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Orli Covitz
— Sirix ! s’écria DD en dérapant vers l’aigu.
Du haut du mur, Orli regarda les nuées de robots noirs émerger de leurs débarqueurs et commencer à massacrer les Klikiss. Terrifiés par les intentions du spécex à leur égard, les colons avaient mis en place leurs pauvres défenses, tandis qu’un dernier groupe guettait le moment opportun pour fuir. Mais personne n’avait prévu cette invasion.
Plus tôt dans la journée, Marla Chan et Crim Tylar – qui s’étaient improvisés parents de substitution d’Orli – avaient emballé des vêtements ainsi que la nourriture qu’ils ne pouvaient laisser perdre. Ils se tenaient prêts à faire partir la fillette si l’occasion s’en présentait. Orli avait roulé le clavier souple de son synthétiseur pour le fourrer dans son sac.
Puis les robots avaient atterri.
Orli ne savait pas si elle devait applaudir ou s’alarmer. Les robots tuaient plus de Klikiss qu’aucun des défenseurs humains n’aurait pu l’espérer. Pourtant, ils avaient massacré toute la colonie de Corribus, dont le père d’Orli. Elle les haïssait.
— C’est Sirix, répéta DD. Il faut nous échapper.
— Les robots ont l’air occupés pour le moment, dit M. Steinman. Ils n’ont pas le temps de nous embêter.
Comme pour le contredire, Sirix pointa un bras de métal articulé vers l’enceinte et émit un signal avec force cliquetis. Quelques robots se détachèrent des premiers rangs pour prendre la direction de la colonie. Avec leurs armes terriennes, ils firent exploser un pan du mur d’enceinte, creusant de larges cratères dans le ciment résineux.
— Tous à couvert ! ordonna Davlin. Ils ne nous tirent pas dessus, mais ils veulent manifestement entrer.
— Ils veulent parvenir jusqu’à nous, dit Orli comme ils redescendaient vers l’abri incertain de l’enceinte.
— Et jusqu’à moi, précisa DD, visiblement apeuré.
Des machines noires affluaient vers le mur, tandis que d’autres chargeaient la masse de Klikiss hérissés d’épines.
Marla et Crim avaient préparé quelques recrues à se défendre avec les armes qu’ils avaient récupérées. Mais ils renâclaient visiblement à ouvrir le feu.
— Je déteste l’idée de gaspiller nos munitions, dit Marla.
— Et moi, je veux bien en gaspiller quelques-unes contre ces robots, répondit son mari.
UR intervint :
— Mon devoir est de protéger les enfants. S’il existe une occasion de s’échapper, je vous conseille de la saisir.
— C’est plus qu’une occasion, dit Davlin. Avec cette diversion, nous pouvons emmener deux fois plus de personnes que je ne l’avais espéré. Prenez la fuite avec tout un groupe pendant que les robots et les Klikiss se distraient les uns les autres.
— Se distraient les uns les autres ? répéta le vieil ermite. Ils se massacrent les uns les autres, oui !
— Tant mieux, dit Crim. Quel camp doit-on encourager ?
Margaret les rejoignit. Elle semblait pleine d’espoir et de consternation tout à la fois.
— Peu importe, dit-elle. Le parti victorieux cherchera à nous anéantir.
— Où irons-nous ? l’interrogea DD. Est-ce que vous viendrez avec nous ?
— Je n’ai pas encore décidé quoi faire.
Marla donna un petit coup de coude à son mari.
— S’il y a un groupe sur le point de partir, Crim, tu dois te joindre à lui.
— Certainement pas ! Je reste avec toi.
— Nous avons un accord. L’un de nous doit se mettre à l’abri. Les réfugiés de la cachette de Davlin ont besoin de ta protection autant que ceux de cette ville ont besoin de la mienne. L’un de nous doit rester en vie pour Nikko, où qu’il soit.
— On ne devait pas décider à pile ou face avec un jeton de crédit ?
— C’est ce que j’ai fait, et tu as perdu. De toute façon, je sais me servir mieux que toi d’un fusil.
— Non, riposta Crim, troublé. Tous les deux, nous nous valons.
— Pas aujourd’hui. Va avec eux !
Elle lui planta un baiser rapide sur la bouche, écrasa Orli entre ses bras, puis grimpa par une échelle branlante de nouveau au sommet de l’épais mur d’enceinte d’où ses hommes avaient déjà commencé à tirer. Ils atteignirent plusieurs des robots qui s’avançaient tels des cafards géants.
Davlin saisit le bras maigre de M. Steinman et le poussa vers Orli, UR et les enfants :
— Menez-les jusqu’aux promontoires de grès. Ruis, allez avec eux !
— Comment sortir sans se faire remarquer ?
Un robot lança une roquette qui fit exploser l’une des tours de la cité klikiss. Elle trembla, vacilla, puis s’effondra au ralenti.
— Cette pagaille va durer un bon moment. Contentez-vous de courir ! Je vais ouvrir une porte rien que pour vous.
Davlin fouilla dans sa poche et trouva la télécommande du détonateur. Sans hésiter, il pressa le bouton. Les explosifs de chantier qu’il avait implantés dans l’enceinte créèrent une vaste brèche.
La poussière retomba, mais Orli se prit à hésiter. À présent, ils pouvaient fuir à travers la plaine désolée. Mais les prairies et les abords des arroyos n’offraient que peu d’abris : quelques affleurements rocheux et des arbres morts en forme de pinces.
UR poussait les enfants devant elle. M. Steinman, le maire Ruis et Crim Tylar entreprirent de courir avec le reste du groupe.
DD se retourna.
— Venez avec nous, Margaret !
La vieille femme hésita, puis regarda Orli droit dans les yeux.
— Tu as ton synthétiseur ? Protège-les, si les Klikiss vous suivent.
— Que voulez-vous dire ? Le spécex me reconnaîtra ?
— Utilise ta musique. DD, accompagne-les et tâche de les aider.
— Ne devrais-je pas rester avec vous, Margaret ? répondit le comper, visiblement indécis.
— Tu seras plus utile avec eux. Vas-y, tout de suite !
Plusieurs robots noirs escaladaient le mur. Avec leurs armes, ils en abattirent un nouveau pan. La seule vue de Sirix qui approchait suffit à sortir le comper de son engourdissement.