21 h 55
Une mer d’huile sur tout le détroit. Elle
sentait le vent dans ses cheveux. Il lui avait tout de suite lâché
le bras. Ce n’était pas si méchant. Juste une petite blague.
Le bateau vira autour de l’îlot.
Celui qui était à l’avant se retourna.
– Il s’appelle comment ?
cria-t-il.
– Svensholm, lui lança le gars assis
derrière elle.
– Pas énorme.
– Non.
Ils poursuivirent leur course entre les îlots.
Elle se retourna. Celui qui était derrière elle lui sourit. Il lui
demanda quelque chose qu’elle n’entendit pas.
– Quoi ?
– Tu es déjà venue ici ?
cria-t-il.
Elle secoua la tête.
Il fit un geste de la main.
– Faut se méfier des récifs.
– Quand est-ce qu’on fait demi-tour ?
cria-t-elle.
– Bientôt.
Ils avaient une île plus grande sur la
gauche.
– La grande Källö, fit-il avec un geste du
bras.
Ils continuèrent plus bas dans le détroit. Elle
voyait en face d’eux des maisons d’habitation, bungalows et villas.
Elle savait que c’était Styrsö, car la colo avait fait une
excursion là-bas. C’était sympa au début, mais très vite, elle
avait dû s’occuper des petits : ils pleuraient de fatigue. Il
n’y avait que deux animatrices et elles préféraient rester assises
sur une couverture à fumer des clopes. Elle n’était pas
d’accord : ils étaient trop jeunes pour se débrouiller tout
seuls.
– Styrsö ! lança le gars derrière
elle.
– Je sais ! cria-t-elle.
Le conducteur fit virer le
bateau dans le détroit. Il se tenait derrière le volant, sans dire
un mot. Il n’avait pas ouvert la bouche depuis qu’ils étaient
montés à bord. Il ne l’avait pas regardée une seule fois quand ils
étaient en mer, elle n’avait pas remarqué en tout cas. Mais elle
l’avait vu venir à la colo plusieurs fois. Elle ne savait pas ce
qu’il faisait. Des livraisons ? Des triporteurs venaient
parfois livrer. Une fois, elle avait été tentée d’en prendre un
pour aller sauter sur un ferry et rentrer à Göteborg, mais elle
n’avait pas osé.
J’aurais mieux fait, pensait-elle
maintenant.
Ils croisèrent un bateau à voile. Un garçon, à
l’avant, tirait sur un cordage. Il leva les yeux vers eux. Tout à
coup, il les salua de la main. Un salut qui lui était adressé, elle
le sentait. Il la regardait, elle voyait ses yeux. Il avait son
âge. Elle leva la main. Son peignoir se souleva comme un drapeau
rouge, et le garçon à la proue la salua de nouveau. Il se tenait au
mât. Le voilier roulait dans le sillage du bateau à moteur. Elle
remarqua que son peignoir flottait toujours, comme un
drapeau.