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Davlin Lotze
La musique s’interrompit beaucoup plus tôt que Davlin ne l’avait escompté. Dès lors, il sut qu’il était dans les ennuis jusqu’au cou. Il y eut un crachotis de bruit blanc avant que les haut-parleurs tombent dans un silence définitif. Malgré leur désorientation, les insectes devaient avoir trouvé le synthétiseur et l’avaient détruit.
Davlin avait espéré trouver la sortie de leur cité avant que cela arrive.
Il se glissa le long de couloirs sombres, rasant les murs pour rester discret. Mais il lui était impossible de se cacher totalement. Avec leurs antennes, les Klikiss pouvaient détecter n’importe quelle vibration, et sans doute même flairer sa présence, comme s’il laissait une trace blanche derrière lui. Lorsque le spécex commença à le chercher, il ne servait plus à rien de se terrer.
Il se mit à courir.
Dans le plus grand secret, il avait conservé une grenade éclairante et une barre métallique puisées dans le petit râtelier des FTD. Un armement minimal, mais qui le rassurait tout de même.
Il atteignit une fenêtre de ventilation de quelques centimètres de largeur, à travers laquelle il scruta les alentours. Sur le champ de bataille, les accouplants de Llaro se nourrissaient de carcasses ennemies, incorporant leur matériel génétique, le chant de leur ADN, dont ils se serviraient pour la fisciparité à venir. Le spécex allait se reproduire, remplacer les guerriers tombés au combat et augmenter ses effectifs.
Bien plus loin, Davlin aperçut un groupe d’humains qui s’éloignait à bord d’un véhicule de surface klikiss. Il poussa un long soupir, tandis qu’il sentait ses épaules s’alléger d’un énorme poids. Il savait à présent que les autres s’étaient échappés, qu’ils rejoindraient l’Osquivel et décolleraient juste après avoir secouru le reste des survivants des promontoires.
En les voyant partir, il comprit également qu’il n’arriverait jamais à les rattraper. Curieusement, cette constatation le soulagea. Cela lui donnait toute liberté de trouver sa propre manière de quitter Llaro. Après tout, c’était un spécialiste de ce genre de chose.
Il décida que le transportail de l’ancienne cité serait son ticket de sortie. N’importe quel endroit valait mieux que Llaro, pourvu qu’il trouve une planète non infestée de Klikiss.
Il s’enfonça dans la vieille ruche. Il savait où se trouvait la salle du transportail : c’était par là qu’il était arrivé avec les colons de Crenna. Mais lorsqu’il arriva au centre des ruines, il aperçut un nombre alarmant d’ouvriers et d’éclaireurs dans les galeries. Le mur du transportail était tout près, mais il devrait sans doute lutter pour y arriver.
Deux guerriers bardés d’épines tournèrent leur tête cuirassée et agitèrent leurs membres antérieurs dans sa direction. Davlin sut alors que le spécex s’intéressait de nouveau à lui.
Sans hésiter, il se rua en avant, visa, puis assena un coup de son tuyau de métal sur le thorax du guerrier le plus proche. La créature claqua des pinces, chuinta, et bascula en poussant un sifflement. Ce mouvement suffit à arracher le tuyau des mains de l’ancien espion. Le deuxième guerrier lui déchira les épaules et le dos, et Davlin sentit la pince riper sur l’os.
À demi assommé, il s’écarta du guerrier en titubant. Alors même qu’il saignait d’abondance, il piqua un sprint. L’insecte fonça à sa suite dans le passage étroit, sa carapace raclant les murs rugueux. Davlin avait l’impression que ses pieds étaient chaussés de plomb, et il entendait le monstrueux cafard juste derrière lui. Il fouilla dans sa poche et en retira la grenade éclairante. Mais il valait mieux attendre encore un peu… Il tourna au coin et franchit d’une démarche chancelante une ouverture voûtée : la caverne dont un mur comportait la fenêtre de pierre trapézoïdale. Enfin.
Une dizaine de Klikiss l’attendaient dans la salle, prêts au combat. Plusieurs ennemis gisaient sur le sol, et des ouvriers étaient occupés à démanteler et charrier leurs cadavres. Derrière, le guerrier le talonnait avec force cliquetis et sifflements. Lorsque les gardes de la salle convergèrent sur lui, Davlin fit sauter la sécurité de la grenade, bloqua le retardateur sur trois secondes, et lança l’engin dans la salle.
Il mémorisa le chemin qu’il avait à parcourir, et serra les paupières. Il n’avait qu’à atteindre le mur du transportail. Le dos en sang, il compta jusqu’à trois, et commença à courir avant même que le flash se déclenche. Celui-ci refoula les créatures, et quand Davlin rouvrit les yeux, des taches lumineuses dansaient sur sa cornée, occultant les bords de sa vision de façon inquiétante. Les élancements de sa blessure à l’épaule étaient épouvantables. Les Klikiss exsudaient-ils une espèce de poison ? Il sentait le sang s’écouler dans son dos, le long de ses jambes…
Il parvint enfin à la fenêtre de pierre. Celle-ci semblait lui faire signe. Il plaqua ses mains à la surface, mais elle demeura solide. Il leva le bras pour sélectionner un carreau de coordonnées – n’importe lequel – et entendit les Klikiss s’avancer. La grenade ne les avait pas étourdis aussi longtemps qu’il l’avait espéré.
Sitôt que Davlin eut enfoncé un carreau, le transportail se mit à chatoyer. Il n’y avait aucun moyen de savoir de quel monde il s’agissait, mais en cet instant, l’homme n’en avait cure. Il se jeta contre la surface.
L’un des Klikiss lui saisit la jambe. Les pinces acérées percèrent sa cuisse, la crochetant pour le tirer en arrière. Davlin tenta désespérément d’agripper le cadre du transportail. Un autre guerrier fondit sur lui, lui saisit le bras et l’arracha du passage de pierre.
Davlin cria et se débattit avec acharnement, en vain. Les pinces fendirent la chair de ses bras, tandis qu’une patte crevait son flanc, entre les côtes. Il saignait copieusement, et était en trop mauvais état pour leur infliger la moindre blessure.
Les guerriers klikiss le retournèrent et le traînèrent, laissant une large trace de sang sur le sol. Davlin aperçut deux accouplants qui arrivaient dans la salle. Ils bloquaient le passage. Il n’avait plus nulle part où aller.