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Kolker

À présent que sa vision et sa connaissance s’étendaient plus loin que jamais, Kolker se souciait peu de l’endroit où se tenait son corps physique : en ce moment, dans un parc près du Palais des Prismes. Mais il pouvait se trouver n’importe où. Il n’avait même plus besoin de surgeon.

Les yeux mi-clos, le prêtre Vert percevait au moins cinq de ses convertis dans les environs, des humains restés travailler à Mijistra. Il savait qu’ils iraient tous prêcher la bonne parole. Certains Ildirans lui prêtaient l’oreille, et il avait enfin attiré l’attention des lentils. Il se sentait de jour en jour plus confiant et plus satisfait.

Même si la place sur laquelle il se tenait avait été reconstruite, cet endroit lui rappelait de tristes souvenirs. C’était ici que des orbes de guerre hydrogues s’étaient écrasés, tuant ou mutilant des milliers de personnes, dont le vieux Tery’l. Kolker jeta un coup d’œil à son médaillon sur lequel se reflétait la lumière. Son ami philosophe se trouvait là, quelque part, relié à lui par les rayons-âmes, existant dans le plan de la Source de Clarté. Tery’l serait fier de lui, aujourd’hui.

Le prêtre Vert orienta ses pensées dans une autre direction : celle de Tabitha Huck. Il se retrouva à ses côtés, à bord d’un de ses nouveaux croiseurs. Elle, ses ingénieurs et ses équipes d’ouvriers reliés par l’esprit avaient assemblé vingt et un de ces vaisseaux géants, un ouvrage sans égal en un si court laps de temps.

Dans le parc, Kolker ferma complètement les yeux, percevant la chaleur des soleils sur sa peau. Il se concentra sur Tabitha, et la rejoignit en pensée sur le vaisseau pour son premier vol d’essai, en compagnie d’un équipage humain réduit au minimum et de soldats de la Marine Solaire.

Tabitha testa les moteurs intrasystème et l’armement. Le réservoir d’ekti une fois rempli, elle engagea la propulsion interstellaire afin d’entreprendre une tournée des systèmes solaires les plus proches. Elle paradait sur le pont et donnait des ordres. L’équipage ildiran exécutait chacun d’eux comme s’il émanait de l’adar en personne.

— Durris-B en approche, capitaine Huck, annonça l’un des opérateurs ildirans.

Elle s’était attribué ce titre, qui semblait la ravir.

— Déterminez une orbite basse et commencez la descente.

Elle désirait voir l’étoile morte par elle-même, cette cicatrice indélébile dans le psychisme ildiran. Des astronomes n’avaient cessé de surveiller la scorie stellaire, espérant voir les feux nucléaires se ranimer. Un mémorial de guerre parfait, selon Tabitha.

— Vérification des systèmes… Testez nos instruments d’analyse. Calibrez-les sur les chiffres de référence préexistants.

Bien que Durris-B soit réduite à un charbon incapable d’émettre sa propre lumière, elle possédait toujours la même masse. Tabitha devait approcher avec précaution, et surveiller constamment les propulseurs afin d’être certaine de pouvoir s’extraire de son champ gravifique si nécessaire.

— Le calibrage ne marche pas, capitaine Huck. Durris-B renvoie plus de chaleur que prévu.

— Retirez certains des filtres. Laissez-moi voir par moi-même.

Des points brillants percèrent la surface de la masse calcinée, comme si son cœur prenait de nouveau feu… comme un charbon jeté dans les flammes. Durris-B commença à luire.

— Nos capteurs détectent un pic d’énergie.

Ne voulant pas prendre le moindre risque avec son nouveau croiseur, elle ordonna :

— Augmentez la distance.

Elle se tourna vers ses ingénieurs de la Hanse, car elle ne croyait pas les Ildirans assez imaginatifs pour découvrir ce qui se passait.

— Comment rallume-t-on une étoile ?… C’est-à-dire, comment redéclenche-t-on ses réactions nucléaires ?

— Pas par des moyens naturels en tout cas, répondit l’un de ses ingénieurs, posté à une console de la passerelle. (Il haussa les épaules.) Mais rappelez-vous que mon domaine, ce sont les pompes de station d’écopage. Je ne connais rien aux processus stellaires !

Dans le parc de Mijistra, Kolker leva ses yeux clos vers le ciel sans nuages. Autour de lui, ses convertis cessèrent leurs activités, percevant eux aussi un événement inhabituel. Dans la ville, les Ildirans n’avaient encore rien remarqué.

— Je n’aime pas ça, dit Tabitha dans le croiseur. Pas du tout.

Par son lien avec le thisme, elle sentit l’inquiétude croître parmi les Ildirans du bord. Le trouble gagna finalement les habitants de la capitale ildirane, qui venaient de remarquer ce qui se passait par la connexion distante. À présent, chacun percevait que leur septième soleil était sur le point de renaître. Mais le Mage Imperator, sur le monde lointain de Theroc à ce moment, ne pouvait dispenser sa force ni ses conseils. Et le Premier Attitré resté au Palais des Prismes ne recélait pas la force mentale nécessaire pour apaiser son peuple.

Dans le centre de commandement du croiseur, Tabitha se couvrit les yeux et poussa un cri comme Durris-B s’enflammait dans un flash aveuglant, prenant de vitesse les filtres automatiques des baies d’observation. Des éclairs d’énergie s’entrecroisaient à sa surface. Des grains minuscules apparurent : des boules de feu ellipsoïdes, gigantesques, qui surgirent des couches inférieures du soleil telles les spores expulsées d’un champignon trop mûr.

— Des vaisseaux faeros ! Les faeros sont revenus ! cria l’un des Ildirans.

— Faites demi-tour et ramenez-nous sur Ildira, ordonna Tabitha.

L’équipage poussa l’accélération des moteurs à la limite de ce qu’ils pouvaient supporter. L’un des panneaux de commandes prit feu, un autre réagit mollement, mais l’énorme vaisseau commença à prendre de la vitesse, s’écartant de l’étoile ressuscitée. Les bolides faeros émergeaient des profondeurs de l’étoile par milliers, et filaient dans l’espace comme les étincelles d’une meule cosmique, pour disparaître du système ildiran.

Mais dix d’entre eux entourèrent le croiseur, à la manière d’oiseaux se disputant le même insecte.

Dans le parc illuminé, Kolker réprima un cri. Il sentait la peur de Tabitha résonner en lui… en chacun d’entre eux. La surface des énormes comètes enflammées qui la menaçaient était une tapisserie de visages spectraux et hurlants.

Une voix tonna, dans l’esprit de Tabitha comme dans le système de communication du croiseur :

« Qu’est ceci ? Je vous ai trouvés par vos rayons-âmes… mais qui êtes-vous ?

— Laissez-moi ! »

La voix faeroe semblait intriguée :

« Vous êtes humaine, et pourtant vous disposez d’un accès au thisme, comme cet humain que nous avons consumé avec les wentals… Vous avez aussi un canal qui mène à… ah, la forêt-monde ! l’esprit verdani… »

Tandis que les faeros émergeaient sans discontinuer du soleil ressuscité, les dix bolides resserrèrent leur cercle autour du croiseur jusqu’à ce que sa coque commence à fondre. Tous les systèmes firent retentir leur alarme. Dans le centre de commandement, les consoles se transformèrent en métal fondu. L’avant de la passerelle explosa, mais même le vide de l’espace ne pouvait étouffer ce genre de feu.

Kolker perdit le contact avec Tabitha, et ressentit sa souffrance comme un coup d’estoc dans la poitrine.

Mais ce n’était pas terminé. La présence dominatrice de l’ancien Attitré d’Hyrillka surgit le long des rayons-âmes que Kolker s’était tant appliqué à tisser jusqu’à lui. Sa voix éclata dans son esprit :

Je viens réclamer vos flâmes, afin qu’elles aillent fortifier les faeros. Vous m’avez ouvert le chemin.

Pendant que des milliers de bolides ignés fonçaient dans l’espace, dix d’entre eux, menés par Rusa’h, filèrent, implacables, en direction d’Ildira. Kolker ne pouvait refouler l’Incarné des faeros de son esprit, du thisme ou du télien. Il n’eut pas besoin d’ouvrir les yeux pour voir ses convertis chanceler. Deux d’entre eux tombèrent à genoux et s’embrasèrent spontanément.

Kolker tenta à toute force de bloquer les traits brûlants et de couper ses convertis de la révélation – de la vulnérabilité – qu’il partageait avec eux. Il ne put les sauver, pas plus qu’il ne put se sauver lui-même. Le feu des faeros se répandit comme de l’acide dans son esprit et dans son corps. Dans un ultime éclair, une ultime étincelle, il partit en fumée… une simple fumerolle parmi toutes celles qui se dissipèrent dans les airs.

Un essaim d'acier
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