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Davlin Lotze
Avec une précision méthodique, les Klikiss moissonnèrent les champs que les colons avaient plantés et cultivés avec amour. Des essaims d’ouvriers insectoïdes entreprirent de faucher chaque plantation, qu’elle soit mûre ou non. À la lisière de la colonie, une poignée de fermiers essayèrent de défendre leurs terrains. Les insectes les tuèrent.
Au lieu de dévorer ce qu’ils avaient récolté, les Klikiss l’amassaient dans des sacs, qu’ils chargeaient sur leurs véhicules à châssis apparent. Puis ils revenaient en brinquebalant jusqu’à leur cité proliférante.
Des engins volants récupéraient les sacs. D’autres insectes revenaient à tire-d’aile vers la masse qu’ils avaient édifiée : des tours coniques qui avaient englouti les reliques d’habitations.
Toujours vigilant, Davlin prenait des notes sur la technologie klikiss, bien qu’il n’ait jamais pu approcher suffisamment pour en déterminer le fonctionnement.
Lupe Ruis, qui rôdait l’âme en peine dans les parages, lui demanda :
— Comment survivrons-nous ? Nous allons mourir de faim ! Il n’y a aucun autre moyen de subsistance.
Le maire considérait Davlin comme un héros, depuis que ce dernier avait sauvé les colons de Crenna de leur soleil à l’agonie. Après des années d’espionnage et d’infiltration, l’ex-béret d’argent n’aspirait qu’à en finir une fois pour toutes avec les missions déplaisantes que lui confiait régulièrement le président Wenceslas, et à vivre en paix.
— Je vais demander à Margaret Colicos, répondit Davlin, qui ne pouvait détacher son regard des moissonneurs et essayait d’interpréter ce ballet incessant. Elle sait parler à ces choses.
Il avait été stupéfait d’apprendre son identité lorsqu’elle avait franchi le transportail. Des années plus tôt, le président de la Hanse avait ordonné à Davlin de découvrir ce qui était arrivé à l’équipe des Colicos sur Rheindic Co. Mais de là à imaginer que Margaret avait vécu toutes ces années au milieu des Klikiss !
Après avoir observé les relations entre celle-ci et les insectes, Davlin avait testé lui-même leur degré de tolérance. Deux jours plus tôt, il s’était esquivé de la colonie pour rôder autour de l’agglomérat de tours. Son intention était d’apprendre dans quelle mesure il restait invisible aux yeux des Klikiss tant qu’il n’interférait pas avec leurs tâches.
L’un des insectes soldats, recouvert de piquants et de zébrures écarlates, l’avait toisé avec méfiance, les élytres à demi déployés à la manière de pinces. Davlin avait progressé à gestes lents. Lorsqu’il avait remarqué que l’agitation du soldat s’accroissait dangereusement, il avait battu en retraite. Mieux valait ne pas le provoquer.
Des Klikiss avaient creusé des salles et installé des générateurs, pendant qu’une autre sous-espèce – Margaret les appelait « savants » ou « penseurs » – enfermée à l’intérieur couvrait les murs d’un entrelacs d’équations.
Davlin savait où le transportail de l’ancienne cité se trouvait. S’il parvenait à y accéder, il pourrait fuir sur un autre monde, même si des Klikiss infestaient probablement l’ensemble des planètes du réseau. Et il doutait que les insectes lui permettent d’approcher la pierre trapézoïdale. C’est pourquoi l’ancien espion avait opté pour une autre solution.
Il se tourna vers Ruis.
— Dites aux gens de rassembler leurs provisions, de récupérer tout ce qu’ils trouveront dans les entrepôts et d’amasser le tout dans des cachettes. Les Klikiss n’ont pas encore raflé nos possessions, mais cela ne saurait tarder. Mieux vaut se préparer au pire.
— Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt parler à leur chef ? Peut-être Margaret pourrait-elle s’en charger… (Il regarda Davlin comme pour l’encourager à se porter volontaire.) Nous devons tous vivre ensemble sur cette planète. Nous devons partager nos ressources. La seule attitude raisonnable est de…
— Les Klikiss n’ont pas à partager cette planète. Ils n’ont que faire de nous, sauf si nous nous mettons en travers de leur route, comme les soldats des Forces Terriennes. Je suggère de ne leur donner aucune raison de nous remarquer.