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Tasia Tamblyn
Le reste de la nuit, les ténèbres résonnèrent de bruits mystérieux. Sur Llaro, ceux-ci étaient peut-être inoffensifs… ou indiquaient une embuscade ourdie par les Klikiss. Il était probable que les trois compagnons étaient les seuls humains en vie sur cette planète. Ils avaient besoin de secours, alors même que personne ne viendrait à leur recherche avant longtemps.
Pour Tasia, leur meilleure chance de s’en sortir était de rafistoler l’Osquivel et de filer d’ici comme s’ils avaient le diable aux trousses. Le vaisseau gisait, le nez dans la rocaille, après avoir labouré le fond du large arroyo.
— Pour le moment, on est coincés. Mais en nous creusant la tête tous ensemble, nous trouverons une solution. Les Vagabonds savent faire des merveilles avec un bout de Scotch et du sparadrap.
Robb fixa son regard sur la coque bossuée. Les blocs rocheux avaient causé autant de dégâts à l’impact du crash que les tirs klikiss.
— Mes compétences se limitent au kit de réparation. Ce boulot va bien au-delà.
Les FTD lui avaient appris à suivre les procédures officielles à la lettre. Il les avait testées sur des Rémoras et de plus gros vaisseaux, savait comment fonctionnaient les moteurs et comment assembler les composants. Rien de plus.
Tasia et Lui bricolèrent la coque endommagée à la lueur de l’aube, tirant et martelant les plaques métalliques pour les remettre en place. Nikko s’extirpa de la salle des machines et essuya la graisse de son visage avec son avant-bras.
— Alors, vous voulez la bonne nouvelle, ou la mauvaise ?
— Tu veux dire qu’il n’y a pas que des mauvaises nouvelles ? demanda Tasia. Voilà déjà une bonne nouvelle…
— Il y en a plein, tout compte fait. Nos réserves d’ekti sont intactes, les moteurs interstellaires fonctionnent. Peut-être pas à cent pour cent, mais assez pour nous permettre de quitter le système llarien.
Robb se fendit d’un sourire inopiné qui découvrit ses dents.
— Alors, on sera partis dès que la coque sera réparée. (Il donna un coup de pied au flanc du vaisseau.) Rendre ces brèches capables de résister au vide spatial ne sera pas simple, mais avec le matériel adéquat, c’est possible. Il nous faudra dans les quatre heures.
Tasia eut presque peur de demander :
— Alors, quelle est la mauvaise nouvelle ?
— Nos propulseurs conventionnels sont esquintés, répondit Nikko. L’un d’eux est fusillé.
— On peut le réparer ? l’interrogea Robb.
— Réparer, ça n’est pas le problème. Mais le réservoir s’est rompu et s’est entièrement vidé. Vidé. Oubliez l’ekti, puisque nous n’avons plus de carburant ordinaire. On ne peut allumer la propulsion ildirane et filer d’ici qu’une fois dans l’espace. Mais il est impossible de soulever cette carcasse du sol sans carburant ordinaire.
— Ça va être coton de trouver une station de ravitaillement sympa dans cette cité klikiss…, grogna Tasia.
Robb eut un soupir résigné.
— Un problème à la fois. Essayons d’abord de réparer les propulseurs et la coque, puis nous nous attellerons au problème du carburant.
Tasia grimpa dans le spacieux cockpit de l’Osquivel.
— Je m’occupe de reconnecter le système d’armement. C’est le genre de problème que je suis apte à régler. Personne ne peut prédire si on ne devra pas tirer sur des bestioles.
Dans les vingt-quatre heures qui suivirent, c’est à peine s’ils fermèrent l’œil. Ils surveillaient les alentours à tour de rôle. Nikko travaillait sans relâche, en silence, accablé par la certitude que ses parents avaient péri avec le reste des Vagabonds prisonniers.
Comme la nuit tombait pour la seconde fois, Tasia s’assit sur une pierre brune, en bordure du cercle de lumières de secours disposées tout autour du vaisseau. Plus loin dans le canyon, les ombres s’épaississaient. La jeune femme entendit quelque chose se glisser à travers les rochers. L’obscurité se refermait sur elle, et sa nervosité augmenta. D’une main elle tenait une torche, de l’autre un convulseur, et un lance-projectiles était accroché à sa hanche. Elle aurait préféré se trouver à l’intérieur du vaisseau naufragé, confortablement installée dans sa couchette, de préférence à côté de Robb. Oui, confortablement.
Souvent, toutefois, ce qu’il fallait faire s’avérait inconfortable. Aussi restait-elle assise sur sa pierre, assurant la garde contre tout intrus qui sortirait de la nuit. L’armement de bord avait été partiellement réparé, mais tous les trois ne tiendraient jamais face à une armée de Klikiss.
Les sons n’avaient pas cessé. Elle perçut une série de ricochets. De très loin lui parvint une étrange stridulation, qui lui fit lever les yeux. Puis des bruits de pas de créatures bien plus grosses que des rongeurs. Deux cailloux s’entrechoquèrent, de la poussière dégringola de la falaise en surplomb…
Tasia resta tapie, immobile, la main moite sur la poignée de son convulseur. Elle attendait la dernière seconde. S’il s’agissait de Klikiss, son arme légère ne lui servirait pas à grand-chose, mais elle tirerait sitôt qu’elle serait sûre de sa cible.
Une broussaille sèche craqua et Tasia entendit comme un chuchotement, bien plus près qu’elle ne s’y était attendue. Elle ne patienta pas davantage, même si elle n’ignorait pas qu’il leur faudrait beaucoup de chance, à elle et à ses deux compagnons, pour survivre. Elle élargit le faisceau de sa torche au maximum et ferma les yeux, dans l’espoir que la lumière éblouirait ses adversaires assez longtemps pour qu’elle puisse ajuster son tir.
— Robb, Nikko, je vais avoir besoin d’aide par ici !
La lumière crue de sa torche jaillit. Tasia s’était protégé les yeux habitués à l’obscurité. Elle s’efforça de distinguer les silhouettes qui se profilaient, s’attendant à voir une armée de hideuses créatures déferler sur eux. Des cris retentirent de toutes parts, et Robb et Nikko se ruèrent au combat. Trop de cris, trop de voix…
Mais au lieu de monstrueux insectes, elle vit un homme à la peau noire et un vieil ermite tout hirsute, accompagnés par deux autres personnes. Ils portaient des combinaisons coloniales standards quelque peu usées. L’homme à la peau noire se couvrit les yeux.
— Ne tirez pas !
— On est les gentils, bon sang ! jura le vieil homme. Je ne m’attendais pas à un accueil si théâtral. Pfff… Nous sommes des évadés de la colonie.
Robb et Nikko arrivaient en courant. Les yeux du Noir s’accoutumèrent rapidement, et il s’avança.
— Je suis Davlin Lotze. Nous vous avons vus vous écraser. Nous avons capté votre signal d’urgence, et localisé votre balise avant que vous l’éteigniez.
Nikko s’arrêta, pour contempler l’un des nouveaux arrivants.
— Papa ?… Papa !
Il saisit presque Crim Tylar à bras-le-corps.
— Nikko ! Que diable es-tu venu fabriquer ici ?
— Vous secourir. Nous sommes venus au secours de tous les Vagabonds de Llaro !
— Mais ça n’a pas tourné exactement comme prévu, ajouta Tasia.
Le visage de Crim s’assombrit.
— Ça, c’est sûr.
Nikko hésita comme il se rendait compte qu’il ne voulait pas poser d’autres questions.
Davlin parla sans tergiverser :
— Je ne pense pas que les Klikiss sachent que vous êtes là. Mais il serait plus sûr de gagner un abri avant que le jour se lève.