2

Elle s'était rétablie, sa jambe était presque guérie. Le médecin l'avait autorisée à rentrer chez elle, mais elle a été victime d'une nouvelle attaque cérébrale. Et la voilà à nouveau hospitalisée depuis un mois à la clinique d'Eos, 18, Carmenstrasse, premier étage, chambre 17. Cette fois-ci, l'attaque a laissé des séquelles. Elle a perdu définitivement l'usage de son bras gauche. La commissure de ses lèvres tombe du côté droit. Elle fait peur à voir.

L'attaque s'est produite un dimanche. Eduard était sorti du Burghölzli pour la journée, il était calmement assis dans le salon. Quand soudain, il a été pris d'une rage folle. Il s'est mis à lancer des injures contre la terre entière. Il a insulté son père, ses médecins, jusqu'à la mémoire de Zorka. Après quoi il s'en est pris à sa mère. Il a levé la main sur elle. Elle s'est protégée. Le coup est passé à côté. Sous l'effet de la peur, elle s'est effondrée. Promis, Eduard n'y est pour rien. Un coup, a confirmé le docteur Monaca, ne provoque pas une attaque. C'est son cœur, son maudit cœur, qui n'a pas tenu bon. Son cœur a fini par lâcher.

Lorsqu'elle s'est réveillée dans la chambre, sa première pensée a été pour son fils. Elle a prié pour qu'il ne garde aucun souvenir de l'incident. Qu'il ne se sente pas responsable de son état. Heureusement. Eduard n'a pas bonne mémoire. Il ne fait guère la différence entre la vie réelle et ses cauchemars. Elle a nié fermement lorsqu'il a évoqué l'événement. Elle a dit, non, il ne s'est rien passé de tel. Que vas-tu chercher là ! Je t'interdis d'avoir de telles idées. Crois-tu réellement que tu pourrais me faire souffrir ? Tu peux dormir tranquille. Désolé d'avoir pensé à mal, s'est-il excusé. L'essentiel était préservé. Eduard ne se sentait coupable de rien.

Au début, elle parvenait à faire quelques pas dans sa chambre, au bras d'une infirmière. Maintenant elle se sent trop faible pour se lever. Elle a besoin d'une aide pour manger. Après le déjeuner, elle fait une longue sieste. Elle garde les yeux ouverts de moins en moins longtemps. Dès que ses hanches ou sa jambe la font souffrir, elle reçoit une piqûre. Elle a un grand besoin de soins.

Elle a émis le souhait d'être hospitalisée aux côtés d'Eduard, au Burghölzli. Elle veut être aux côtés de son fils. Qui d'autre qu'elle peut mesurer ce qu'a enduré Eduard au cours de ces années ? Après le traitement à Vienne, il a subi une autre cure Sakel à la clinique Müsingen par le docteur Muller, puis une autre série en 1942 au Burghölzli, puis six séances d'électrochocs en 1944. Il a fait une dernière tentative de suicide, quelques semaines auparavant. Elle doit se tenir à ses côtés.

Elle ne demande pas la lune, ni hôtel de luxe à Locarno, ni palace à Genève. Simplement finir ses jours aux côtés de son fils. Le directeur ne veut rien entendre. C'est pourtant le propre fils du docteur Bleuler.

Elle a sa place au Burghölzli. Elle aussi, maintenant, n'a plus toute sa tête. Sa propre sœur y a longuement séjourné. Son fils y a passé l'essentiel de sa vie. C'est la pension de famille des Maric.