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Adar Zan’nh
Lors du bombardement des robots klikiss, Zan’nh ordonna d’épargner ce qui restait de Maratha Seconda, dans la mesure du possible. Il gardait l’espoir qu’un jour ses congénères rebâtiraient leur planète de villégiature. Néanmoins, la Marine Solaire n’hésita pas à détruire chaque galerie de la ruche, les vaisseaux à demi construits, et tout ce que les envahisseurs avaient assemblé.
Les machines noires planifiaient une attaque massive. Contre les humains ? les Ildirans ? Aux yeux de Zan’nh, peu importait. L’adar avait payé pour savoir que l’on ne pouvait se fier à elles. Le Mage Imperator lui avait ordonné de reconquérir Maratha. C’était le premier pas de la restauration de l’Empire. C’est pourquoi il ne partirait pas avant d’avoir atteint son objectif.
Deux survols de croiseurs suffirent à vaporiser les canons à plasma enterrés. Là où s’étaient tenus les vaisseaux en construction, il n’y avait plus que des cratères fumants et des charpentes écrasées ; les poutrelles, que la chaleur avait affaissées, penchaient telles des tiges de blé fauché. Des centaines de robots noirs au sol étaient réduits en éclats.
L’attaque à grande échelle n’avait pas provoqué suffisamment de dégâts pour contenter Yazra’h. Lorsque, enfin, l’adar estima que les robots ne représentaient plus un risque majeur, il décida qu’il pouvait lâcher la bride à sa sœur :
— Nettoie ce qui reste. Sois prudente… et victorieuse.
Un sourire sauvage fusa.
— Nous éliminerons ces perfides robots jusqu’au dernier. Les remémorants ici présents t’en feront le récit à leur retour, adar !
Tandis que les soldats se ruaient vers les cotres, Yazra’h sortit d’un pas alerte, les deux remémorants dans son sillage.
— Dois-tu vraiment les emmener ? demanda Zan’nh dans son dos. Ce ne sont pas des guerriers.
— Nous sommes des observateurs, dit Vao’sh, et ses paroles, bien que sincères, sonnèrent quelque peu forcées. Pour observer, il faut être présent.
L’adar admirait l’enthousiasme de Yazra’h. Dans ses jeunes années, il avait affronté à l’entraînement de féroces soldats et d’habiles jouteurs. Il savait se défendre au bouclier-miroir, tuer à l’aide d’un katana de cristal ou d’un laser de poing, et même à mains nues. Toutefois, il savait également diriger une flotte et établir la stratégie d’une bataille d’envergure stellaire. Il devait faire tout cela à la fois, tandis que sa sœur avait la liberté de combattre au niveau individuel. Une part de lui-même l’enviait. Mais chaque Ildiran naissait en connaissant sa place et son devoir.
C’est pourquoi il resta à observer les images en haute définition du champ de bataille depuis son croiseur. À peine les cotres avaient-ils atterri que les soldats se déversèrent, leurs armes parées. Le brouillage des transmissions indiqua que les soldats rencontraient une résistance acharnée. Le bombardement préliminaire avait anéanti de nombreux ennemis dont les exosquelettes jonchaient le sol, d’autres avaient littéralement fondu. Mais un nombre inattendu de robots affluaient des galeries souterraines qui ne s’étaient pas effondrées. Que fabriquaient-ils ici ? Et pourquoi Maratha ?
« La résistance s’intensifie, émit Yazra’h, mais notre puissance de feu suffira amplement. »
Des explosions, des cris suraigus, et des images de machines offensives emplirent les écrans du centre de commandement.
Le cri de l’opérateur scanners fit sursauter Zan’nh :
— Adar ! Je viens de recevoir une alarme des capteurs longue distance. Des vaisseaux en approche. Configuration inconnue.
Zan’nh détourna le regard du massacre qui se déroulait au sol.
— Des vaisseaux en approche ? Agrandissez l’image.
Il craignit que les robots n’aient appelé des renforts. Sur Terre, il avait vu une grande flotte de vaisseaux des FTD volés par les robots noirs.
— Préparez-vous à engager le combat avec tout l’armement disponible.
Mais très vite, il comprit qu’il ne s’agissait pas de Mantas ni de Mastodontes. Pas plus que de robots.
Comme ils fondaient sur Maratha, les navires inconnus devinrent si énormes qu’il était évident qu’ils submergeraient sans peine la septe de la Marine Solaire. Il s’agissait d’innombrables vaisseaux emboîtés les uns dans les autres. Les fréquences s’emplirent de cliquetis et de stridulations. L’opérateur radio prit l’heureuse initiative d’appliquer d’anciens protocoles de traduction.
— C’est un signal klikiss, adar !
Jadis, les robots noirs avaient indiqué aux Ildirans comment décoder le langage de leurs créateurs. Ce programme n’avait pas été utilisé depuis des millénaires.
— Mais les Klikiss ont disparu, rétorqua Zan’nh.
Comme pour réfuter son affirmation, une énorme créature à carapace épineuse et dotée de nombreux membres segmentés parla sur une fréquence à demi brouillée. Manifestement, elle présumait que les Ildirans la comprenaient.
« Nous avons détecté des robots ici. Nous sommes venus les détruire.
— Dans ce cas, nous avons le même but, répondit Zan’nh d’une voix raffermie. Nous avons d’ores et déjà dévasté leur ruche. Nous avons enfoncé leurs défenses et détruit la flotte qu’ils avaient commencé à construire. »
Il s’efforça de se rappeler les histoires sur l’antique espèce insectoïde. Si seulement Vao’sh était resté ici ! Le remémorant les connaissait, lui.
« Les Klikiss et les Ildirans n’étaient pas ennemis, jadis », transmit-il.
La créature cliqueta et stridula. Le traducteur débita d’une voix plate :
« Nous trouverons les robots qui restent. Nos guerriers leur arracheront les membres un par un. »
Les gigantesques nefs-essaims se scindèrent en une multitude d’appareils plus petits, qui dépassèrent les croiseurs de l’adar comme s’ils n’existaient pas, pour fondre tels des frelons en colère sur Maratha.
« Attendez ! protesta Zan’nh. Il y a de nombreux Ildirans à la surface. Ce ne sont pas vos ennemis, eux aussi combattent les robots noirs. Il ne faut pas qu’ils se fassent prendre entre deux feux…
— Ordonnez-leur de ne pas se mettre en travers de notre chemin », répondit le Klikiss avant de couper la communication.
Zan’nh pivota vivement vers l’opérateur radio.
— Contactez nos troupes au sol. Avertissez Yazra’h que les Klikiss arrivent.