20
Sirix
Dès que Wollamor eut été purifiée de l’infection humaine, Sirix affecta les compers Soldats à la reconstruction. Les robots noirs n’avaient aucun besoin de garder les ruines de leurs créateurs disparus depuis longtemps, si ce n’était pour montrer à quel point leur victoire sur eux avait été écrasante. Sirix éprouvait de la fierté.
L’antique transportail de Wollamor se dressait au milieu d’une avenue, telle une porte aveugle. Au côté de DP et QT, Sirix contemplait les carreaux de coordonnées : chacune d’elles représentait la possibilité d’une conquête ; d’un monde à revendiquer, et d’un autre, encore et encore… Les robots noirs auraient leur propre Essaimage. Ils se répandraient et deviendraient les maîtres, écrasant toute résistance. Les capteurs optiques de Sirix rougeoyaient comme ces pensées bouillonnaient dans son esprit cybernétique.
QT fut le premier à s’apercevoir du changement.
— Regardez, le transportail s’active.
— Quelqu’un arrive, ajouta DP.
Le monolithe se mit à bourdonner. Des parasites grésillèrent à sa surface, puis il s’ouvrit. Sirix recula en chancelant sur sa grappe de membres trapus, puis émit une salve d’alerte à ses congénères et aux compers Soldats.
Cinq guerriers klikiss caparaçonnés surgirent du passage. Leurs membres antérieurs segmentés brandissaient des armes étranges.
Sirix battit précipitamment en retraite, alors que les deux compers Amicaux scrutaient la scène, fascinés.
— Ce sont des Klikiss ? demanda DP. Leur espèce n’est donc pas éteinte ?
Les robots noirs se ruèrent hors des chantiers de la ville, et des compers Soldats descendirent par les rampes des vaisseaux des FTD. Lorsque les Klikiss aperçurent les robots, ils émirent un cri de guerre stridulant, puis s’élancèrent à l’attaque. Des dizaines, puis des centaines d’autres, déferlèrent par le transportail.
Le premier guerrier bondit et heurta Sirix. Celui-ci contre-attaqua : ses membres articulés s’étendirent pour percer et trancher l’exosquelette du Klikiss. Issu de lointains souvenirs, l’écho de l’oppression – et même de la peur – résonna dans son esprit. Les robots noirs étaient bâtis en force, avec leurs trois mètres de hauteur et leur armure polie. Les Klikiss les avaient pourvus de talents guerriers presque égaux aux leurs. Sirix envoya un signal aux deux compers désorientés :
« Protégez-moi. »
Il se cabra, brisant net deux des membres de son adversaire, dont les moignons exsudèrent un fluide vert visqueux.
DP et QT agrippèrent aussitôt le guerrier par ses autres membres et le déséquilibrèrent. L’une de ses pinces se disloqua.
Sirix enfonça l’une des plaques tranchantes de son corps dans le thorax de son ennemi et sabra de biais. Dans une convulsion, la créature presque décapitée bascula, toujours accrochée à Sirix. Ce dernier parvint à se libérer. DP et QT le suivirent en hâte.
Un brouhaha de questions et d’exclamations éclata sur ses canaux de communication mentale. La confusion, l’incrédulité et l’horreur retardaient leur réaction. Comment les Klikiss avaient-ils pu survivre à leur arrivée dans les profondeurs des planètes hydrogues lors de l’Essaimage, après le piratage des transportails ? Ce n’était pas possible. Si minutieux fussent-ils, ses plans n’avaient jamais inclus l’éventualité de leur retour.
Le transportail continuait à dégorger des Klikiss : guerriers, terrassiers, constructeurs, ainsi qu’un accouplant zébré de noir et d’argent. S’agissait-il d’un nouvel Essaimage ? Les Klikiss survivants étaient-ils tombés sur Sirix et ses compagnons par accident, ou venaient-ils sur Wollamor dans une intention précise ? Aucun spécex n’avait pu oublier la traîtrise des robots.
Les insectes guerriers affluaient dans un vacarme de cris et de jacassements. Robots et compers Soldats se bousculaient pour monter une ligne de défense. Deux insectes dotés de plaques rouge vif sur leurs élytres assaillirent un robot. Celui-ci répliqua avec fureur, mais les guerriers arrachèrent son enveloppe dorsale, qu’ils jetèrent à terre dans un fracas métallique, avant de lui extirper ses panneaux solaires en forme d’ailes. Si les robots résistaient à l’environnement d’une géante gazeuse, les Klikiss n’ignoraient rien de la manière de démanteler leurs créations.
Le robot luttait toujours quand les insectes perforèrent son segment principal, puis arrachèrent ses processeurs et les écrasèrent. Ils finirent par déboîter sa tête anguleuse, qu’ils jetèrent au loin.
Les Klikiss disposaient d’un armement sophistiqué. Mais le spécex qui les commandait semblait vouloir non seulement vaincre les robots, mais les écraser. Cela rappela à Sirix les anciennes batailles : la destruction et le massacre, motivés par le seul plaisir de les perpétrer.
Un second accouplant arriva, accompagné d’un nouveau contingent. Sirix et ses compagnons décidèrent de former un barrage, le temps de couvrir leur retraite vers leurs vaisseaux. Ils pouvaient embarquer sur les navettes, les transports de troupes et les Mantas, puis filer de Wollamor. Mais ils avaient besoin de temps.
Sirix disposait d’une dernière défense : les compers Soldats. À présent que les Klikiss étaient revenus pourchasser les siens, il n’hésiterait pas à sacrifier les robots terriens. La survie de leurs supérieurs en dépendait. Il les appela, et les compers militaires arrivèrent au pas de charge par rangées entières pour former un mur. Utilisant des outils comme armes de fortune, ils se ruèrent sur les Klikiss qui émergeaient du transportail.
Par chance, ils n’avaient aucun instinct de conservation. Ils gagneraient le temps dont leurs maîtres avaient besoin.
Les compers se précipitèrent à la rencontre des insectes qui affluaient. Ils combattaient à quatre contre un, et au début, ils les réduisirent en charpie. Mais les Klikiss répliquèrent, éventrant, dépeçant et arrachant la tête des robots d’un revers de leurs membres semblables à ceux des mantes religieuses. De nouvelles colonnes de compers sortirent des vaisseaux. Ceux-là portaient des armes à projectiles, dont la plupart avaient été arrachées des mains des cadavres de soldats humains.
Alors qu’ils tiraient sur les Klikiss assoiffés de vengeance, Sirix, l’espace un instant, crut qu’ils pourraient les contenir. Puis une nouvelle vague d’assaillants se déversa du transportail.
DP et QT s’égaillèrent, paniqués.
« Suivez-moi ! » émit Sirix.
Les compers Soldats s’efforcèrent de tenir leurs positions, tandis que les robots noirs se repliaient à l’abri trompeur des vaisseaux des FTD. Et les Klikiss en maraude continuaient à avancer.