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Nikko Chan Tylar

Des carcasses d’insectes géants jonchaient le pourtour de la cité klikiss. Les bourdonnements et les cliquètements de la bataille avaient cédé la place à un silence sinistre comme des éclaireurs et des guerriers en finissaient avec ce qui restait de la sous-ruche adverse. La puanteur donna la nausée à Nikko.

Alors qu’ils dépassaient des monceaux de cadavres, il pointa un doigt vers le transportail géant.

— Regardez, quelque chose traverse !

Les Klikiss victorieux rapportaient sur Llaro leur plus grande prise : le spécex rival. Bouche bée, Nikko contempla la monstruosité, sachant d’instinct de quoi il s’agissait. Il n’avait jamais imaginé créature si répugnante. Orli frissonna. Margaret, qui les guidait, posa une main sur son épaule.

— Venez ! Cela risque d’être la dernière diversion dont nous profiterons.

Les huit accouplants de Llaro, régénérés par la dernière fisciparité, marchèrent vers le spécex prisonnier, l’entourèrent et entreprirent de le dévorer. L’air même sembla vibrer d’insupportables hurlements.

Alors, la musique s’éleva des vieux haut-parleurs des FTD.

Ce fut comme si la mélodie avait subitement détraqué les Klikiss. Orli s’arrêta, aussi surprise que les insectes. Des larmes brouillèrent ses yeux.

— Ça signifie que Davlin a réussi !

L’effet fut aussi rapide que radical : les Klikiss du champ de bataille hésitèrent, même si beaucoup se trouvaient trop loin pour pouvoir entendre les notes. Mais ce qu’entendait un seul Klikiss, le spécex l’entendait, et la désorientation se répandit au sein de la sous-ruche

tout entière.

— Pour une diversion, c’en est une ! lança Tasia. Et on peut même chantonner en chœur…

Elle se mit à courir vers la lisière de la ville, où les Klikiss avaient laissé leurs véhicules terrestres.

Nikko ne croyait pas avoir jamais été si fatigué de sa vie. Le véhicule klikiss, une simple armature pourvue de roues à résilles et d’un moteur, leur permettrait de couvrir une bien plus grande distance qu’à pied.

Robb et Tasia dépassèrent à toutes jambes six guerriers en proie à la confusion, qui agitaient en vain leurs pinces dans les airs. Certains se cognaient contre leurs congénères, comme si la mélodie submergeait leur esprit, tandis que d’autres cherchaient la source de l’émission.

— Ils ne nous voient pas. Profitons-en !

Nikko suivit ses camarades. Les Klikiss n’installaient jamais de système de sécurité ; quant au démarrage et au pilotage de ces engins, leur conception ne devait pas être compliquée. Toutefois, les insectes avaient des membres multiples, et il n’était pas certain qu’un humain doté d’une seule paire de bras puisse manipuler les commandes.

Devant eux, des guerriers klikiss vacillaient sous l’effet de la mélodie… Et soudain, la musique s’interrompit. Les haut-parleurs de l’ancienne cité venaient de rendre l’âme.

— Alors, ça veut dire qu’ils ont tué Davlin ! cria Orli.

— Ou plutôt qu’ils ont détruit la sono, répondit Tasia en se précipitant vers le véhicule le plus proche. Nous voilà lâchés dans le vide absolu sans scaphandres…

Comme des lasers de visée, les guerriers klikiss firent pivoter leur tête vers les fuyards. Le spécex regarda par leurs yeux, et les aperçut. Eux, et Margaret.

La vieille femme s’avança d’un air de défi, sa boîte à musique à la main. Elle essaya de communiquer en expectorant des sortes de cliquetis. Puis elle remonta son instrument, et la mélodie bien connue commença à s’égrener.

— Courez, vous autres ! Prenez l’un des véhicules.

— Margaret, venez avec nous ! gémit DD, mais Orli le tira par un bras.

— Vous avez entendu la dame ! rugit Tasia. Courez ! J’espère foutrement que quelqu’un saura conduire ce machin klikiss.

Margaret tenait sa boîte à bout de bras, et laissait la musique jouer pour les monstres, pour le spécex. Avec l’un de ses membres articulés, le plus proche guerrier cueillit délicatement la boîte à musique des mains de Margaret. Deux éclaireurs l’encadrèrent, puis la saisirent. Elle essaya de lutter, mais ils la soulevèrent. Sans la blesser, ils la transportèrent au loin tandis que des guerriers resserraient leur étau autour des fuyards.

— Margaret ! hurla Orli.

Nikko la tira en trébuchant vers l’engin à roues.

Trois guerriers klikiss s’avançaient vers les véhicules, accompagnés par une créature plus grande : l’un des étranges hybrides humanoïdes, qui avait la taille d’un accouplant. Son exosquelette était blême, et son corps étiré avait des bras puissants et des pinces acérées.

Nikko hésita, mais derrière lui, Robb lui assena une bourrade :

— Vite, pendant qu’ils sont encore désorientés.

Tasia sauta sur le véhicule dépourvu de carrosserie, examina les commandes et tira des leviers pour tester leur fonction.

Rien ne semblait marcher.

— Ça pourrait bien être la plus courte tentative d’évasion jamais répertoriée…

Les trois guerriers et l’hybride focalisèrent leur attention sur les intrus. Robb s’inséra au côté de Tasia, et lui aussi commença à enfoncer des boutons, dans l’espoir de faire bouger la machine.

Les guerriers les encerclèrent, les membres dressés. Nikko plongea son regard dans celui de l’hybride blanchâtre. Ses traits affreux avaient cependant quelque chose de familier. Ses plaques faciales semblaient singer des expressions oubliées, comme si la créature tentait de reconstruire le souvenir d’une existence passée.

Avec un coup au cœur, Nikko décela dans le visage de la créature comme un je-ne-sais-quoi de sa mère, au milieu d’une série de visages de Vagabonds et de colons inconnus. Puis, comme si le nouvel-engendré le reconnaissait, le visage de Marla Chan Tylar resurgit tel un fantôme.

Orli sauta à côté de Nikko et entreprit de le tirer dans le véhicule. Elle remarqua elle aussi le visage, semblable à celui de la femme qui l’avait recueillie. Figé, Nikko faisait face à la créature, attendant qu’elle les frappe tous deux.

Au lieu de cela, le monstrueux hybride se tourna vers l’un des guerriers klikiss, lui agrippa la tête par sa crête et lui imprima une violente torsion, qui le décapita proprement. Celui-ci, saisi, battit des élytres avant de s’écrouler sur le sol en se convulsant.

Les deux autres guerriers, guidés par le spécex encore commotionné, délaissèrent les fuyards pour se jeter sur l’hybride renégat. Ce dernier contre-attaqua, tranchant les chairs et fouettant l’air.

— Allons-y, bon sang ! appela Tasia.

Nikko grimpa maladroitement à reculons. Il était incapable de détacher son regard de la bataille. Robb lui agrippa le bras et lui cria à l’oreille :

— On fiche le camp !

Mais le véhicule klikiss n’alla nulle part. Un grincement sortit de l’embrayage. L’engin fit une embardée avant de stopper de nouveau dans une secousse.

La nouvelle-engendrée Marla parvint à tuer un autre guerrier, pendant que le troisième lui tailladait les chairs. Nikko ne comprenait pas ce qui se passait. Quand les accouplants « incorporaient » le matériel génétique des humains qu’ils dévoraient, conservaient-ils donc certains de leurs souvenirs ? Y avait-il une rémanence de sa mère là-dedans ?

Trois nouveaux guerriers menés par le spécex arrivèrent et, furieux, attaquèrent ce nouvel-engendré qui les avait trahis. Ils l’entourèrent et le déchiquetèrent. Nikko émit une plainte.

Le moteur toussa, mais Tasia ignorait toujours comment piloter l’appareil. Les guerriers klikiss s’avancèrent, éclaboussés de sanies. Orli s’écarta du véhicule pour se poster devant eux.

— Que fabrique-t-elle ? cria Robb. Monte à bord, gamine !

Orli se mit à chanter une mélodie rythmée d’une voix de soprano pure bien qu’inexpérimentée. Les Klikiss la connaissaient bien… pourtant, elle était différente. De tout son cœur, elle chanta Greensleeves. Le spécex n’avait jamais entendu pareille interprétation. Les guerriers se figèrent, leurs membres en dents de scie dressés, l’oreille tendue… Orli continua à chanter.

C’était le répit dont Tasia avait besoin. Enfin, elle parvint à faire bouger le véhicule.

Encore secoué par ce qu’il avait vu, Nikko agrippa la main d’Orli et la tira sur le véhicule qui prenait de la vitesse. À l’instant où la chanson s’arrêta, les Klikiss s’avancèrent en titubant. Mais à présent, l’engin cahotait rapidement à travers le terrain.

Nikko et Orli s’assirent l’un à côté de l’autre, tous les deux choqués. DD demeura silencieux, et Nikko se demanda si un comper pouvait être bouleversé, lui aussi.

— Quoi que ce soit…, dit-il, je ne veux plus jamais le revoir.

Un essaim d'acier
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