32.
Qui était Jan Richardsson ? Qui
est-il ? Mort ou vif, c’était l’homme de toutes les questions.
La neuvième balle était-elle logée dans sa tête ? Trop
simple.
Winter cherchait à connaître la jeunesse du
politicien. Le ferry Vesta toucha Brännö Pierre Rouge à
11 h 27. Cette île s’est emparée de moi, songea-t-il.
Elle reprend ses droits sur ma vie. Fut un temps, danser sur ce
ponton signifiait beaucoup pour moi.
Il prit la route de la Pierre Rouge en direction
de l’ouest. Richardsson avait grandi un peu plus loin sur la route
d’Husvik. La maison était désormais occupée par une autre famille.
Le commissaire quitta la route et monta vers le cimetière. Il
regarda autour de lui. Un homme creusait la terre à cinquante
mètres de là, près d’un muret de pierres. Le fossoyeur. Il donnait
de grands coups de pelle énergiques. Winter se promena parmi les
tombes. La plupart étaient très simples, comme si la mort ne
méritait pas qu’on s’en enorgueillisse. Dans d’autres pays, les
tombeaux monumentaux semblaient défier la mort. La mort était plus
importante que la vie, plus noble. Elle existait avant nous, serait
encore là après notre passage sur terre. Elle durait l’éternité. Et
pour l’éternité, amen.
L’homme se releva. Il plissa les yeux face au
soleil qui n’en finissait pas de briller. Il avait une allure de
Vieux-Croyant – pas plus mal dans ce métier. Vu son âge, il avait
dû mettre en bière pratiquement tout le village, au fil des années.
Mais pour le moment, il ne creusait pas de tombe. C’était une
plate-bande. La terre était entièrement retournée. Des plantations
à la fin du mois d’octobre ? Ou alors, il venait de
dépiquer : des roses gisaient sur l’herbe. On aurait dit des
flaques de sang.
L’homme hocha la tête.
– Un bel endroit, fit Winter. Très
paisible.
– La paix de la mort, répondit
l’homme.
Il parlait comme un prêtre, un prêtre de
l’archipel. Les mots roulaient comme des blocs de pierre. C’était
peut-être le prêtre, en train de faire son jardin.
– À qui ai-je l’honneur ? demanda le
commissaire.
– Boris Hjelm. Le sacristain.
– Je cherche à entrer en contact avec Jan
Richardsson.
Boris Hjelm ne répondit pas. Il fixa d’abord sa
pelle, puis il parcourut du regard le cimetière. Si c’est un rébus,
j’ai compris, se dit Winter. Pelle, tombes : il a déjà enterré
quelqu’un de la famille.
– Il vient d’ici, n’est-ce pas ?
– Lequel vous dites, de
Richardsson ?
Hjelm s’était avancé d’un pas et il avait relevé
sa tête du côté droit vers le visiteur. Sa meilleure oreille. Il
est sourd. Winter se pencha un peu en avant.
– Jan Richardsson. Il est conseiller
municipal à Göteborg. Un homme politique. Il a vécu ici quand il
était jeune. Il a grandi sur l’île.
Hjelm hocha la tête. Il avait bien entendu cette
fois.
– Vous l’avez vu ? reprit Winter. Vous
l’avez vu récemment ?
– Non, non. Il est pas venu ici depuis un
moment. (Hjelm se tourna brusquement vers le commissaire.) Pourquoi
le m’sieur est après lui ?
– Juste une affaire de routine. Il faut que
je lui parle.
– Ben… il habite en ville. C’est ce qu’on
dit.
– Oui. Mais nous sommes à sa
recherche.
– Il a décampé ?
– Pardon ?
– Il a décampé ? C’est pour ça que le
m’sieur vient par chez nous ? Pour le chercher ?
– Pourquoi aurait-il décampé ?
Hjelm considéra de nouveau le cimetière.
– C’est ben comme ça qu’il fait, répondit
Hjelm. Il décampe et il revient plus jamais.
Hjelm parlait d’autre chose, dans un autre
temps.
– Il n’est jamais revenu ici ? demanda
Winter.
– Jamais. (Hjelm pointait maintenant la
tête vers l’autre bout du cimetière.) Son père et sa mère, y sont
enterrés là-bas. Pouvez pas la voir, la
tombe, mais c’est ben là-bas. Et il est même pas venu pour
l’enterrement !
– Non ?
– Non. Comme s’il était… mort pareil. C’est
horrible à dire, mais je l’ai senti comme ça. Et les autres
aussi.
Winter hocha la tête.
– Qu’est-ce qu’il a fait ? s’enquit
Hjelm.
Il n’avait plus de problème d’audition. Son
visage s’était empourpré, mais ce n’était pas sous l’effet du
soleil.
– J’aimerais lui parler, mais il a
disparu.
– C’est ben ce que je dis.
– J’ai pensé qu’il était peut-être venu
ici.
– Par chez nous ? Jamais il ferait ça.
Pourquoi qu’il ferait ça ?
– Et pourquoi pas ?
Hjelm resta silencieux.
– Pourquoi ce départ ? Il avait
apparemment décidé de ne jamais revenir ici.
– Je sais pas pourquoi.
– À quand est-ce que cela
remonte ?
– Qu’il a dit le m’sieur ?
– Quand est-ce qu’il a décampé d’ici ?
Quelle année ?
– Ça… pour ça, j’m’en rappelle pas. Un été,
j’crois. Y a pas mal de temps.
Hjelm leva les yeux vers le ciel, vers le
soleil, la marche du soleil, comme si le ciel pouvait lui fournir
la réponse.
– Une jeune fille a disparu un été par ici,
avança Winter. Disparu de la colonie dans le vallon de
Sandvik.
– Ça, j’m’en rappelle.
– C’était cet été-là ?
– Qu’il a dit ?
– Cet été-là que Jan Richardsson a décampé
de l’île ? C’était en 1975. C’est cette année-là qu’il est
parti d’ici ?
– 1975 ? Ça se pourrait bien. Je m’en
rappelle pas. Mais vous pouvez demander aux autres. Y en a qu’ont
meilleure mémoire que moi.
Winter hocha la tête. Il n’avait pas besoin de
poser la question. Il connaissait la réponse. Il était arrivé
quelque chose et Jan Richardsson ne s’était plus jamais retourné
sur son passé, plus jamais du côté ouest. Young men going east.
– Henry et Lina, ils sont par là-bas, fit
Hjelm. Ses parents. Je vous montre le chemin ?
Deux grands chênes
surplombaient la maison familiale des Richardsson, une vieille
bâtisse en bois, comme on en trouvait tout le long de la route
d’Husvik. Elle était située au croisement avec la Source aux Vœux –
une ruelle, ou plutôt un simple sentier remontant vers
l’escarpement rocheux qui constituait le sommet de l’île.
Winter contemplait la demeure où Henry et Lina
avaient vécu jusqu’en 1997. Une année qui lui revenait en mémoire.
Après la tombe des Richardsson, il avait rejoint une autre partie
du cimetière. Quand est-ce qu’il s’était rendu pour la dernière
fois sur la tombe de Mats ? Quelqu’un venait apparemment de
déposer des fleurs. Parmi les amis de Mats, un bon nombre avaient
péri pendant ces années-là, mais certains étaient encore en
vie.
Il longeait maintenant la maison en remontant la
Source aux Vœux. L’arrière-cour était manifestement dévolue aux
enfants : trampoline, toboggan, balançoire, pelleteuse et
autres grues miniatures. La maison revivait. Jan Richardsson,
enfant unique, n’avait sans doute pas connu pareille
animation.
Aurais-je pu le croiser ? songea tout à
coup Winter. À l’époque. Je ne m’en rappelle pas. C’est étrange que
j’aie si peu de souvenirs. J’ai toujours eu bonne mémoire, mais cet
été-là, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Winter fit
demi-tour sur le sentier. Je ne veux pas me rappeler.
***
Il traversa le pont d’Älvsborg puis il obliqua
en direction de Torslanda. Les citernes d’Arendal scintillaient
doucement sous les rayons du soleil couchant. La nuit arrivait vite
maintenant. L’été indien était sur sa fin même s’il ne voulait pas
encore lâcher prise.
Le pavillon de Bergenhem avait un air lugubre,
plongé dans l’ombre. Mais c’était sans doute un effet de son humeur
à lui, Winter, car il était semblable à tous les autres pavillons
mitoyens, dans ce lotissement. À quand remontait sa dernière
visite ? Il ne s’en rappelait pas. Il n’était jamais venu
ici.
Martina ouvrit la porte avant même qu’il
n’arrive sur le perron.
En 1997 déjà, son mari avait disparu. On l’avait
cru mort. Il aurait dû mourir. Martina avait accouché d’Ada sans
savoir si le père de son enfant était encore
en vie. Angela était restée auprès d’elle. Et Bergenhem s’en était
sorti.
– Erik ! fit-elle en l’embrassant sur
les deux joues.
– Martina !
– Entre donc.
Elle avait paru surprise en entendant sa voix au
téléphone. Comme si elle ne s’y était pas attendue. Il en conçut un
certain remords. C’est vrai que Lars s’était tenu à l’écart depuis
quelques années, depuis un à deux ans. Sa vie privée, son travail
l’avaient accaparé.
– Ada est chez sa grand-mère. (Ils
n’avaient toujours pas franchi le seuil.)
– C’est les vacances ? (Stupide, comme
question.)
– Non, mais elle avait envie de partir. Une
petite semaine. Elle va quand même à l’école. Mes parents vivent à
Backa. Son grand-père la conduit à l’école en voiture.
Winter hocha la tête. Beaucoup d’informations.
Elle se sentait obligée de les lui donner à cause de cette foutue
question.
– Tu as pu parler avec Lars ?
– Quand ça ? Sur quoi ?
s’étonna-t-elle.
– Sur ce que vous allez faire.
– Qu’est-ce qu’il y a à faire ? Il a
déménagé.
– On pourrait peut-être… entrer.
– Oui, excuse-moi…
Ils traversèrent le hall pour aller à la
cuisine. Martina s’assit à la table.
– Je n’ai plus de café. Je croyais en
avoir, et puis je n’ai pas eu le courage de sortir faire des
courses après ton coup de fil.
– On se passera de café, répondit
Winter.
Il s’installa en face d’elle.
Tout à coup il ne savait plus quoi dire. Ce
qu’il devait dire. Il ne pouvait ni prendre la défense de Lars, ni
condamner sa décision. Il ne pouvait que s’inquiéter pour lui, et
pour elle. Pour la suite.
– J’ai peur qu’il lui arrive quelque chose,
lui confia-t-elle.
– Qu’est-ce qui pourrait lui
arriver ?
– Il risque de faire une bêtise. (Elle fixa
des yeux Winter.) Il en est capable. Il… il ne sait pas où il en
est. Ce qu’il fait. Il n’a pas appelé. Il avait promis de le faire
cet après-midi. Et il ne l’a pas fait. Il n’a toujours pas parlé
avec Ada.
– De quoi deviez-vous discuter ?
– Vous vous appelez tous les
jours ?
– Non. (Elle parut furieuse tout à coup, il
avait dit les mots qu’il fallait éviter.) Tu crois qu’il est
heureux en ce moment ? Vous croyez ça, au commissariat ?
Eh bien, non ! Il n’est pas heureux. Pas du tout.
– Je n’aime pas beaucoup ce mot, répondit
Winter. Le bonheur, je n’y crois pas.
– Moi si. J’y ai toujours cru. Si on n’y
croit pas, c’est qu’on a un problème.
Winter se gara devant la maison d’Ademar. Il
crut apercevoir l’écrivain par la fenêtre. Une vision
fugitive.
Mais personne ne répondit à son coup de
sonnette. Il sonna plusieurs fois. Il fit le tour de la maison et
cogna à l’une des vitres. Après quelques secondes, Ademar ouvrit la
fenêtre. Il avait un œil au beurre noir.
– Qu’est-ce qui vous est
arrivé ?
– Je suis tombé dans ma cuisine. J’avais
bu.
– Pourquoi ne m’avez-vous pas ouvert quand
j’ai sonné à la porte ?
– Pas entendu. J’étais aux toilettes.
– Vous n’êtes pas ivre en ce
moment ?
– Non.
– Laissez-moi entrer.
Winter retourna sur le perron. Ademar lui
ouvrit. Il avait du mal à se déplacer. Il avait pour ainsi dire la
moitié du corps paralysée.
– Sacrée chute. Sacrées chutes au pluriel,
je dirais.
– Oui.
– Vous avez dû tomber violemment.
– Je ne supporte pas l’alcool.
– Qui vous a fait ça ?
– Personne. Je suis un vrai danger pour
moi-même.
– Celui qui vous a fait ça vous met
sérieusement en danger, Jacob. Sérieusement. Que s’est-il
passé ?
Ademar garda le silence. Il traversa le hall en
boitillant. Winter le suivit.
L’ordinateur était allumé dans le bureau,
diffusant une lumière grise.
– Au moins vous pouvez encore écrire,
constata Winter.
– Ça ne donnera rien.
– Il n’y aura pas de livre.
– Vous ne pouvez pas abandonner ce projet,
Jacob. De même que je ne peux pas abandonner mon enquête.
– Il y a une différence.
– Non.
– En tout cas, je n’écrirai pas un mot de
plus.
Ademar se laissa tomber sur sa chaise de bureau.
Il jeta un regard hâtif sur l’écran. Un regard aussi vide que
l’était l’écran. La table était nue.
– Je ne vois pas votre manuscrit.
– Quel manuscrit ?
– Ne vous payez pas ma tête ! La
dernière fois que je suis venu ici, il y avait un paquet de
feuilles ici. (Il pointa du doigt le plateau de la table.) Elles
n’y sont plus.
– Vous avez l’œil.
– Où votre livre est-il passé ?
Ademar garda le silence.
– À qui l’avez-vous donné ?
– Pourquoi êtes-vous là ?
– À qui ?
– C’est sans importance.
– Je ne pense pas, répliqua Winter. C’est
d’une grande importance pour votre livre. C’est peut-être
essentiel. Vous n’allez pas vous arrêter d’écrire. Au contraire,
vous en savez désormais davantage qu’avant. Qui vous a rendu
visite ? Pour moi aussi, c’est important. Si vous en savez
plus, il faut que j’en apprenne également. (Winter avança d’un
pas.) Vous comprenez, Jacob ? Je fais partie de votre
bouquin ! Vous ne pouvez pas le terminer sans moi ! Il
faut que vous me racontiez tout. Sinon, vous ne pourrez pas
poursuivre. Et moi non plus. On ne s’en sortira pas si vous gardez
le silence. En tout cas, moi, je ne sors pas de cette pièce avant.
L’histoire doit trouver sa fin, ici et maintenant.
– Vous êtes devenu dingue,
Winter ?
– Qui vous a passé à tabac ?
– Dites-moi d’abord pourquoi vous êtes
ici.
Winter se rapprocha. Il n’était plus qu’à deux
pas d’Ademar. Il voyait que l’écrivain souffrait physiquement. Sans
doute une côte fêlée, entre autres blessures. Son visage était
aussi gris que l’écran de l’ordi. Aucun rayonnement. Ademar était
bon pour l’hosto. Il le conduirait là-bas. Mais d’abord…
– Je suis allé sur
Brännö, répondit le commissaire. Pour essayer d’en savoir un peu
plus sur Richardsson. Il a sans doute quitté l’île l’été où
Beatrice a disparu. Je n’ai pas encore pu le vérifier, mais j’en
suis persuadé. Il n’y est pas même retourné pour l’enterrement de
ses parents. Vous vous rendez compte de ce que ça signifie ?
Quelque chose est arrivé qui l’a coupé de cette île pour
toujours.
Ademar hocha la tête.
– Êtes-vous parvenu jusque-là dans votre
livre, Jacob ? Ou cela constituera-t-il le prochain
chapitre ?
– Je n’en sais rien. Il n’y aura pas de
chapitre suivant.
– Est-ce une personne de ce temps-là qui a
débarqué chez vous ?
– De quand ?
– Vous savez très bien ce que je veux dire.
Un personnage de votre livre. Venu du passé. De cet été-là. Il
n’est pas encore dans votre livre, mais il a sa place dans vos
pages. Et pour cette raison il a emporté le manuscrit. Et vous a
interdit de continuer à écrire. Mais ce n’est pas possible, Jacob.
Ce serait comme si on m’interdisait de continuer mon enquête.
– Il n’est pas venu pour ça, rectifia
Ademar.
– Si. Il est venu pour effacer son nom de
votre bouquin. Pour tout effacer dans ce bouquin.
– Non, il n’est pas venu pour ça.
– Pour quelle raison alors ?
– J’avais embouti sa bagnole.
– Pardon ?
– J’ai embouti sa connerie de
bagnole ! Je n’avais même pas remarqué. Il a réussi à remonter
jusqu’à moi. Grâce à une histoire de laque. Vous devriez
l’embaucher, Winter. Dans la brigade technique. Il m’a
retrouvé.
– Je n’y crois pas, à votre histoire.
– C’est pour ça qu’il m’a roué de coups. Il
allait me tuer.
– Pour si peu ?
Ademar ne répondit pas.
– Vous dites qu’il a failli vous tuer.
Pourquoi s’est-il arrêté avant ?
Ademar jeta un œil à son écran d’ordinateur.
C’était une réponse suffisante.
– Il a un rapport avec le livre, conclut
Winter. Il y est et il l’a découvert. Nous nous retrouvons donc au
point de départ. Il en est mais il ne veut pas y figurer.
L’écrivain se pencha en
avant et éteignit l’ordinateur, comme pour lui faire comprendre que
tout était fini désormais, puis relevant les yeux vers
Winter :
– Il me tuera s’il apprend que je vous ai
parlé de ça.
– Le mal est presque fait. Il vous a laissé
pour mort.
– Je ne peux pas rire, Winter, ça me ferait
trop mal.
– Je ne plaisantais pas. Qui
est-ce ?
– Je vous l’ai dit : il me tuera, ou
il m’achèvera, si vous préférez. Croyez-moi. Si vous l’interrogez,
il comprendra que j’ai parlé. Ça vous fera un meurtre de plus dans
cette affaire. Vous n’avez pas besoin de ça, non ? Même si
vous savez qui l’a commis.
– Est-ce lui qui a tué
Sellberg ?
– Je ne sais pas. Il n’en a rien dit.
– On ne mentionnera pas votre nom.
– Vous allez me faire pouffer.
– Je vais vous dire un nom, répliqua
Winter. Je vous le dis et vous pouvez me répondre en pleurant, si
vous voulez. Mais il existe un nom. J’en ai déjà un. Vous n’avez
donc pas à vous inquiéter, n’est-ce pas ? Je pensais déjà
explorer cette voie. Ce sera juste une confirmation.
– De quoi ?
– Que j’ai raison.
– À quel sujet ?
– On verra. Occupons-nous d’abord de ce
nom.
– Je préférerais pas.
– Tiger, lança Winter. Christer
Tiger.
– Qui est-ce ?
– Un bandit local. Tiger.
– Il… il ne m’a pas donné son nom, fit
Ademar.
– Je ne vous crois pas. Arrêtez de me
mentir, Ademar ! Vous n’êtes plus dans la fiction. Tiger n’est
pas du genre timide. Il vous dirait son nom même sans avoir
l’intention de vous tuer après.
Ademar hocha la tête.
– Vous le connaissiez peut-être déjà
avant.
Ademar garda le silence.
– Que va-t-il faire maintenant ?
demanda le commissaire.
– Vous voulez dire ?
– Que va-t-il faire du
manuscrit ?
– Rien, pour autant que je le sache.
– Vous, qu’allez-vous faire ?
– Rien, répondit Ademar. Et
vous-même ?
Les pelouses d’Örgryte se parsemaient de
feuilles rouges. Les branches d’arbres étaient bien dénudées en
comparaison des jours passés. L’hiver avait repris ses droits sur
l’été indien. La froidure attendait en coulisses. Winter pensa
soudain aux fins d’après-midi d’octobre, à Marbella. On était bien
loin des gelées. Le sang vous coulait sans problème à travers les
veines. Tout coulait.
Personne n’avait pris la peine de ratisser les
feuilles dans le jardin des Richardsson. Les persiennes étaient
baissées. Ils avaient déjà commencé à faire leur deuil, depuis
longtemps, songeait Winter en descendant de sa Mercedes.
Le gravier crissait sous ses semelles tandis
qu’il se dirigeait vers la porte. Pas de voiture dans l’allée. Les
enfants n’étaient peut-être pas rentrés de l’école. Il n’arrivait
plus à se rappeler leurs prénoms sur le moment.
Une sonnerie de téléphone retentit à l’intérieur
de la maison. Elle se prolongea encore et encore, puis
s’interrompit avant de reprendre à nouveau. Quelqu’un qui ne
pouvait pas croire qu’il n’y ait personne à la maison.
Winter appuya sur la sonnette. Les sonneries se
confondirent. Cernés, pensa-t-il. Il entendit bouger derrière lui
et se retourna : le gamin était à la grille. Il avait l’air
tout près de s’enfuir en courant. Il avait reculé d’un pas. Il
portait un sac de sport à l’épaule.
Le commissaire le salua d’un signe de la main.
Un geste amical. Le garçon se figea sur place. Winter dévala les
marches du perron pour le rejoindre dans l’allée. Le gamin
attendait.
– Bonjour.
– Bonjour.
– Je suis de la police. Tu m’as déjà vu
ici.
Le garçon hocha la tête. Winter se rappelait le
visage effrayé qu’il avait surpris de l’autre côté de la vitre. Et
puis la fois où le petit avait descendu l’escalier pour venir au
secours de sa famille. Sa mère et sa sœur. Le père n’était plus là.
Mais peut-être l’enfant le protégeait-il aussi.
– Je m’appelle Erik, dit Winter.
Le gamin hocha la tête. Tout à coup Winter se
rappela son prénom.
– Oui.
Il y avait un nom de club estampillé sur le sac
en blanc et bleu.
– Tu ne joues pas dans l’équipe du
quartier ?
Le gamin secoua la tête.
– C’est aussi mon équipe, fit le
commissaire en pointant la tête vers le nom du club.
– Vous jouez au foot ?
– J’ai joué dans le temps, oui.
– Où ça ?
– Dans différents clubs. Mais surtout pour
les Sandarna.
– Les Sandarna BK ? Ils sont
quatrièmes, non ?
– Je crois bien. Tu suis le
championnat ?
Hochement de tête.
– Pas terrible en ce moment.
– L’IFK peut encore remonter à la troisième
place, répliqua le jeune supporter.
– Il ne reste plus que deux matchs. Et ils
vont avoir du mal.
– Ils vont y arriver.
– Bien. Je te crois, dit Winter.
– Vous recherchez papa ?
Le gamin avait laissé tomber son sac à terre. Il
paraissait léger. Les chaussures de foot ne pesaient plus beaucoup,
elles n’étaient même plus en cuir.
– Oui, nous essayons de le retrouver.
– Et… s’il ne veut pas, alors ?
Winter garda le silence.
– S’il ne veut pas qu’on le retrouve, vous
n’êtes pas obligés de le chercher, non ?
– Parfois, on a besoin de parler avec les
gens, Erik. Nous avons besoin de lui parler.
– De quoi ?
– Je ne peux pas te le dire. Des secrets de
police, tu vois. Mais ce serait bien qu’on puisse parler avec ton
papa. Chaque jour nous parlons avec des tas de gens. C’est toujours
comme ça. C’est mon travail, en fait. Et maintenant, on voudrait
parler avec ton papa mais on n’y arrive pas, malheureusement.
Le gamin reprit son sac. Il regarda du côté de
la maison. Il n’avait pas l’air d’être sûr de vouloir
rentrer.
– Non.
– Il n’a pas appelé ?
– Non.
– Tu as une idée de l’endroit où il peut
être ?
– Non.
– Si toutefois il est parti loin d’ici,
ajouta le commissaire.
Le garçon avança d’un pas vers la grille que
Winter avait laissée ouverte.
– Il est mort, déclara-t-il.