23 h 00
Si elle pouvait savoir leurs noms, peut-être
qu’ils n’oseraient rien lui faire. Parce qu’elle saurait leurs
noms. Mais ensuite, elle se dit que ce serait pire de les
connaître. Ce serait comme d’être kidnappée par quelqu’un qui
enlèverait sa cagoule et vous montrerait son visage.
Il valait mieux ne pas leur demander comment ils
s’appelaient. Il lui semblait que l’un d’eux s’appelait Bengt. Elle
avait dû entendre prononcer son prénom. Cela pouvait signifier
qu’elle… qu’ils s’en fichaient qu’elle sache parce qu’ils
allaient…
Ou alors ils s’en fichaient parce que c’était
juste un jeu.
Elle serait bientôt de retour à la colo.
Ils la raccompagneraient peut-être en
bateau.
Il faudrait qu’elle invente une excuse, une fois
là-bas.
Il lui demanderait peut-être. Demain. Oui,
demain Christer lui demanderait sûrement. Il était resté sur le
ponton, c’était bien lui.
– Le maillot !
Je ne veux pas. Non ! Non ! Si
j’enlève mon maillot, ils feront ce qu’ils voudront. Je ne dois pas
le faire. Je dois le garder sur moi !
– Je ne veux pas !
– T’enlèves ton maillot !
– Je ne veux pas ! Laissez-moi
tranquille !
– On ne va…
Une autre voix, vite interrompue.
– Ta gueule ! Rends-toi utile
plutôt !
Elle essaya de crier, elle se mit à crier. Tout
s’entendait à des kilomètres dans un silence pareil. Le soleil
était couché. On entendait les voix encore plus loin après le
coucher de soleil.
– Au
se…
On lui plaquait maintenant
une main sur la bouche. Ça faisait mal. Elle eut l’impression de
perdre une dent. Elle essaya de se dégager. Elle lui mordit la main
aussi fort qu’elle pouvait.
– Aaïïe !
Elle sentit le goût du sang dans sa bouche. Son
propre sang peut-être. La main lâcha sa bouche. Elle était tachée
de sang. Presque noire de sang.
– Roger ! Tu m’aides,
bordel !
Une autre main vint se plaquer sur sa bouche.
Elle essaya de crier à nouveau, tout en ignorant si on pouvait
l’entendre. Il y avait d’autres voix tout autour. C’était comme si
les voix la tiraillaient. Tout le monde lui tirait dessus. Ils
allaient la déchirer. Elle essaya de plonger sous l’eau. Ils
étaient tous dans l’eau, debout dans l’eau. Si elle pouvait
plonger, juste disparaître sous la surface de la mer. Lorsqu’elle
se calma et tâcha de plonger, l’un d’eux lâcha prise et elle
s’enfonça dans l’eau. Elle ne voyait plus que des jambes. Ils
n’étaient pas en maillot de bain. Elle ne vit que des jeans
mouillés. Elle touchait le fond maintenant. Elle essaya de nager.
Elle vit le ponton, elle vit la baie. Et puis l’îlot juste en face,
Svensholm, elle s’en rappelait. Elle pourrait le dépasser à la
nage. Et une fois passé Svensholm, elle serait en sécurité. C’était
une bonne nageuse, rapide. Il suffisait qu’elle passe entre leurs
jambes. Ils n’arriveraient pas à la rattraper. Le bateau était trop
loin. Elle pourrait se cacher derrière les îlots et les rochers. Il
viendrait peut-être un autre bateau. Un bateau à voile. Elle
repensa à ce garçon qui se tenait à l’avant du voilier qu’ils
avaient dépassé. Il avait l’air seul à bord de ce petit bateau. Il
la sauverait. Pourquoi n’avait-elle pas crié dans sa direction
quand ils l’avaient croisé ? Elle avait pourtant peur.
Pourquoi n’avait-elle pas sauté du bateau ? Elle aurait pu se
jeter à l’eau, tout simplement ! Il l’aurait vue. Il aurait
compris qu’elle avait besoin d’aide.
Quelqu’un l’agrippa, mais elle restait libre de
ses mouvements. Elle pourrait peut-être nager jusqu’à Styrsö et se
cacher là-bas. Il y avait du monde là-bas, elle pourrait courir se
réfugier dans la première maison venue.
Elle se jeta entre l’une des paires de jeans.
Personne ne la retint. Elle se mit à nager, elle nageait,
nageait ! Elle revoyait maintenant le ponton, elle
nageait ! Ils criaient après elle. L’un d’eux lui saisit le
pied, mais elle battit des jambes et il finit par lâcher prise.
Elle continua à nager ! Elle était en pleine mer !
Libre !