spécex.
Par conséquent, il devait augmenter l’effectif de son armée de façon notable.
Sirix engagea sa flotte dans l’espace ildiran, jusqu’à Maratha. Là se trouvait la base la plus ambitieuse construite par les robots. Longtemps auparavant, Sirix avait utilisé le monde mi-brûlant mi-glacé pour préparer une grande bataille contre les Klikiss. Et récemment, il avait appris avec consternation que les Ildirans l’avaient transformé en séjour de villégiature.
Ces derniers avaient-ils altéré leur histoire au point de l’avoir oubliée ? Les robots noirs avaient repris la planète sans trop de problèmes. Les Ildirans n’oseraient plus y revenir. Aujourd’hui, les compagnons de Sirix devaient avoir fait de Maratha un bastion inexpugnable.
Il ne trouva que des décombres.
Les deux villes ildiranes, Prime et Seconda, avaient été démantelées et rasées par les explosions. Les vaisseaux des robots avaient été détruits au sol, ainsi que des centaines de ses si précieux camarades.
Sirix, ébranlé, était incapable de calculer l’étendue de ses pertes. Près d’un tiers de ses congénères s’étaient trouvés ici ! Il recalibra les capteurs de son Mastodonte, à la recherche d’une erreur, ou du moins d’une explication. Il aurait dû y avoir des robots en train de creuser des galeries, de reconstruire et de renforcer l’ancienne base. Or ils avaient tous disparu !
QT s’approcha de l’écran de la passerelle.
— Il semble qu’une bataille générale ait eu lieu, commenta-t-il.
Les vaisseaux de Sirix scannèrent le paysage désolé, afin de déterminer ce qui avait provoqué tant de destructions.
— Les nôtres auraient dû être capables de se défendre. Ils avaient assez de temps pour se préparer contre n’importe quel agresseur.
— Savaient-ils contre quoi se préparer ? demanda DP.
Il s’avança au côté de son compagnon, et tous deux examinèrent avec le plus grand intérêt les images de dévastation.
À sa console, Ilkot pivota et annonça :
— Je détecte les signatures caractéristiques de l’armement de la Marine Solaire. Ce sont les Ildirans qui ont causé cela.
Sirix avait déjà décidé d’ajouter les Ildirans à la liste de ses ennemis. À présent, les émotions faisaient grésiller ses circuits, altérant toute pensée logique.
— Les Ildirans ont été avertis de se tenir à l’écart de Maratha il y a des millénaires. Ils nous ont provoqués !
Ilkot poursuivit son balayage.
— Il y a également des débris et des armes non identifiés… semblables à ce qu’on a rencontré sur Wollamor.
— Sur Wollamor ?
— Je pense que les Klikiss ont aussi leur part de responsabilité.
QT tira la conclusion qui s’imposait :
— Les Klikiss se sont-ils alliés aux Ildirans ?
— Mais comment les Klikiss sont-ils arrivés ? demanda Sirix. Maratha ne possède pas de transportail.
— C’est l’une des nombreuses questions sans réponse, dit DP. Comment les Klikiss ont-ils pu survivre tout court ? Leur espèce était éteinte, d’après les données que vous m’avez fournies.
— Inondez la planète de signaux d’appel. Je veux savoir s’il y a un seul robot qui fonctionne encore. Sa valeur serait pour nous inestimable.
Il transmit sa propre image, en quête d’une quelconque réaction. Il ne parvenait pas à croire que tous leurs vaisseaux, toutes leurs armes n’aient pas réussi à les protéger.
— Nous pourrions envoyer des équipes de récupération, suggéra Ilkot. Les noyaux mémoriels de certains d’entre eux sont peut-être intacts. Nous n’aurions qu’à les extraire pour déterminer ce qui s’est passé – et sauver leurs souvenirs. Sinon, ils auront péri en pure perte.
Soudain, une secousse violente fit résonner la coque du Mastodonte. La passerelle et les parois vibrèrent. Se déplaçant à la manière d’un banc de prédateurs, six croiseurs lourds de la Marine Solaire rasaient l’atmosphère de Maratha, suivant la courbe de la planète en direction de la flotte de Sirix. Ils avaient déployé leurs voiles solaires et leurs canons étaient activés dans une attitude d’intimidation.
Un impact sourd les frappa de nouveau.
— Nous sommes dans des vaisseaux des FTD. Ils devraient croire que nous faisons partie de l’armée terrienne. (Il se tourna vers la console de communication vacante comme Ilkot se pressait vers les commandes.) Transmets l’une des séquences vidéo de l’amiral Wu-Lin qu’on a enregistrées, afin de les induire en erreur.
DP demanda :
— Les Ildirans seraient-ils aujourd’hui en guerre contre les humains ?
De sa voix si exaspérante à force d’être enjouée, QT dit :
— Sirix, vous avez diffusé votre image pour chercher les robots survivants. Les Ildirans savent qui nous sommes.
Les croiseurs lourds commencèrent un barrage d’artillerie avec leurs armes les plus puissantes. Le Mastodonte de Sirix oscilla ; un déluge d’étincelles jaillit des panneaux de commandes. Des signaux d’alerte indiquèrent quatorze brèches dans la coque avec des décompressions explosives.
— Ripostez !
Les canons crachèrent le feu, éraflant les vaisseaux ildirans, déchirant l’une des voiles solaires, essentiellement décoratives.
— Il est normal que les Ildirans vous en veuillent, fit remarquer QT. Vous n’avez pas demandé la permission d’installer une base sur un monde placé sous la souveraineté ildirane. Et vous y avez causé beaucoup de dégâts.
— Les Ildirans ne devraient pas être là du tout, répliqua Sirix d’une voix amplifiée.
— Peut-être croient-ils que les robots ne devraient pas être là non plus.
— Cela n’a rien à voir.
Les Mantas d’escorte pilotées par des compers Soldats tiraient sans discontinuer. Elles endommagèrent deux des croiseurs lourds, subissant en retour des tirs meurtriers. Au cours du déchaînement de tirs, Sirix regarda l’inventaire des projectiles et des batteries de jazers. Il se rendit compte qu’il gaspillait des munitions destinées aux humains… et aux Klikiss. Il n’avait pas l’intention de combattre l’Empire ildiran, en particulier avec une flotte si réduite, sans les renforts qu’il avait escompté trouver sur Maratha.
Les croiseurs lourds poursuivaient leur pilonnage. Rapidement, Sirix calcula s’il devait ou non continuer le combat. Il compara ses défenses à l’armement ennemi et établit que, même si ses vaisseaux en sortaient victorieux, la bataille lui coûterait la plus grande partie de ses forces. Il ne pouvait se permettre de telles pertes.
« Repliez-vous, ordonna-t-il. Cessez le feu. (Puis il dirigea le faisceau de transmission vers les Ildirans.) Nous nous retirons de ce système. Il est inutile que vous persistiez à nous attaquer. »
Les croiseurs de la Marine Solaire ne semblaient pas être du même avis. Ils pourchassèrent la flotte des robots noirs alors même que celle-ci quittait Maratha en accélérant. Déjà, Sirix savait que les réparations leur coûteraient beaucoup de temps.
Il devait réviser ses plans. Une fois de plus. Les événements n’auraient pas dû se dérouler comme ça ! Il avait imaginé une victoire éclatante sur les humains, la conquête de leurs colonies, la reprise de chaque monde klikiss abandonné.
À moins de rallier les quelques enclaves qui lui restaient – et qui ne représentaient qu’une fraction des effectifs de Maratha –, ces vaisseaux étaient désormais tout ce qu’il possédait. Sa flotte implacable, réduite à guère plus qu’un nuage de moucherons !
La colère le disputait à l’incompréhension. Il lui fallait une cible. Une nouvelle tactique s’imposa à lui. Les Klikiss étaient la menace principale qui planait sur les robots. Leur plus vil ennemi. Et Sirix pouvaient les détruire.
Il connaissait leurs anciens mondes, savait où ils iraient. Il décida de se rendre sur chacune de ces planètes et de détruire leur transportail. Les Klikiss se trouveraient littéralement coincés là où ils se terraient depuis des millénaires. Puis sa flotte éradiquerait tous les vestiges des insectes qu’elle trouverait.
Avec les vaisseaux des FTD, il pouvait atteindre sans peine cet objectif. Un monde à la fois.