32.
Qui était Jan Richardsson ? Qui est-il ? Mort ou vif, c’était l’homme de toutes les questions. La neuvième balle était-elle logée dans sa tête ? Trop simple.
Winter cherchait à connaître la jeunesse du politicien. Le ferry Vesta toucha Brännö Pierre Rouge à 11 h 27. Cette île s’est emparée de moi, songea-t-il. Elle reprend ses droits sur ma vie. Fut un temps, danser sur ce ponton signifiait beaucoup pour moi.
Il prit la route de la Pierre Rouge en direction de l’ouest. Richardsson avait grandi un peu plus loin sur la route d’Husvik. La maison était désormais occupée par une autre famille. Le commissaire quitta la route et monta vers le cimetière. Il regarda autour de lui. Un homme creusait la terre à cinquante mètres de là, près d’un muret de pierres. Le fossoyeur. Il donnait de grands coups de pelle énergiques. Winter se promena parmi les tombes. La plupart étaient très simples, comme si la mort ne méritait pas qu’on s’en enorgueillisse. Dans d’autres pays, les tombeaux monumentaux semblaient défier la mort. La mort était plus importante que la vie, plus noble. Elle existait avant nous, serait encore là après notre passage sur terre. Elle durait l’éternité. Et pour l’éternité, amen.
L’homme se releva. Il plissa les yeux face au soleil qui n’en finissait pas de briller. Il avait une allure de Vieux-Croyant – pas plus mal dans ce métier. Vu son âge, il avait dû mettre en bière pratiquement tout le village, au fil des années. Mais pour le moment, il ne creusait pas de tombe. C’était une plate-bande. La terre était entièrement retournée. Des plantations à la fin du mois d’octobre ? Ou alors, il venait de dépiquer : des roses gisaient sur l’herbe. On aurait dit des flaques de sang.
Winter se présenta à lui.
L’homme hocha la tête.
– Un bel endroit, fit Winter. Très paisible.
– La paix de la mort, répondit l’homme.
Il parlait comme un prêtre, un prêtre de l’archipel. Les mots roulaient comme des blocs de pierre. C’était peut-être le prêtre, en train de faire son jardin.
– À qui ai-je l’honneur ? demanda le commissaire.
– Boris Hjelm. Le sacristain.
– Je cherche à entrer en contact avec Jan Richardsson.
Boris Hjelm ne répondit pas. Il fixa d’abord sa pelle, puis il parcourut du regard le cimetière. Si c’est un rébus, j’ai compris, se dit Winter. Pelle, tombes : il a déjà enterré quelqu’un de la famille.
– Il vient d’ici, n’est-ce pas ?
– Lequel vous dites, de Richardsson ?
Hjelm s’était avancé d’un pas et il avait relevé sa tête du côté droit vers le visiteur. Sa meilleure oreille. Il est sourd. Winter se pencha un peu en avant.
– Jan Richardsson. Il est conseiller municipal à Göteborg. Un homme politique. Il a vécu ici quand il était jeune. Il a grandi sur l’île.
Hjelm hocha la tête. Il avait bien entendu cette fois.
– Vous l’avez vu ? reprit Winter. Vous l’avez vu récemment ?
– Non, non. Il est pas venu ici depuis un moment. (Hjelm se tourna brusquement vers le commissaire.) Pourquoi le m’sieur est après lui ?
– Juste une affaire de routine. Il faut que je lui parle.
– Ben… il habite en ville. C’est ce qu’on dit.
– Oui. Mais nous sommes à sa recherche.
– Il a décampé ?
– Pardon ?
– Il a décampé ? C’est pour ça que le m’sieur vient par chez nous ? Pour le chercher ?
– Pourquoi aurait-il décampé ?
Hjelm considéra de nouveau le cimetière.
– C’est ben comme ça qu’il fait, répondit Hjelm. Il décampe et il revient plus jamais.
Hjelm parlait d’autre chose, dans un autre temps.
– Il n’est jamais revenu ici ? demanda Winter.
– Jamais. (Hjelm pointait maintenant la tête vers l’autre bout du cimetière.) Son père et sa mère, y sont enterrés là-bas. Pouvez pas la voir, la tombe, mais c’est ben là-bas. Et il est même pas venu pour l’enterrement !
– Non ?
– Non. Comme s’il était… mort pareil. C’est horrible à dire, mais je l’ai senti comme ça. Et les autres aussi.
Winter hocha la tête.
– Qu’est-ce qu’il a fait ? s’enquit Hjelm.
Il n’avait plus de problème d’audition. Son visage s’était empourpré, mais ce n’était pas sous l’effet du soleil.
– J’aimerais lui parler, mais il a disparu.
– C’est ben ce que je dis.
– J’ai pensé qu’il était peut-être venu ici.
– Par chez nous ? Jamais il ferait ça. Pourquoi qu’il ferait ça ?
– Et pourquoi pas ?
Hjelm resta silencieux.
– Pourquoi ce départ ? Il avait apparemment décidé de ne jamais revenir ici.
– Je sais pas pourquoi.
– À quand est-ce que cela remonte ?
– Qu’il a dit le m’sieur ?
– Quand est-ce qu’il a décampé d’ici ? Quelle année ?
– Ça… pour ça, j’m’en rappelle pas. Un été, j’crois. Y a pas mal de temps.
Hjelm leva les yeux vers le ciel, vers le soleil, la marche du soleil, comme si le ciel pouvait lui fournir la réponse.
– Une jeune fille a disparu un été par ici, avança Winter. Disparu de la colonie dans le vallon de Sandvik.
– Ça, j’m’en rappelle.
– C’était cet été-là ?
– Qu’il a dit ?
– Cet été-là que Jan Richardsson a décampé de l’île ? C’était en 1975. C’est cette année-là qu’il est parti d’ici ?
– 1975 ? Ça se pourrait bien. Je m’en rappelle pas. Mais vous pouvez demander aux autres. Y en a qu’ont meilleure mémoire que moi.
Winter hocha la tête. Il n’avait pas besoin de poser la question. Il connaissait la réponse. Il était arrivé quelque chose et Jan Richardsson ne s’était plus jamais retourné sur son passé, plus jamais du côté ouest. Young men going east.
– Henry et Lina, ils sont par là-bas, fit Hjelm. Ses parents. Je vous montre le chemin ?
Deux grands chênes surplombaient la maison familiale des Richardsson, une vieille bâtisse en bois, comme on en trouvait tout le long de la route d’Husvik. Elle était située au croisement avec la Source aux Vœux – une ruelle, ou plutôt un simple sentier remontant vers l’escarpement rocheux qui constituait le sommet de l’île.
Winter contemplait la demeure où Henry et Lina avaient vécu jusqu’en 1997. Une année qui lui revenait en mémoire. Après la tombe des Richardsson, il avait rejoint une autre partie du cimetière. Quand est-ce qu’il s’était rendu pour la dernière fois sur la tombe de Mats ? Quelqu’un venait apparemment de déposer des fleurs. Parmi les amis de Mats, un bon nombre avaient péri pendant ces années-là, mais certains étaient encore en vie.
Il longeait maintenant la maison en remontant la Source aux Vœux. L’arrière-cour était manifestement dévolue aux enfants : trampoline, toboggan, balançoire, pelleteuse et autres grues miniatures. La maison revivait. Jan Richardsson, enfant unique, n’avait sans doute pas connu pareille animation.
Aurais-je pu le croiser ? songea tout à coup Winter. À l’époque. Je ne m’en rappelle pas. C’est étrange que j’aie si peu de souvenirs. J’ai toujours eu bonne mémoire, mais cet été-là, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Winter fit demi-tour sur le sentier. Je ne veux pas me rappeler.
***
Il traversa le pont d’Älvsborg puis il obliqua en direction de Torslanda. Les citernes d’Arendal scintillaient doucement sous les rayons du soleil couchant. La nuit arrivait vite maintenant. L’été indien était sur sa fin même s’il ne voulait pas encore lâcher prise.
Le pavillon de Bergenhem avait un air lugubre, plongé dans l’ombre. Mais c’était sans doute un effet de son humeur à lui, Winter, car il était semblable à tous les autres pavillons mitoyens, dans ce lotissement. À quand remontait sa dernière visite ? Il ne s’en rappelait pas. Il n’était jamais venu ici.
Martina ouvrit la porte avant même qu’il n’arrive sur le perron.
En 1997 déjà, son mari avait disparu. On l’avait cru mort. Il aurait dû mourir. Martina avait accouché d’Ada sans savoir si le père de son enfant était encore en vie. Angela était restée auprès d’elle. Et Bergenhem s’en était sorti.
– Erik ! fit-elle en l’embrassant sur les deux joues.
– Martina !
– Entre donc.
Elle avait paru surprise en entendant sa voix au téléphone. Comme si elle ne s’y était pas attendue. Il en conçut un certain remords. C’est vrai que Lars s’était tenu à l’écart depuis quelques années, depuis un à deux ans. Sa vie privée, son travail l’avaient accaparé.
– Ada est chez sa grand-mère. (Ils n’avaient toujours pas franchi le seuil.)
– C’est les vacances ? (Stupide, comme question.)
– Non, mais elle avait envie de partir. Une petite semaine. Elle va quand même à l’école. Mes parents vivent à Backa. Son grand-père la conduit à l’école en voiture.
Winter hocha la tête. Beaucoup d’informations. Elle se sentait obligée de les lui donner à cause de cette foutue question.
– Tu as pu parler avec Lars ?
– Quand ça ? Sur quoi ? s’étonna-t-elle.
– Sur ce que vous allez faire.
– Qu’est-ce qu’il y a à faire ? Il a déménagé.
– On pourrait peut-être… entrer.
– Oui, excuse-moi…
Ils traversèrent le hall pour aller à la cuisine. Martina s’assit à la table.
– Je n’ai plus de café. Je croyais en avoir, et puis je n’ai pas eu le courage de sortir faire des courses après ton coup de fil.
– On se passera de café, répondit Winter.
Il s’installa en face d’elle.
Tout à coup il ne savait plus quoi dire. Ce qu’il devait dire. Il ne pouvait ni prendre la défense de Lars, ni condamner sa décision. Il ne pouvait que s’inquiéter pour lui, et pour elle. Pour la suite.
– J’ai peur qu’il lui arrive quelque chose, lui confia-t-elle.
– Qu’est-ce qui pourrait lui arriver ?
– Il risque de faire une bêtise. (Elle fixa des yeux Winter.) Il en est capable. Il… il ne sait pas où il en est. Ce qu’il fait. Il n’a pas appelé. Il avait promis de le faire cet après-midi. Et il ne l’a pas fait. Il n’a toujours pas parlé avec Ada.
– De quoi deviez-vous discuter ?
– Il devait juste appeler.
– Vous vous appelez tous les jours ?
– Non. (Elle parut furieuse tout à coup, il avait dit les mots qu’il fallait éviter.) Tu crois qu’il est heureux en ce moment ? Vous croyez ça, au commissariat ? Eh bien, non ! Il n’est pas heureux. Pas du tout.
– Je n’aime pas beaucoup ce mot, répondit Winter. Le bonheur, je n’y crois pas.
– Moi si. J’y ai toujours cru. Si on n’y croit pas, c’est qu’on a un problème.


Winter se gara devant la maison d’Ademar. Il crut apercevoir l’écrivain par la fenêtre. Une vision fugitive.
Mais personne ne répondit à son coup de sonnette. Il sonna plusieurs fois. Il fit le tour de la maison et cogna à l’une des vitres. Après quelques secondes, Ademar ouvrit la fenêtre. Il avait un œil au beurre noir.
– Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
– Je suis tombé dans ma cuisine. J’avais bu.
– Pourquoi ne m’avez-vous pas ouvert quand j’ai sonné à la porte ?
– Pas entendu. J’étais aux toilettes.
– Vous n’êtes pas ivre en ce moment ?
– Non.
– Laissez-moi entrer.
Winter retourna sur le perron. Ademar lui ouvrit. Il avait du mal à se déplacer. Il avait pour ainsi dire la moitié du corps paralysée.
– Sacrée chute. Sacrées chutes au pluriel, je dirais.
– Oui.
– Vous avez dû tomber violemment.
– Je ne supporte pas l’alcool.
– Qui vous a fait ça ?
– Personne. Je suis un vrai danger pour moi-même.
– Celui qui vous a fait ça vous met sérieusement en danger, Jacob. Sérieusement. Que s’est-il passé ?
Ademar garda le silence. Il traversa le hall en boitillant. Winter le suivit.
L’ordinateur était allumé dans le bureau, diffusant une lumière grise.
– Au moins vous pouvez encore écrire, constata Winter.
– Ça ne donnera rien.
– Comment cela ?
– Il n’y aura pas de livre.
– Vous ne pouvez pas abandonner ce projet, Jacob. De même que je ne peux pas abandonner mon enquête.
– Il y a une différence.
– Non.
– En tout cas, je n’écrirai pas un mot de plus.
Ademar se laissa tomber sur sa chaise de bureau. Il jeta un regard hâtif sur l’écran. Un regard aussi vide que l’était l’écran. La table était nue.
– Je ne vois pas votre manuscrit.
– Quel manuscrit ?
– Ne vous payez pas ma tête ! La dernière fois que je suis venu ici, il y avait un paquet de feuilles ici. (Il pointa du doigt le plateau de la table.) Elles n’y sont plus.
– Vous avez l’œil.
– Où votre livre est-il passé ?
Ademar garda le silence.
– À qui l’avez-vous donné ?
– Pourquoi êtes-vous là ?
– À qui ?
– C’est sans importance.
– Je ne pense pas, répliqua Winter. C’est d’une grande importance pour votre livre. C’est peut-être essentiel. Vous n’allez pas vous arrêter d’écrire. Au contraire, vous en savez désormais davantage qu’avant. Qui vous a rendu visite ? Pour moi aussi, c’est important. Si vous en savez plus, il faut que j’en apprenne également. (Winter avança d’un pas.) Vous comprenez, Jacob ? Je fais partie de votre bouquin ! Vous ne pouvez pas le terminer sans moi ! Il faut que vous me racontiez tout. Sinon, vous ne pourrez pas poursuivre. Et moi non plus. On ne s’en sortira pas si vous gardez le silence. En tout cas, moi, je ne sors pas de cette pièce avant. L’histoire doit trouver sa fin, ici et maintenant.
– Vous êtes devenu dingue, Winter ?
– Qui vous a passé à tabac ?
– Dites-moi d’abord pourquoi vous êtes ici.
Winter se rapprocha. Il n’était plus qu’à deux pas d’Ademar. Il voyait que l’écrivain souffrait physiquement. Sans doute une côte fêlée, entre autres blessures. Son visage était aussi gris que l’écran de l’ordi. Aucun rayonnement. Ademar était bon pour l’hosto. Il le conduirait là-bas. Mais d’abord…
– Je suis allé sur Brännö, répondit le commissaire. Pour essayer d’en savoir un peu plus sur Richardsson. Il a sans doute quitté l’île l’été où Beatrice a disparu. Je n’ai pas encore pu le vérifier, mais j’en suis persuadé. Il n’y est pas même retourné pour l’enterrement de ses parents. Vous vous rendez compte de ce que ça signifie ? Quelque chose est arrivé qui l’a coupé de cette île pour toujours.
Ademar hocha la tête.
– Êtes-vous parvenu jusque-là dans votre livre, Jacob ? Ou cela constituera-t-il le prochain chapitre ?
– Je n’en sais rien. Il n’y aura pas de chapitre suivant.
– Est-ce une personne de ce temps-là qui a débarqué chez vous ?
– De quand ?
– Vous savez très bien ce que je veux dire. Un personnage de votre livre. Venu du passé. De cet été-là. Il n’est pas encore dans votre livre, mais il a sa place dans vos pages. Et pour cette raison il a emporté le manuscrit. Et vous a interdit de continuer à écrire. Mais ce n’est pas possible, Jacob. Ce serait comme si on m’interdisait de continuer mon enquête.
– Il n’est pas venu pour ça, rectifia Ademar.
– Si. Il est venu pour effacer son nom de votre bouquin. Pour tout effacer dans ce bouquin.
– Non, il n’est pas venu pour ça.
– Pour quelle raison alors ?
– J’avais embouti sa bagnole.
– Pardon ?
– J’ai embouti sa connerie de bagnole ! Je n’avais même pas remarqué. Il a réussi à remonter jusqu’à moi. Grâce à une histoire de laque. Vous devriez l’embaucher, Winter. Dans la brigade technique. Il m’a retrouvé.
– Je n’y crois pas, à votre histoire.
– C’est pour ça qu’il m’a roué de coups. Il allait me tuer.
– Pour si peu ?
Ademar ne répondit pas.
– Vous dites qu’il a failli vous tuer. Pourquoi s’est-il arrêté avant ?
Ademar jeta un œil à son écran d’ordinateur. C’était une réponse suffisante.
– Il a un rapport avec le livre, conclut Winter. Il y est et il l’a découvert. Nous nous retrouvons donc au point de départ. Il en est mais il ne veut pas y figurer.
L’écrivain se pencha en avant et éteignit l’ordinateur, comme pour lui faire comprendre que tout était fini désormais, puis relevant les yeux vers Winter :
– Il me tuera s’il apprend que je vous ai parlé de ça.
– Le mal est presque fait. Il vous a laissé pour mort.
– Je ne peux pas rire, Winter, ça me ferait trop mal.
– Je ne plaisantais pas. Qui est-ce ?
– Je vous l’ai dit : il me tuera, ou il m’achèvera, si vous préférez. Croyez-moi. Si vous l’interrogez, il comprendra que j’ai parlé. Ça vous fera un meurtre de plus dans cette affaire. Vous n’avez pas besoin de ça, non ? Même si vous savez qui l’a commis.
– Est-ce lui qui a tué Sellberg ?
– Je ne sais pas. Il n’en a rien dit.
– On ne mentionnera pas votre nom.
– Vous allez me faire pouffer.
– Je vais vous dire un nom, répliqua Winter. Je vous le dis et vous pouvez me répondre en pleurant, si vous voulez. Mais il existe un nom. J’en ai déjà un. Vous n’avez donc pas à vous inquiéter, n’est-ce pas ? Je pensais déjà explorer cette voie. Ce sera juste une confirmation.
– De quoi ?
– Que j’ai raison.
– À quel sujet ?
– On verra. Occupons-nous d’abord de ce nom.
– Je préférerais pas.
– Tiger, lança Winter. Christer Tiger.
– Qui est-ce ?
– Un bandit local. Tiger.
– Il… il ne m’a pas donné son nom, fit Ademar.
– Je ne vous crois pas. Arrêtez de me mentir, Ademar ! Vous n’êtes plus dans la fiction. Tiger n’est pas du genre timide. Il vous dirait son nom même sans avoir l’intention de vous tuer après.
Ademar hocha la tête.
– Vous le connaissiez peut-être déjà avant.
Ademar garda le silence.
– Que va-t-il faire maintenant ? demanda le commissaire.
– Vous voulez dire ?
– Que va-t-il faire du manuscrit ?
– Rien, pour autant que je le sache.
– Vous, qu’allez-vous faire ?
– Rien, répondit Ademar. Et vous-même ?
– Moi, je ne vais pas rester les bras croisés, répliqua Winter en tournant les talons.


Les pelouses d’Örgryte se parsemaient de feuilles rouges. Les branches d’arbres étaient bien dénudées en comparaison des jours passés. L’hiver avait repris ses droits sur l’été indien. La froidure attendait en coulisses. Winter pensa soudain aux fins d’après-midi d’octobre, à Marbella. On était bien loin des gelées. Le sang vous coulait sans problème à travers les veines. Tout coulait.
Personne n’avait pris la peine de ratisser les feuilles dans le jardin des Richardsson. Les persiennes étaient baissées. Ils avaient déjà commencé à faire leur deuil, depuis longtemps, songeait Winter en descendant de sa Mercedes.
Le gravier crissait sous ses semelles tandis qu’il se dirigeait vers la porte. Pas de voiture dans l’allée. Les enfants n’étaient peut-être pas rentrés de l’école. Il n’arrivait plus à se rappeler leurs prénoms sur le moment.
Une sonnerie de téléphone retentit à l’intérieur de la maison. Elle se prolongea encore et encore, puis s’interrompit avant de reprendre à nouveau. Quelqu’un qui ne pouvait pas croire qu’il n’y ait personne à la maison.
Winter appuya sur la sonnette. Les sonneries se confondirent. Cernés, pensa-t-il. Il entendit bouger derrière lui et se retourna : le gamin était à la grille. Il avait l’air tout près de s’enfuir en courant. Il avait reculé d’un pas. Il portait un sac de sport à l’épaule.
Le commissaire le salua d’un signe de la main. Un geste amical. Le garçon se figea sur place. Winter dévala les marches du perron pour le rejoindre dans l’allée. Le gamin attendait.
– Bonjour.
– Bonjour.
– Je suis de la police. Tu m’as déjà vu ici.
Le garçon hocha la tête. Winter se rappelait le visage effrayé qu’il avait surpris de l’autre côté de la vitre. Et puis la fois où le petit avait descendu l’escalier pour venir au secours de sa famille. Sa mère et sa sœur. Le père n’était plus là. Mais peut-être l’enfant le protégeait-il aussi.
– Je m’appelle Erik, dit Winter.
Le gamin hocha la tête. Tout à coup Winter se rappela son prénom.
– Toi aussi, je crois.
– Oui.
Il y avait un nom de club estampillé sur le sac en blanc et bleu.
– Tu ne joues pas dans l’équipe du quartier ?
Le gamin secoua la tête.
– C’est aussi mon équipe, fit le commissaire en pointant la tête vers le nom du club.
– Vous jouez au foot ?
– J’ai joué dans le temps, oui.
– Où ça ?
– Dans différents clubs. Mais surtout pour les Sandarna.
– Les Sandarna BK ? Ils sont quatrièmes, non ?
– Je crois bien. Tu suis le championnat ?
Hochement de tête.
– Pas terrible en ce moment.
– L’IFK peut encore remonter à la troisième place, répliqua le jeune supporter.
– Il ne reste plus que deux matchs. Et ils vont avoir du mal.
– Ils vont y arriver.
– Bien. Je te crois, dit Winter.
– Vous recherchez papa ?
Le gamin avait laissé tomber son sac à terre. Il paraissait léger. Les chaussures de foot ne pesaient plus beaucoup, elles n’étaient même plus en cuir.
– Oui, nous essayons de le retrouver.
– Et… s’il ne veut pas, alors ?
Winter garda le silence.
– S’il ne veut pas qu’on le retrouve, vous n’êtes pas obligés de le chercher, non ?
– Parfois, on a besoin de parler avec les gens, Erik. Nous avons besoin de lui parler.
– De quoi ?
– Je ne peux pas te le dire. Des secrets de police, tu vois. Mais ce serait bien qu’on puisse parler avec ton papa. Chaque jour nous parlons avec des tas de gens. C’est toujours comme ça. C’est mon travail, en fait. Et maintenant, on voudrait parler avec ton papa mais on n’y arrive pas, malheureusement.
Le gamin reprit son sac. Il regarda du côté de la maison. Il n’avait pas l’air d’être sûr de vouloir rentrer.
– Tu as parlé avec ton papa ? demanda Winter. Depuis qu’il a… disparu.
– Non.
– Il n’a pas appelé ?
– Non.
– Tu as une idée de l’endroit où il peut être ?
– Non.
– Si toutefois il est parti loin d’ici, ajouta le commissaire.
Le garçon avança d’un pas vers la grille que Winter avait laissée ouverte.
– Il est mort, déclara-t-il.
Presque mort
9782709637473_tp.html
9782709637473_toc.html
9782709637473_cop01.html
9782709637473_fm01.html
9782709637473_fm02.html
9782709637473_ded01.html
9782709637473_p01.html
9782709637473_ch01.html
9782709637473_ch02.html
9782709637473_ch03.html
9782709637473_ch04.html
9782709637473_ch05.html
9782709637473_ch06.html
9782709637473_ch07.html
9782709637473_ch08.html
9782709637473_ch09.html
9782709637473_ch10.html
9782709637473_ch11.html
9782709637473_ch12.html
9782709637473_p02.html
9782709637473_ch13.html
9782709637473_ch14.html
9782709637473_ch15.html
9782709637473_ch16.html
9782709637473_ch17.html
9782709637473_ch18.html
9782709637473_ch19.html
9782709637473_ch20.html
9782709637473_ch21.html
9782709637473_ch22.html
9782709637473_ch23.html
9782709637473_ch24.html
9782709637473_ch25.html
9782709637473_ch26.html
9782709637473_p03.html
9782709637473_ch27.html
9782709637473_ch28.html
9782709637473_ch29.html
9782709637473_ch30.html
9782709637473_ch31.html
9782709637473_ch32.html
9782709637473_ch33.html
9782709637473_ch34.html
9782709637473_ch35.html
9782709637473_ch36.html
9782709637473_ch37.html
9782709637473_ch38.html
9782709637473_ch39.html
9782709637473_ch40.html
9782709637473_ch41.html
9782709637473_ch42.html
9782709637473_ch43.html
9782709637473_ch44.html
9782709637473_p04.html
9782709637473_ch45.html
9782709637473_ch46.html
9782709637473_ch47.html
9782709637473_ch48.html
9782709637473_ch49.html
9782709637473_ch50.html
9782709637473_ch51.html
9782709637473_ch52.html
9782709637473_ch53.html
9782709637473_ch54.html
9782709637473_ch55.html
9782709637473_ch56.html
9782709637473_ap01.html