46.
Winter était ébloui par le soleil. Il marchait derrière Richardsson, qui ne se retournait pas. Tiger les suivait à quelques mètres de distance. Des petites branches lui piquèrent les joues : il ne les avait pas vues, sa peau le brûlait, ses yeux aussi.
Ils entamèrent leur ascension. Richardsson trébucha sur une crevasse dans le sol, puis il glissa en arrière. Winter le retint par les épaules : elles étaient frêles, comme si l’homme venait littéralement de fondre durant les dernières heures. Il y avait de quoi. Winter se sentait lui aussi complètement démuni, abandonné de ses forces. La peur avait cet effet-là. Le pistolet mitrailleur de Tiger. Deux fois, Winter avait senti le canon dans le bas de son dos. Winter avait peut-être sauvé la vie d’Ademar, mais c’était provisoire. L’écrivain allait mourir, comme eux tous. Cette partie d’escalade était la dernière. Winter posa la main sur la paroi rocheuse, humide dans la pénombre. Cette portion du sentier ne devait jamais recevoir le soleil. J’aurais dû emporter mes gants, songea-t-il. Enfin, quelle importance ? On n’imagine pas des condamnés à mort, en route vers leur exécution, évitant les flaques d’eau pour ne pas se mouiller les pieds.
– On s’arrête !
Ils étaient à mi-hauteur.
La jungle était épaisse autour d’eux.
Richardsson se retourna.
Il avait les pupilles dilatées. Il est déjà mort. Où ai-je déjà vu pareille tête avant ? Je sais. J’ai sûrement la même tête. Non. Ce que je vais faire, c’est que je vais me jeter sur le côté et créer cette confusion d’un dixième de seconde qui peut suffire à tout.
Mais Tiger était trop loin, à plusieurs mètres de là.
– Pas un geste !
Personne n’avait remué le petit doigt.
– Gauche ! Vous tournez à gauche !
Richardsson fixait tour à tour Winter et Tiger d’un air égaré. À gauche. Il n’y avait rien à gauche. On ne voyait qu’un mur épais de branches, de buissons, de troncs et de fougères, avec des roseaux remontant aux temps préhistoriques, lorsque la mer recouvrait l’île. Il n’en restait plus que la mare. Sur la gauche. Winter devinait les pâles reflets du soleil à sa surface. Quelque chose brillait là comme un œil noir, papillotait. C’était sans doute une illusion d’optique. En tout cas c’était de ce côté qu’ils se dirigeaient.
Il vit une ouverture dans le mur.
Une trace de passage. Quelqu’un avait frayé un nouveau sentier.
Il constata que Richardsson l’avait aperçu. Ainsi que Tiger :
– Par là !
Ce dernier continuait à parler fort. Winter sentait la tension dans sa voix. Lui aussi était en route vers la mare. Lui non plus ne savait pas tout.
Richardsson pénétra dans l’épaisseur de la jungle. L’herbe haute avait été écrasée. On aurait dit des traces fraîches, comme si l’on avait marché à cet endroit dans les jours ou les nuits précédents. L’herbe piétinée repoussait. Encore quelques jours et il n’y paraîtrait plus. Après nous non plus, songea Winter. C’est la dernière fois que nous prenons ce sentier.
Il apercevait maintenant la surface de l’eau, pareille à un sol goudronné, lisse. Il n’y avait pas un brin de vent. La végétation était haute d’au moins un mètre autour de la mare, comme un rempart. Mais le sentier conduisait jusqu’à l’eau, comme une percée dans la muraille. Une percée de deux mètres de large. Ils se tenaient juste devant maintenant, sur une terrasse en palier. Ils étaient arrivés. La mare s’enfonçait dans le sol, un demi-mètre au-dessous. Elle était plus vaste que Winter ne l’avait cru, depuis le sommet de l’escarpement. Elle ne devait pas être très profonde : il lui semblait deviner le fond près du bord. Tout était noir, même pas brun. Il crut voir quelques pierres au fond de l’eau. Des pierres, ou alors une grosse pierre. Elle luisait d’un reflet pâle. Winter leva les yeux vers le ciel, toujours bleu, mais sans soleil. Ce dernier avait choisi de briller au-dessus de la mer. L’endroit où ils se trouvaient était désolé. Des ombres s’allongeaient sur la mare comme un linceul noir. Noir sur noir. Mais quelque chose avait renvoyé ce reflet de pierre blanche.
Ils étaient figés sur place. Richardsson baissait les yeux vers le gouffre. Tiger restait à l’arrière. Winter préférait ne pas se retourner. Le gangster attendait quelque chose. Ils attendaient tous. Un coup de feu allait subitement éclater. Puis un deuxième. Et ensuite le silence se refermerait.
– Nous y sommes, déclara Tiger.
Aucun d’eux n’esquissa le moindre geste.
– Tu reconnais ?
Richardsson remua vaguement la tête, qu’il tourna vers Tiger. Il savait que c’était à lui que s’adressait la question.
– C’est bien là que vous l’avez emmenée, hein ?
Richardsson garda le silence. Il ne paraissait pas écouter. Ses yeux dilatés regardaient du côté de Tiger, mais il aurait aussi bien pu les diriger vers les arbres derrière, le sentier, la mer, ou la vie qui continuait en contrebas.
– C’est ici que vous l’avez traînée, bande de salopards !
Tiger fit un pas en avant. Richardsson sursauta.
– Toi, Sellberg et Edwards. Tous les trois, c’est ici que vous l’avez traînée !
Richardsson secoua la tête.
Tiger leva son arme.
Winter se trouvait placé entre eux.
Je me jette dans la mare ? Il faut que je fasse quelque chose.
– Du calme, Winter !
– Je… je n’ai pas bougé.
Sourire de Tiger. Un sourire étincelant de blancheur, qui brillait comme de l’argent finement brossé parmi toutes ces foutues ombres.
– Dommage que t’atterrisses dans cette histoire, Winter. T’étais pas invité.
Winter négligea de répondre.
– Tu t’es invité à la fête. C’était pas la peine.
– Ce n’est pas la peine de faire ça, Tiger.
– De faire quoi ? Qu’est-ce que je n’ai pas besoin de faire ?
– De le tuer. Il est coupable. Mais vous n’êtes pas obligé de le punir.
– Ah bon ? Et qui le fera ? Toi ? La police ? Ha ! ha ! ha ! Y a prescription. Et puis ça n’est jamais arrivé. Qui pourrait le prouver ? (Il pointa du doigt le politicien.) Ce salaud nierait les faits. Comme maintenant. (Tiger le désigna du canon de son pistolet.) Tu nies ou bien t’avoues que tu l’as fait ?
– Fait… fait quoi ?
Richardsson parlait très bas, c’était moins qu’un chuchotement. Mais ils avaient entendu. On entendait tout dans ce silence de mort. Des voix normales résonnaient comme des hurlements.
– C’est toi. Tu l’as vue descendre la Sente de l’Amour et tu l’as suivie jusqu’à la baie. Après les autres t’ont rejoint.
Les yeux de Tiger étaient brillants… bon sang… brillants de larmes. Winter en vit couler une, puis deux.
– T’as vu ma Beatrice descendre le sentier.
– Non, non.
– Tu vois. (Tiger hocha la tête en direction de Winter.) Il continue à nier.
Tiger avança d’un pas supplémentaire. Il n’était plus qu’à deux mètres de Richardsson.
– Vous connaissiez l’existence de cette mare, et c’est ici que vous vous êtes débarrassés d’elle. C’est ici que vous l’avez coulée !
– Vous… vous n’avez pas compris.
– Quoi ? Pas compris ? Qu’est-ce que j’ai pas compris ?
Richardsson garda le silence.
– Y a rien à comprendre, reprit Tiger. J’ai pas besoin de comprendre. Trop tard pour ça maintenant.
Il fit un pas de plus et frappa Richardsson au visage de sa crosse.
Il tourna ensuite son arme vers Winter.
– Bouge pas !
– Je n’ai pas bougé.
Tiger se tourna de nouveau vers Richardsson.
– Tu vas dans l’eau !
– Co… comment ?
– À l’eau !
– Pourquoi avoir attendu si longtemps ? demanda Winter.
– Quoi ?
Tiger lui jeta un regard.
– Pourquoi avoir différé jusqu’à maintenant votre châtiment ? Vos châtiments. Cette histoire remonte loin.
– Je savais pas. J’ai appris ça y a pas longtemps.
– Comment l’avez-vous appris ?
Tiger ne répondit pas. Il dévisageait Richardsson comme s’il allait lui tirer dessus d’un moment à l’autre.
Puis il regarda de nouveau le commissaire :
– Qu’est-ce que ça peut bien foutre maintenant ?
– Je veux savoir. Comment l’avez-vous appris ?
– Je connais du monde.
– Comment cela ?
– Je connais des gens qui connaissent ce salaud, fit Tiger en pointant la tête vers Richardsson. Mais je l’ai appris que récemment.
– Comment ?
– Pense à une certaine croix. Vous l’avez trouvée, non ? Et les autres croix aussi. J’y comptais bien. Je pensais que vous pourriez m’aider à chercher. À chercher sous l’eau. (Il sourit en direction de Winter.) J’en étais pas vraiment sûr. Pas encore. Maintenant, oui. (Il se tourna de nouveau vers Richardsson.) Je connais du monde dans cette connerie d’ordre, tu comprends, Winter ? Richardsson en était. Sous le nom de Richard Jansson ! Il se croyait incognito là-bas, il parlait librement. C’est comme ça que j’ai fait sa connaissance. Sans le connaître vraiment. (Il fixa du regard le politicien.) Je te connaissais pas vraiment, n’est-ce pas ? Je savais pas quel salaud t’étais, à cette époque !
– C’est un malentendu ! cria Richardsson. Vous ne savez pas ce qui s’est passé !
– Ta gueule ! hurla Tiger. Ta gueule, salaud !
Il se tourna vers Winter, l’air subitement apaisé. Il pointa du doigt Richardsson.
– Richard Jansson. En face de nous. Ce tas de merde. Il croyait échapper à Brännö. Il a bien failli. Pendant des années, j’ai rien pu faire. D’abord, j’étais comme paralysé. On peut dire que ça n’allait pas fort. Et puis ensuite, quand j’ai commencé à me remettre, j’avais d’autres choses en tête. Mais un jour… un jour tout est revenu. Je savais que je devais faire quelque chose. Je dois vraiment faire quelque chose.
– Comment avez-vous retrouvé Sellberg ? demanda Winter.
– Par le club.
– Quel club ?
– Il fréquentait un club, très privé, là aussi. (Tiger eut un sourire effrayant.) Pour des gens qui veulent pas qu’on sache. Le patron est un copain à moi. Jamais mis les pieds là-bas : je déteste les pédés. Mais mon pote m’a raconté. (Nouveau sourire sardonique.) On avait de temps en temps un autre client, de ta connaissance.
– Où est-il ? s’écria Winter. Où est Bergenhem maintenant ?
Tiger ne répondit pas. Il fixa de nouveau le politicien, la tête penchée en avant, comme en attente.
– J’avais enfin retrouvé Richardsson et Sellberg. Sellberg était pas dur à identifier. Il avait aussi un pseudo je crois, mais ça n’avait pas d’importance. Il avait pas changé. Et ce salaud-là, il pétait de trouille devant Sellberg, ajouta-t-il en s’avançant vers Richardsson. C’est pas vrai ? T’étais son esclave, non ?
– Ce n’était pas… ce n’était pas lui. Pas nous. C’était Edw… c’était Edwards, bredouilla Richardsson. C’est lui qui…
– Ta gueule ! l’interrompit Tiger. Ta gueule ! Essaie pas de te défausser sur un autre, salopard ! (Il se tourna vers Winter.) Il essaie de sauver sa peau. Il met tout sur le dos d’Edwards. Comme si ça pouvait l’aider. (Tiger éclata de rire.) Personne peut plus l’aider maintenant. Mais tu ne sais pas comment j’ai retrouvé sa trace, non ? Je vais te raconter, comme ça, tout sera dit. Grâce à la frangine. Berit. La brave Berit ! Une fois que j’ai retrouvé Jansson, peu importe son nom, eh bien, j’ai retrouvé sa famille. Et sa femme, elle avait un nom de jeune fille qui m’était familier. Quand j’ai commencé, bien des années après, à me pencher sur ce qui s’était passé cet été-là, j’ai croisé ce nom-là. Et voilà que je le retrouvais dans les parages de Richardsson. Une coïncidence ? Je me suis renseigné sur son frère, qui vivait à l’étranger. Il y est resté un sacré temps. Et puis, il est rentré en Suède. Il pensait sûrement que tout ça, c’était oublié. Eh bien non ! (Il fixa de nouveau Richardsson.) J’avais pas oublié.
– Vous… vous vous trompez, dit Richardsson. Beatrice est…
– Ferme ta gueule ! cria Tiger. Tu la fermes une bonne fois pour toutes ! Tu dis son nom encore une fois et je t’explose la tête, fils de pute ! À l’eau j’ai dit ! À l’eau !
– Qu’allez-vous faire ? intervint Winter. Que voulez-vous faire ? (Il tâchait de garder un ton ferme. Impossible.) Que… que faites-vous ?
– Il va aller la chercher ! déclara Tiger. Il lui doit bien ça, ce gros dégueu ! Il va chercher ma Beatrice !
Nouveau coup au visage pour Richardsson. Sa bouche saignait déjà.
Il le frappa au-dessus de la hanche. Richardsson tomba cinquante centimètres plus bas, dans l’eau, avec un bruit étourdissant. C’est ce qui parut à Winter, on aurait dit une explosion, et il leva les yeux au ciel pour vérifier qu’il n’y avait pas d’éclairs au-dessus de leur tête.
Le visage de Richardsson réapparut à la surface. Il essaya de respirer, mais il semblait avoir du mal à faire entrer l’air dans ses poumons. Sa bouche ne cessait de s’ouvrir et de se refermer. Tiger le regardait tout en surveillant Winter.
Richardsson avait maintenant retrouvé son souffle. Mais il sanglotait. Il était apparemment à genoux dans l’eau. Winter ne voyait que le haut de son corps. La chute avait remué la vase et la boue. Peu à peu la surface redevint lisse. Richardsson cessa de pleurnicher. Il ne va rien chercher du tout, se dit Winter. Tiger va lui tirer dessus. Pas d’autre solution. Et après, c’est mon tour.
– Tu continues plus loin !
Richardsson le fixa de ses yeux rougis, tachés de sang. Il avait une incision qui lui barrait le front, et ses cheveux étaient plaqués sur son crâne.
– Debout !
Richardsson essaya de se relever. Il y était presque arrivé lorsqu’il perdit l’équilibre. Sa tête disparut sous l’eau. Winter distinguait ses jambes battant le fond. Richardsson retrouva un point d’appui et finit par émerger complètement. Il cherchait son souffle. Il tâcha de se remettre debout, balançant les bras, comme s’il avait voulu s’enfuir par les airs. Se projeter vers le ciel. Il poussa un cri. Winter l’entendait crier maintenant. Ce n’étaient plus des sanglots, mais des cris de démence. Richardsson fixait Winter, et non Tiger. Il le fixait d’un regard terrifié. Il frappa dans l’eau tout autour de lui, comme en lutte avec un adversaire imaginaire. Il cria de nouveau.
Il parut avoir attrapé quelque chose… dans l’eau ! Winter jeta un regard à Tiger, mais ce dernier ne bougeait pas d’un cil. Il avait relevé son pistolet mitrailleur qu’il tenait au niveau de sa taille. Richardsson émit un son nouveau. Winter le vit agripper ce qui se trouvait sous l’eau, à moins qu’il ne soit en train de l’enfoncer, de s’en débarrasser, de fuir cette chose !
Il tenait un bras. Richardsson tenait un bras ! Pas le sien. Il le lâcha, mais il resta visible, flottant comme un morceau de bois. Winter perçut autre chose, une grande ombre, un poisson géant, qui remontait lentement. Le bras en faisait partie. C’était un cadavre. Il finit par jaillir à la surface. Richardsson avait dû le libérer de sa gangue. Winter aperçut des cheveux, une nuque, une épaule, l’autre bras. Le corps se retourna dans l’eau, coula puis revint flotter de nouveau. Ce n’était plus qu’une grande pierre blanche, celle qu’il avait vue en arrivant près de la mare, rien d’autre qu’une pierre. Il ferma les yeux, il n’entendait plus les cris de Richardsson car il criait lui-même, il le comprit, alors qu’il n’y avait rien à comprendre. Rien à comprendre car rien n’avait plus de sens, tout était perdu, vide et passé, d’une pâleur de mort comme le visage de Bergenhem.
– Lars ! (Il percevait maintenant son propre cri.) Lars !
Juste un mot. Juste un bras que Richardsson avait tenu dans ses mains. Le reste était sous l’eau. Le visage de Bergenhem disparut de nouveau.
– Lars ! (Il se dirigea vers Tiger.) Pourquoi, Tiger ? Pourquoi ?
Pas de réponse. Tiger suivait le combat que Richardsson livrait au cadavre de Bergenhem. Un combat à forces égales. Richardsson parut glisser de nouveau, comme entraîné par Bergenhem. Un grotesque ballet aquatique.
Tout à coup Tiger vacilla. Il se prit la tête, se frotta les tempes, l’œil. L’arme tremblait dans ses mains. Il ferma les paupières une seconde. Il les rouvrit, chancela de nouveau. Le combat se poursuivait dans la mare. Tiger tâchait de fixer son regard dessus. Il secoua la tête, comme pour chasser la douleur. Winter pouvait l’identifier. Il se rappela que Tiger souffrait de migraine. C’était ça. La migraine. Parmi les nombreux facteurs déclenchants, le plus courant, c’était le stress. Tiger était tendu. Pas à cause du meurtre, celui qu’il avait commis. C’était un assassin, mais il n’était pas sans cœur, en tout cas maintenant. Il croyait se rapprocher de Beatrice. Le passé le rejoignait. Ici et maintenant. Il avait peut-être cru que Richardsson était tombé sur le corps de Beatrice. Non. Il savait que c’était Bergenhem, non ?
Tiger avança d’un pas chancelant.
Winter se jeta dans sa direction.
Ils étaient distants de trois ou quatre mètres.
Il vola.
Tiger le vit arriver. Il leva son pistolet mitrailleur et tira. La balle manqua le commissaire, mais il perçut l’impact, comme un tremblement de terre miniature sous ses pieds. L’arme était restée en position semi-automatique après les coups de feu sur la cabane. Il recula. Winter était toujours en suspens dans l’air, il n’avait pas atterri. Si Tiger tirait de nouveau, il continuerait à voler jusqu’au ciel. Il n’atterrirait plus jamais ; il serait assis ce soir, avec Bergenhem, à la table des dieux. Que demander d’autre ? Non. Pourquoi l’avait-il laissé quitter son bureau, le corridor, cette foutue brigade, ce foutu commissariat ? Le souvenir de ce moment prenait la forme d’un visage dans l’eau. Un visage blanc. Il aurait voulu tout oublier. Ne jamais se séparer en mauvais termes. Il revit Angela, Angela au lit. Ce serait la dernière image. Se séparer les meilleurs amis du monde. Une règle à toujours respecter, le dernier instant viendra. Maintenant. Ce dingue est en train de me tirer dessus. Il relève le canon de son pistolet. Il se redresse. Je ne vole plus. J’ai atterri au sol. Je n’ai pas réussi à m’envoler. Ce sera la mise en terre pour moi. Un enterr…
La tête de Tiger venait d’exploser devant ses yeux. Elle éclata en mille morceaux. Tout peut se démonter. Le visage de Tiger n’avait pas perdu ses yeux, qui regardaient dans tous les sens, en direction de Winter, Richardsson, Bergenhem, vers le ciel, la terre, la mare. Il restait figé, tenant encore l’arme mortelle. Mais elle ne lui servirait plus. Il fléchit lentement vers le sol. Il était scalpé, une vision atroce. Il était maintenant sur les genoux. Le pistolet mitrailleur lui tomba des mains. Toujours dans ce foutu ralenti. Tiger était mort, mais il remuait encore. Il tombait, encore et encore. Winter avait entendu claquer le coup de feu en même temps que la balle touchait Tiger à la tête. Ce devait être une arme colossale. On aurait dit qu’une bombe avait explosé. Winter gisait au sol. Son visage s’était enfoncé dans l’herbe au moment où il atterrissait. Il sentit le goût de la terre dans sa bouche. Un goût de sang. Un goût de fer. C’était du sang. Il cracha du sang. Il avait dû se blesser les dents, et se mordre la moitié de la langue.
– Erik ! Comment vas-tu ? Erik ? Erik ?
Il n’y en avait qu’un pour l’appeler de son prénom avec autant d’insistance.
Il releva la tête.
Benny Vennerhag se tenait à l’endroit même que venait de quitter Tiger. Il avait dans les mains une sorte de fusil lance-grenades.
– Erik ? Erik ?
Sauvé par la pègre… Il avait toujours un goût de terre dans la bouche. Il essaya de cracher encore une fois. Quelque chose remuait derrière Vennerhag, et finit par sortir de cette jungle. Ademar. Il rejoignit Benny Boy d’un pas boitillant. Il se tenait là, le soleil dans le dos, si bien qu’il était difficile de distinguer les traits de son visage, et sa blessure, mais c’était l’écrivain. Le livre est achevé, songea Winter. Ou presque.
Presque mort
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