39
Kolker
Devant le Palais des Prismes, sept fleuves confluaient jusqu’à un large goulet qui se déversait dans une salle sous le palais, d’où l’eau était pompée et redistribuée dans les chenaux.
Kolker trouva Osira’h avec ses frères et sœurs au bord du confluent. Sur le rebord, Muree’n, le plus jeune des enfants mais non le plus petit, se penchait bravement au-dessus de la gueule où s’engouffraient les flots ; il jetait des cailloux et les regardait disparaître.
— Ces torrents forment sept chutes d’eau souterraines, leur expliquait Osira’h. Sous le palais, on peut marcher autour du bassin, et même remonter les chenaux qui traversent la base de la colline.
Kolker était fasciné par le potentiel des cinq enfants hybrides. Il les savait connectés d’une manière que peu de gens pouvaient appréhender. Un lien plus fort que celui qu’offraient le thisme aux Ildirans, ou le télien aux prêtres Verts. Détenaient-ils la clé de ce qu’il désirait savoir ?
Quelques jours plus tôt, il s’était rendu dans le jardin juché sur le toit. Il avait eu la surprise d’y trouver les enfants menés par Osira’h, qui jouaient autour du surgeon solitaire. Ces derniers n’avaient pas accès au télien, de sorte qu’ils n’avaient aucune raison de rôder autour de la pousse d’arbremonde.
Mais comme il les observait à la dérobée, il lui était apparu qu’ils ne jouaient pas. Ils joignaient les mains et se concentraient, comme en prière. Ils tentaient d’accomplir quelque chose, et au fil du temps, Kolker s’était aperçu avec excitation qu’ils progressaient. Peut-être un lien qui transcendait le télien…
Les lentils ildirans ne lui avaient apporté aucune aide. Il se demanda si ces enfants pouvaient l’éclairer. Ils devaient se savoir observés.
Malgré le rugissement de l’eau, Osira’h perçut l’approche de Kolker.
— Vous êtes un prêtre Vert, dit-elle. Nous allons voir le surgeon. Voulez-vous vous joindre à nous ?
Kolker n’en demandait pas plus.
— Je voudrais comprendre. Je suis venu m’entretenir avec vous, car personne n’a de réponse à mes questions, ni prêtre Vert, ni arbremonde, ni lentil. (Il exhiba le médaillon de cristal que Tery’l lui avait offert.) J’ai utilisé cet objet pour chercher la Source de Clarté, mais je ne l’ai pas encore trouvée. J’essaie de suivre la voie des lentils. Toutefois, il manque quelque chose. (Les flots soulevaient une brume rafraîchissante permanente autour du puits circulaire, dont les gouttelettes créaient des arcs-en-ciel.) Je n’ai nulle part où me tourner.
— Nous ne sommes que des enfants, vous savez, dit Tamo’l de sa petite voix.
Muree’n, peu intéressé par la discussion, continuait à jeter des pierres dans le torrent.
— Que désire-t-il savoir ? demanda Gale’nh, parlant comme si Kolker n’était pas là.
Celui-ci tenta de s’expliquer.
— Vous êtes à la fois humains et ildirans : les enfants d’une prêtresse Verte, mais également reliés au thisme. Moi-même, j’ai le télien, mais je sens qu’il existe quelque chose de plus chez les Ildirans. En particulier chez vous.
Osira’h sourit.
— Vous avez remarqué. Nous ne sommes pas comme les autres.
— Vous avez communiqué avec les hydrogues, puisé dans leur esprit étranger. Vous avez également partagé les souvenirs de votre mère. Mais je ne saisis pas comment tout cela s’assemble.
— Vous comprendrez, car vous le voulez. Les lentils, eux, ne le veulent pas. Quant à ma mère – notre mère –, elle a été profondément blessée. Un jour, nous lui montrerons. (Elle lui prit la main.) Accompagnez-nous.
— Chaque fois, on devient plus forts, ajouta Rod’h.
Dans le jardin à ciel ouvert, Osira’h gardait les yeux rivés sur Kolker, et sa chevelure soyeuse voletait dans la brise.
— Ne faites pas que regarder. Essayez de sentir ce qui se passe.
Les enfants se penchèrent sur le surgeon, et elle leur dit :
— On va faire exactement comme hier et avant-hier.
Ils joignirent les mains. Sur leurs visages, leurs expressions ne firent plus qu’une, comme s’ils partageaient les mêmes pensées. D’une main, Osira’h toucha le surgeon.
— À vous maintenant, Kolker. Ouvrez-vous au télien et voyez si vous nous trouvez.
Le médaillon de Tery’l dans une main, il effleura les feuilles. Ses yeux perçurent l’éblouissante lumière, tandis que son esprit percevait celui de la forêt-monde. Subitement, une présence se fit ressentir : Osira’h… Non, plus qu’Osira’h : un ensemble de pensées sous-tendues par le thisme, il en était sûr.
En un sens, le surgeon jouait le même rôle que le médaillon. La véritable connexion avait lieu entre le thisme et le télien, les rayons-âmes et la forêt-monde. Le même motif, partout dans le cosmos. Il n’avait jamais perçu comment chaque personne, chaque animal, chaque grain de poussière, chaque galaxie… était connecté.
Osira’h utilisa son talent avec Kolker de la même manière qu’elle l’avait fait avec les hydrogues : elle établit une jonction, le transformant de l’intérieur. Dans la main de ce dernier, le médaillon sembla s’échauffer. La lumière s’accrut, tant dans ses yeux que dans son esprit.
Enfin, d’une façon inexprimable, il comprit. Tout se mit en place d’un seul coup, comme lorsqu’on tourne un bouton. Dans un claquement, l’univers devint parfaitement net. Le prêtre n’avait jamais imaginé qu’il puisse être si clair, si coloré… c’était stupéfiant !
Plus remarquable encore, il savait comment partager sa vision avec les autres.