23.
Le calme régnait toujours dans la rue Lovisa. Le calme après la tempête. Devant la maison d’Ademar, Winter méditait. La dispute avec Sellberg avait été violente, assurément. Mais que s’était-il vraiment passé ? L’écrivain avait-il tout inventé ? Et pourquoi ? Ademar ne pouvait savoir ce qui allait ensuite arriver à son voisin. Ou alors si, il le savait. Winter avait trouvé l’homme d’un abord difficile, mais c’était le cas de la plupart des gens qu’il rencontrait dans le cadre de son métier. Ademar. Il écrivait sur la grande tragédie de sa vie, une tragédie familiale. Son projet paraissait le perturber sur un plan personnel. Mais pas seulement parce qu’il travaillait sur la disparition de sa sœur – c’était bien la sienne, Winter avait pu le vérifier. La mère était maintenant décédée ; quant au père, il n’y en avait pas, il avait assez vite disparu dans la nature.
Pourquoi cette histoire perturbait-elle Ademar ? Savait-il quelque chose qu’il ne voulait pas écrire ? Avait-il peur d’aborder cet épisode ? Y était-il contraint par un autre ?
Winter poussa la grille rouillée. Elle rendit un son grinçant et plaintif. La maison était recouverte d’un crépi blanc qui avait viré au gris couleur de ciel nuageux l’hiver. Au-dessus de sa tête, le ciel était toujours aussi incompréhensiblement bleu. Pas un nuage. Les enfants avaient oublié ce que c’était.
Ademar sortit sur le perron. Il portait une chemise blanche sur un pantalon noir, comme pour une grande occasion. Il ne fit pas mine de le saluer. En remontant la petite allée de gravier, Winter lui trouva un air changé.
– Qu’est-ce que vous voulez ? demanda l’écrivain, sur un ton qui n’avait rien de spécialement désagréable.
– Je vous dérange ?
– Oui.
– Je ne serai pas long. Mais c’est l’objet de ma visite.
– Quoi donc ?
– Votre travail d’écriture.
– Entrez, fit Ademar en tournant les talons.
Winter gravit les quelques marches du perron et le suivit dans le hall. Ademar le conduisit dans une pièce, sur la gauche. Elle était presque vide, en dehors de la table sur laquelle reposait un Mac. Pas de papiers, ni de livres, juste une liasse de feuilles manuscrites, derrière l’ordinateur.
– Je préfère un bureau bien rangé quand je travaille, expliqua Ademar.
– Moi aussi.
– Vous écrivez ?
– Des écritures, on en fait un peu chaque jour.
– J’aimerais pouvoir en dire autant.
– C’est laborieux ?
– Laborieux… oui, on peut dire ça comme ça. (Il se tourna vers la fenêtre : derrière une haie de lilas, on devinait la maison de Sellberg, juste un angle de bâtiment anodin dans cette rue paisible.) Et de votre côté, ça avance comment ?
– Je ne sais pas. On ne peut jamais le dire quand on est en plein milieu d’une enquête.
– Vous y êtes, au milieu ?
– Je n’en sais rien non plus, sourit le commissaire.
– On croirait entendre un écrivain.
– Je ne crée pas.
– Et moi, je me pose la question.
– Je suis ici pour parler de votre livre.
– Si l’on peut déjà parler d’un livre.
– Vous voyez ce que je veux dire.
– Que savez-vous en fin de compte ? lança Ademar, les yeux toujours rivés à la fenêtre.
– Je sais que votre voisin était à la colonie de Brännö en même temps que votre sœur.
En fait de réaction, il y avait de quoi être déçu. Winter le voyait de profil, mais il n’était même pas sûr que son interlocuteur ait remué un cil.
– Vous le saviez ? (Silence.) Est-ce un pur hasard ?
Ademar se retourna vers lui. Il paraissait tout à coup vieilli. Oui, c’était cela qu’il avait senti en arrivant.
– Que voulez-vous dire ?
– Est-ce un hasard si vous habitez… à côté de chez Sellberg ?
– J’ignorais complètement.
– Quoi ?
– Qu’il était mon voisin.
– Et le reste ?
– J’ai vu son nom.
– Quand donc ?
– Il n’y a pas très longtemps. Ce n’était qu’un nom pour moi. C’est toujours le cas, finalement.
– Comment avez-vous appris que Sellberg travaillait à la colonie, cet été-là ?
– J’ai consulté la liste des employés dans les archives de la Fédération des colonies de vacances.
– Où ?
– À Stockholm. Au siège de la fédération.
– Qu’avez-vous appris d’autre sur lui ?
– Rien. Il était employé aux cuisines. Vous en savez sans doute plus que moi. Vous avez le dossier de la police.
– Vous ne pensiez pas le consulter ?
– Si…
– Je peux vous l’envoyer.
Aucune réponse.
– Avez-vous abattu Sellberg ?
Ademar fixait des yeux l’écran de son ordinateur. Winter pouvait observer son visage se refléter sur la surface noire. L’écrivain semblait chercher quelque chose à l’intérieur. Son histoire.
– Pour quoi faire ?
– Il pouvait être impliqué dans la disparition de votre petite sœur.
– Je n’en ai pas la moindre idée.
– Puis-je lire ce que vous avez écrit jusqu’à maintenant ?
– Non.
– Pourquoi ?
– C’est trop mauvais.
– Ce n’est pas mon problème.
– Vous n’en tirerez rien.
– Laissez-moi en juger.
– Je pourrais avoir détruit le manuscrit.
– Vous n’avez pas toute votre tête ?
– Non.
– Je vous propose une petite escapade.
Ils se tenaient sur le pont du Cormoran qui quittait Saltholm à 14 h 10. Neuf minutes plus tard, le ferry accostait au ponton d’Albert sur l’île d’Asperö, embarquait un homme et son vélo, larguait de nouveau les amarres et poursuivait sa route autour de l’île jusqu’à la baie de Skutvik. Winter voyait paître des moutons sur les flancs de l’île Rivö qui prenait une teinte brun-rouge à travers ses verres fumés. L’été indien semblait ne jamais devoir prendre fin. Le soleil lui cognait la tête. Ademar portait également des lunettes noires. Il n’avait pas dit un mot de tout le trajet. Rien non plus lorsqu’ils débarquèrent sur Brännö, anse de la Pierre Rouge, en même temps que deux femmes chargées de courses et deux ados qu’un troisième était venu chercher en triporteur. Ils démarrèrent avec des éclats de rire. Ademar les suivit du regard. Ils devaient avoir quatorze quinze ans. Winter ne commenta pas. Ils prirent la route de la Pierre Rouge vers le sud de l’île.
Ils avaient dépassé l’église.
– Vous êtes revenu sur les lieux, ces derniers temps ?
– Pas une seule fois, répondit l’écrivain.
– À quand remonte votre dernière visite ?
– 1975.
Winter ralentit devant l’auberge, qui s’était offert une extension flambant neuve.
– Je croyais…
– Je n’étais pas encore mûr pour y retourner, expliqua Ademar. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre. Je ne pensais pas le faire avant d’être arrivé dans mon récit à ce moment-là.
– Lequel ?
Son compagnon garda le silence.
Ils continuèrent sur la route d’Husvik en direction du sud-ouest. Elle était bordée de vieilles bicoques en bois délabrées, dignes d’un film d’épouvante, et descendait doucement vers la baie. Winter crut reconnaître deux ou trois bâtisses qui formaient cercle autour des pontons.
– Et vous-même ? lui lança Ademar.
– Ça fait un bout de temps.
– À savoir ?
Winter s’arrêta. Ils étaient arrivés à Husvik. On avait aménagé un abri pour attendre le ferry direct de la ville au ponton de Brännö. Le ponton le plus connu du sud de l’archipel. Célébré dans tout le pays parce qu’on y danse l’été. Il se dressait sur leur droite. Winter perçut des coups de marteau. L’association des amis de l’île rénovait déjà en prévision de la prochaine saison. Dans sa jeunesse, il avait souvent laissé son bateau là-bas, du côté de Sandvik, avant de venir dans la baie d’Husvik pour regarder la foule. Il ne se rappelait pas avoir dansé. Il ne se rappelait pas grand-chose de ces chaudes soirées d’été. Si, il avait dansé avec des filles. Une fois ou deux.
– Des années.
– Je pense qu’elle a dû nager par ici, fit Ademar.


Christer Tiger ne les supportait plus, ces mecs-là. Il y a gangster et gangster. Les Albanais par exemple. Avec certains d’entre eux, c’était même pas la peine. Aucune retenue. Bien sûr, qui ne voudrait pas tout de suite mettre l’héroïne dans la rue ? Mais fallait savoir attendre. Tu fournis un peu moins au début, pour ouvrir les vannes après. Question de planning. De stratégie. Si tu veux dominer le marché.
Il quitta la route Danoise. Ça ne lui arrivait pas souvent de venir dans ces coins-là, Redbergslid, Lunden, Härlanda. Il avait quelques vieilles connaissances, enfermées à la maison d’arrêt d’Härlanda. On l’avait rénovée, en nettement plus sympa. En fait, les prisons, les asiles, c’était du passé, comme les maisons de correction et autres colonies pénitentiaires. On avait fait sortir les dingues et les voleurs. Retour au Moyen Âge ! Ha ! ha ! ha ! Il tourna dans la rue Lovisa. Il passa devant la maison. D’accord, c’est là qu’il habite. Pas de voiture sur le trottoir. Il en avait bien une, non ?
Mais voici que sa tête commença à cogner, pas très fort, pas trop vite. La douleur déferlait entre ses yeux à petites vagues. Pas si désagréable, comme sensation.


Ils s’étaient postés sur les rochers au-dessus du ponton. La pointe ressemblait au talon de la botte italienne. Le soleil de plein après-midi frappait fort. Winter cligna des yeux face au sommet rocheux de Svensholm. Plus loin, à gauche, il voyait la Grande Skällö et, derrière les quelques maisons à étages de Tången, la partie nord de Styrsö. Il retrouvait une partie de son enfance et de sa jeunesse. Ici ou là. Il avait campé sous la tente à Svensholm. Il avait circulé comme chez lui dans le détroit de Källö.
Pourquoi n’avait-il pas réfléchi à la disparition de cette fille, à l’époque ? Ou alors, il avait oublié.
Ademar pointa la tête en direction de la route, derrière eux.
– C’est par là qu’elle est arrivée.
Winter opina. Les coups de marteau se poursuivaient derrière le pan de roche, des battements d’horloge, lourds et réguliers. Il connaissait son boulot, le menuisier. Une barque de pêche faisait ronronner son moteur un peu plus loin dans le détroit. Un bruit apaisant.
– Est-ce que la police envisage de rouvrir le dossier ? demanda Ademar.
– Malheureusement, il y a prescription, répondit Winter. Mais ce n’est pas pour rien que je suis ici avec vous.
– Oui, bien sûr, il y a prescription.
– La Sente de l’Amour, fit Winter en désignant la route. Allons-y.
Ils regagnèrent la route d’Husvik qu’ils prirent en sens inverse et tournèrent à gauche dans la rue de Ramsdal, qui menait au ponton de baignade ordinaire. Celle-ci se scindait au bout d’une centaine de mètres. La Sente de l’Amour montait sur la gauche, le long de l’escarpement rocheux. Quelqu’un avait retourné le panneau, mais Winter connaissait le chemin, Ademar aussi. La Sente de l’Amour grimpait jusqu’au sommet avant de redescendre vers le vallon de Sandvik. La végétation était dense, Winter l’avait oublié – depuis plus de trente ans qu’il n’avait pas remis les pieds ici. Au sommet, un petit kiosque. Winter le reconnaissait. Mais à quoi servait-il, déjà ? Il paraissait abandonné : un refuge qui aurait perdu son utilité.
Quant au vallon de Sandvik, il avait bien changé. Au creux de la baie, les roseaux avaient envahi les zones auparavant aménagées pour la baignade. Il n’y avait plus de colonie de vacances. C’était comme si elle n’avait jamais existé. Sur le grand pré, on voyait paître de rares moutons. À l’autre bout, un terrain de pétanque. Au-dessus, quelques bateaux, la quille tournée vers le ciel. Un peu à l’écart, un terrain de tennis. Quand Winter avait regardé la colonie de vacances depuis la mer, l’établissement lui avait paru vaste, doté de plusieurs bâtiments. Il n’en restait rien.
– Ils ont tout abattu au début des années quatre-vingt, expliqua l’écrivain.
– Je ne savais pas.
– C’est fini, le temps des vacances forcées. (Ademar regarda la baie en plissant les yeux. Les roseaux formaient un véritable rideau.) Et ce n’est pas plus mal.
Une fillette de dix ans pédalait à vive allure sur l’un des sentiers qui serpentaient plus loin. Elle disparut derrière les rochers. Winter entendit des rires de mouette. Le soleil lui frappait le sommet du crâne. Pendant leur ascension, il avait commencé à sentir la douleur au-dessus d’un œil, puis d’un autre. Une douleur faible, presque douce. Il pensa à la gamine qui avait cheminé par ici, d’une baie à l’autre, peut-être, peut-être pas :
– Pourquoi ne s’est-elle pas baignée ici ? Dans cette baie.
– Je me suis souvent posé la question.
– Et votre réponse serait ?
– Elle avait un rendez-vous.
– Vous en êtes sûr ?
– Je le crois, mais je ne sais rien.
– Vous ne saviez vraiment pas que Sellberg était votre voisin ?
– Non, c’est la pure vérité.
– Je me méfie des pures vérités, répliqua Winter. Que savez-vous au sujet de Sellberg ? De son travail à la colo ?
– Presque rien. Il bossait en cuisine. Comme extra. Deux trois soirs par semaine.
– Nous sommes en train de fouiller son passé.
– Et vous avez trouvé ?
– Vous l’utiliserez dans votre livre ?
– Je ne suis pas très inspiré en ce moment, soupira Ademar.
– Sellberg n’avait pas de travail. Même pas comme extra.
– Ah bon ?
– Il venait de Göteborg. Il semblerait qu’il n’avait aucun lien avec l’établissement. Possédez-vous une liste de toutes les personnes qui y ont travaillé, cet été-là ?
– Oui. Mais pour ce que ça vaut.
– Que voulez-vous dire ?
– Je pense aux noms. Est-ce qu’on peut vraiment se fier au nom des gens ?


Ils reprirent le Cormoran depuis Brännö Pierre Rouge à 16 h 50. Sur l’île d’Asperö Nord, une femme de l’âge de Winter déchargea un vélo sur le ponton et remonta à bord. Elle hocha la tête avec un sourire en passant devant le commissaire, posté à la proue.
– Une connaissance ? fit Ademar.
– Pas que je sache.
Il se retourna mais la femme était rentrée à l’intérieur. La porte métallique blanche s’était refermée sur elle.
Ils débarquèrent à Saltholm. Au moment où il ouvrait sa voiture, Winter revit la femme. Elle se dirigeait vers l’arrêt du tramway. Il la reconnaissait vaguement, mais n’aurait pas su dire son nom.
– Est-ce que je suis soupçonné ? demanda Ademar tandis qu’ils roulaient vers le centre-ville.
– De quoi ?
– Vous n’enquêtez pas sur un meurtre ?


Il roulait sur l’avenue Allén lorsque son portable se mit à sonner.
– Oui ?
– Tu es en route, Erik ?
– Où ça, Angela ?
– Landvetter bien sûr. Ta mère atterrit dans une demi-heure.
– Mon Dieu, je savais bien qu’il y avait quelque chose !
– Je savais que tu ne saurais pas.
– J’avais oublié.
– Est-ce que je dois l’appeler tout à l’heure pour lui dire de prendre un taxi ?
– Non, non, j’y vais. Salut.


Winter se fraya un chemin dans la salle des arrivées, au milieu d’une foule de gens dont les visages, pour certains, lui paraissaient familiers. Parmi les bourgeois de Göteborg, beaucoup séjournaient régulièrement sur la Costa del Sol. Depuis un an, il faisait partie du club. Mais il ne faisait pas encore la bise à la méditerranéenne.
Siv Winter était seule au sortir de la douane, mais son chariot croulait sous les bagages. Elle pense vraiment rester, se dit-il. Elle est revenue sur la Côte de la Pluie. Même si, pour le moment, on avait du soleil, un soleil sans fin, qui rayonnait à travers tout le terminal aérien. La poussière dansait comme de la poudre d’or en rayons obliques.
– Erik !
Elle cria son nom plus fort que nécessaire. Quelques personnes se retournèrent avec un sourire. Il leva discrètement la main en signe de salut.
Elle se précipita vers lui pour l’embrasser sur les joues. Le chariot continua son chemin. Il le rattrapa de justesse.
– Erik ! Quel bonheur de rentrer au pays !
De rentrer ? Depuis quand n’avait-elle pas remis les pieds à Göteborg ? La famille en avait été quitte pour voyager dans l’autre direction, celle du soleil, et n’avait pas eu à s’en plaindre. Siv n’avait jamais rechigné à les recevoir. Mais depuis le décès de Bengt Winter, ce n’était plus la même grand-mère. Les enfants de Lotta avaient vu la différence, ils étaient assez grands pour cela. Elle avait presque échangé le shaker à cocktails contre le rouleau à pâtisserie. Elle leur avait vraiment confectionné un gâteau. Une sorte de brioche. C’était la première fois pour Winter. Dire qu’il avait pu vivre ça avant ses cinquante ans ! Tant qu’il était encore gamin.
Il pilota mère et chariot jusqu’à la voiture, garée sur le parking ouvert.
– Quel temps magnifique ! Pas un nuage !
Il hocha la tête. Deux valises trouvèrent place dans le coffre. Il entassa le reste des bagages sur la banquette arrière.
– Je ne savais pas combien de temps j’allais rester, s’excusa-t-elle.
– Aussi longtemps que tu le désires, lui lança-t-il tout en allant rapporter le chariot au terminal.
À son retour, il la trouva en train de fumer une cigarette.
– Je croyais que tu avais arrêté.
– Je ne fume presque plus.
– Presque, ça ne veut rien dire, Siv. Soit on fume, soit on ne fume plus.
– Tu peux parler, Erik, tu coupes la branche sur laquelle tu es assis…
– Couper la branche ? Ça ne se dit plus, ici, en Suède !
– Qu’est-ce que tu as, Erik ? Tu m’as l’air irrité.
Elle lâcha la cigarette à moitié consumée sur l’asphalte et l’écrasa de son talon aiguille. Jamais elle n’avait marché à moins de trois centimètres du sol. Il se rappelait sa garde-robe dans la maison familiale : des centaines d’escarpins. Une fois, il avait essayé d’en porter et il avait failli se casser la figure en traversant la pièce.


– Mais où sont les gens ? (Siv Winter regardait autour d’elle, la Suède.) Et si peu de voitures…
Ils étaient maintenant sur l’autoroute et passaient devant l’agglomération de Landvetter, entièrement dissimulée par les panneaux antibruit.
– C’est toujours l’impression que ça me fait, quand je rentre. Un vide, un silence incroyables.
– Mais c’est vrai qu’on n’est pas nombreux. Peu d’habitants, un peu plus de voitures.
– Nous sommes la ville qui a vu naître Volvo, fit-elle dans son suédois d’expatriée, légèrement décalé. Il y a de quoi être fier.
Oui, oui, se disait Winter, une de nos gloires passées.
– C’est vrai.
– Et pourtant, Erik, tu roules en Mercedes.
– Et toi, tu es partie vivre à Marbella.
– Tu n’es pas juste.
– Non.
– Merci de le reconnaître.
– Je vais peut-être changer de marque.
– Tu feras bien.
Il montait maintenant la côte à bord de sa voiture allemande. Les rochers de part et d’autre de la route lui firent penser à la côte sud de l’Angleterre, bien escarpée, elle aussi. Il revit les falaises de craie, à Douvres. Puis la mer, au large de Göteborg. Les voiles sur la mer. L’été. Un certain été, bien longtemps auparavant.
– Est-ce qu’on louait aussi un voilier du temps de Styrsö ? demanda-t-il à sa mère, tandis qu’ils longeaient les usines Mölnlycke.
– Comment ?
– Est-ce qu’on louait un voilier ?
– Mais oui… certainement.
– Tu en es sûre ?
– Oui. Tu devrais t’en rappeler, c’est toi qui t’en servais.
– Seulement moi ?
– Lotta aussi, un petit peu. Il vous arrivait même de sortir dans le détroit.
– Dans le détroit ?
– Mais oui. Le détroit de Källö.
– Hmm. Mais je ne me rappelle pas si le bateau était à nous ou pas. C’est bizarre.
– Pourquoi est-ce que tu m’interroges là-dessus ?
– Je ne sais pas vraiment.
– Ah bon.
– Je me rappelle autre chose, fit-il alors qu’ils approchaient de Kallebäck.
– Autre chose ?
– Une sortie en mer. Je ne sais plus quel été exactement. Au milieu des années soixante-dix. Je devais entrer au lycée, je crois. Ou alors c’était l’été juste avant. Par une belle journée. Non, c’était un soir, mais on se serait cru en plein jour. Il faisait chaud. Je me rappelle avoir croisé un bateau à moteur. Je… je crois les avoir salués. Il y avait une fille à bord. C’est à elle que j’ai fait signe. Un petit bateau en plastique, avec un grand volant. J’ai eu l’impression de voir comme un drapeau rouge claquer au vent une fois qu’il m’avait dépassé. (Il fixa sa mère.) Quelque chose de rouge.
Presque mort
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