Le surveillant Heimrat a ouvert la porte, est entré dans ma chambre, s'est posté face à moi. J'ai levé les bras au-dessus de mon visage par mesure de protection. Aucun coup n'est parti. Heimrat a déclaré d'une voix inhabituellement douce :
« J'ai quelque chose de triste à t'apprendre.
— Mon père va venir me voir ?
— Quelque chose de pire.
— Je ne vois pas.
— Ta mère est morte, Eduard.
— Cela n'existe pas.
— Comment ça ?
— Ce que vous dites, surveillant Heimrat, n'existe pas.
— Je n'aimerais pas que nous nous disputions, en cette heure, Eduard. Alors je te laisserai croire ce que tu veux. Et si tu préfères ne pas entendre, c'est ton droit.
— Merci de respecter mes droits, surveillant Heimrat.
— Cependant tu dois savoir qu'il y a des règles. Et la règle numéro un ici est que je ne mens pas. Mais je passerai sur le règlement, en ce jour particulier. L'autre règle est que nous ne sommes pas éternels sur cette terre et que ta mère ne déroge pas à cette règle. Cela, il faudra que tu le comprennes.
— Je crois que j'ai compris.
— Qu'as-tu compris exactement ?
— Ce que vous dites sur ma mère.
— C'est bien.
— Faudra-t-il qu'on la mette en terre ?
— Bien sûr, Eduard.
— Devrais-je me rendre à l'enterrement ?
— Non, tu n'es pas forcé. Il ne vaut mieux pas d'ailleurs. Tu iras la voir plus tard.
— Merci de prendre soin de moi, surveillant Heimrat.
— C'est ce que nous devons à tous nos pensionnaires.
— J'ai une question à vous poser.
— Pose.
— Qu'est-ce que je dois ressentir normalement ?
— Personne n'a jamais compris ce que la disparition d'un proche signifiait. Les plus grands sages se sont penchés sur la question. L'homme a inventé les religions pour trouver la consolation de cette immense tristesse. Jusqu'à présent, nul n'a trouvé de réponse satisfaisante. Cela demeure un des plus grands mystères de l'humanité.
— Alors, pour vous, je fais partie de l'humanité ?
— Pleinement, Eduard.
— Même maintenant que ma mère a disparu.
— Cela ne change rien à ton état, Eduard.
— Vous prétendez que cela doit me rendre triste.
— Fondamentalement, cela ne change rien.
— Vous semblez le regretter.
— Peut-être… Tu vois, tu as compris ce qu'étaient les regrets, tu es sur la voie qui mène à la tristesse.
— Je poursuivrai de mon mieux, surveillant Heimrat.
— Je te laisse maintenant. Il faut que tu apprennes à rester seul.
— Vous avez certainement d'autres choses bien plus importantes à faire que moi, surveillant Heimrat. J'aimerais juste savoir une chose avant que vous partiez.
— Dis.
— Quand est-ce que ma mère va venir me voir ? Elle commence à me manquer. »