10.
Richardsson appela aussitôt après avoir quitté
Winter. Sa cravate lui serrait la gorge.
– Qu’est-ce qu’on fait ?
demanda-t-il.
– Y a rien à faire. On va rien faire du
tout. Qu’est-ce que tu lui as dit ?
– Rien.
– Il ne t’a pas posé la
question ?
– Non. Ça n’avait pas l’air de
l’intéresser. Il a dit que je pouvais récupérer la bagnole
maintenant.
– Il a dit ça ? Ouais, elle est
toujours là.
– Je préférerais que tu la déposes en
ville.
– Où ça ?
– À l’endroit habituel.
– OK.
– J’en ai besoin ce soir.
– Tu fais quoi ?
– Comment ? Je dois conduire mon fils
à l’entraînement de hockey sur glace.
– Ils ont déjà repris ?
– Oui.
– C’est vrai que des patinoires, y en a
partout maintenant. Tu peux jouer au hockey sur glace toute
l’année. À propos, je passerais bien le voir un de ces soirs.
– Le voir ?
– Le voir jouer, bien sûr.
Mon Dieu, c’était bien lui qui avait tenu le
pistolet ? Lui qui avait tiré ? C’était comme s’il
s’était posté sur le côté et s’était regardé lui-même en train de
lever l’arme.
Et puis ensuite, tout le reste.
Il avait gardé le pistolet.
Il ne l’avait pas vraiment utilisé.
Mais en tout cas, maintenant ils savaient. Qu’il
pouvait tirer. C’était sans doute pour le mettre à l’épreuve. Et
quelle épreuve… Il ne savait pas ce qu’ils voulaient tester chez
lui, mais c’était un test. Il regarda l’arme. Il faut que je
retourne là-bas. Ou bien ailleurs. Va-t-il comprendre
l’avertissement ? S’il déménage à l’autre bout de la terre,
est-ce qu’il faudra que je le poursuive ?
Christer Tiger se tenait à la fenêtre, son hôte
à côté de lui. Dehors des milliers d’hommes s’activaient à
construire ces nouveaux quartiers.
– Mon Dieu, combien de temps ça va
durer ? demanda l’hôte.
– Des années.
– Comment tu supportes ça ?
– On s’habitue. Et puis ça te donne un
certain anonymat. On peut aller et venir sans que personne en ait
rien à foutre.
L’hôte pointa du doigt les fondations
d’immeubles entre béton et boue, avec des surfaces béantes qu’il
faudrait bientôt refermer. Au-dessus de tout cela s’élevait un
monstre d’acier.
– C’est quoi, ce machin ?
– La grue portique du chantier naval
d’Eriksberg.
Le soleil se réfléchissait sur la grande grue
jaune vif. Elle paraissait vivante.
– Un souvenir, dit Tiger. Un souvenir du
temps d’avant.
– Elle a quelque chose de beau.
– Naturellement.
– Ça ne te donne pas mauvaise conscience,
ce spectacle, Christer ?
– Pourquoi ?
– Ça rappelle qu’il y a des métiers
honnêtes.
– Ouais, t’as raison.
– La sueur et le sang.
– Le sang ?
– C’est dangereux de bosser sur un
chantier.
– Comment tu le sais ?
– T’en sais rien du tout, répliqua Tiger.
T’as lu que dalle. Mon vieux était ouvrier dans la construction
navale.
– Je savais pas.
– Là. À Eriksberg.
– D’accord.
– Il en est mort.
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Il est tombé d’un échafaudage.
– C’est terrible.
– C’est pour ça que je vis là.
– C’est vrai ?
– Pourquoi ça serait faux ?
Hein ?
– J’en sais rien.
– Tu crois que je m’amuse à te raconter des
mensonges ?
– Mais non. Calme-toi. (L’hôte se tourna
vers la fenêtre.) Tu voulais me montrer quelque chose, Christer. Je
suppose que t’as un bon plan à me proposer.
Le mal de tête l’assaillit au moment où il
refermait la porte derrière lui. Les murs de brique du corridor lui
parurent tout à coup menaçants. Il n’avait jamais aimé, jamais
compris ce revêtement. Qu’est-ce qu’avait cherché
l’architecte ? Y avait-il une symbolique qui lui
échappait ?
Il s’adossa contre le mur.
– Qu’est-ce qu’il y a, Erik ?
Il vit le visage d’Aneta, mais en flou. Son œil
gauche ne fonctionnait pas bien, semblait-il, c’était de là que
venait la douleur. Le visage de l’inspectrice dessinait à peine une
ombre.
La douleur s’esquivait maintenant.
– Tout va bien, Aneta.
– Bien ? Je ne suis pas aveugle !
Comment te sens-tu ?
– Mieux qu’il y a une minute.
Il massa la zone au-dessus de l’œil
gauche.
– Pourquoi tu ne retournes pas chez le
médecin ?
– C’est juste une… migraine.
– Tu en as déjà eu avant ?
– Quand ça ?
– Quand tu étais jeune. Plus jeune. Tu vois
ce que je veux dire.
Elle paraissait irritée. C’était inhabituel chez
elle.
– Qu’est-ce qu’elle en dit,
Angela ?
– Qu’est-ce qu’elle pourrait en
dire ?
Aneta esquissa un soupir.
– C’est parti tout de suite cet été et là,
je viens juste de faire une petite attaque.
– Une petite attaque ?
Il reprit sa marche, tandis qu’elle restait
figée sur place.
Winter ne ressentait plus rien désormais. Une
petite attaque, qui ne reviendrait pas. Pourquoi irait-il consulter
un médecin ? Il en avait un à la maison. Angela pouvait lui
prescrire un truc. Ça surgit à tout âge, la migraine. Sa petite
maman chérie en avait également souffert.
On commence avec une petite cuillère et on finit
avec le plat en argent. C’était bien comme ça dans le
proverbe ? Sa maman employait souvent l’expression. Tiger
avait gardé le souvenir de la cuisine à Kungsladugård. Il se
rappelait son père, assis à la table, de retour du travail.
Parfois, ils allaient à sa rencontre, sur le quai de Klippan. Le
ferry ramenait les ouvriers de chantier naval d’Eriksberg. Il
commençait à agiter les bras bien avant que le bateau ait quitté la
berge d’en face ! Ça faisait rire sa mère. Il lui faisait
signe ce soir-là, bien sûr. Mais il faisait signe à un mort. Son
père n’était pas dans ce convoi. Tous les voyageurs avaient
débarqué, lui et sa mère étaient restés à attendre, jusqu’à ce que
le ferry reparte. Comme si son père allait venir en marchant sur
l’eau, depuis l’autre rive. Maman avait interrogé quelqu’un, mais
elle n’avait pas compris la réponse. Pas de téléphone portable à
l’époque. Ils avaient dû attendre qu’on vienne les voir chez eux.
Rue du Repos. Il se rappelait encore le silence qui avait suivi. Il
le portait encore en lui. Ce silence l’habitait, il ne pouvait y
échapper. Même dans les décibels. Il avait déménagé près de la mer,
aussi près que possible de la mer. Plus tard. Là, il avait trouvé
un silence qu’il n’avait pas besoin de fuir. Il pouvait écouter la
mer des heures durant. Il vivait dedans. Il y voyait la mort.
Bergenhem frappa avant d’entrer. Winter leva les
yeux de son ordinateur portable. Il cherchait l’arme. Il y en avait
des tas. Ils auraient pu former de nouvelles collines à Göteborg
avec toutes ces armes qui affluaient en masse.
De nouveaux rochers, de nouvelles crevasses. Des ravins. Le
Panasonic jouait un morceau du Lars Jansson Trio, The sky is there. Le ciel, toujours là dehors. Le
soleil était passé derrière les bâtiments, en chemin vers la mer.
Winter avait pu le voir plonger derrière la ligne hérissée des
immeubles de la ville. Il ne ressentait aucune douleur. Tout était
calme. Il ne désirait être nulle part ailleurs, juste à ce moment,
à cet instant-là.
– Tu as une minute ? demanda
Bergenhem.
– Naturellement. (Winter rabaissa le
couvercle de son portable.) Assieds-toi.
Bergenhem s’assit avec un sourire bref, qui
semblait très provisoire. Ses yeux ne souriaient pas. Plus depuis
longtemps, Winter l’avait bien remarqué. Lars paraissait marcher
sous un nuage noir. Ce phénomène, jusque-là passager, avait pris de
l’ampleur ces derniers temps. Le nuage s’appesantissait plus
longtemps.
– Est-ce que je peux t’aider,
Lars ?
Bergenhem le regarda. D’un air sombre,
effectivement.
– Raconte-moi.
– On dirait une audition, répondit
l’inspecteur.
Winter perçut la douleur dans le regard de
Bergenhem. Ce n’était pas un mal de tête.
– Un souci professionnel, Lars ?
– Qu’est-ce que ça pourrait être
d’autre ?
– Je ne sais pas. Il n’y a pas que le
boulot dans la vie.
C’était au tour de Winter de sourire.
– Je suis tenté de tout arrêter, déclara
Bergenhem.
C’était sorti très rapidement, comme dans
l’urgence, ou comme une réflexion longtemps mûrie. Winter s’y
attendait un peu. Il n’était pas ébranlé par la nouvelle. Les gens
arrêtaient, dans tous les métiers. On passait à autre chose. La vie
n’était pas un moule préformé qu’on intégrait à l’âge de vingt ans,
elle ne devait pas être ça. Mais il ne voulait pas perdre
Lars.
– Ce n’est pas la première fois que ça te
prend, n’est-ce pas ?
– Non.
– Mais tu ne m’en avais rien dit les autres
fois.
– Non.
– Alors pourquoi le fais-tu
aujourd’hui ?
– Je ne sais pas, Erik. Vraiment pas.
– Ça n’a rien à voir. Tu le sais
bien.
– Alors, de quoi s’agit-il,
Lars ?
– Je ne sais pas, comme je t’ai dit.
Bergenhem fit mine de se lever, mais il se
rassit, retomba sur la chaise inconfortable. Le temps s’était
brusquement accéléré. Il se passait quelque chose ici et
maintenant, peut-être était-ce d’une importance vitale pour l’homme
qui était assis en face de lui. Winter le voyait pratiquement tous
les jours depuis dix ans et dans ces cas-là, on ne se rend pas
compte que les gens vieillissent. Même s’il était loin d’être le
plus jeune de la brigade, Lars serait toujours le junior dans
l’équipe de ceux qui étaient là depuis le début, comme Winter. Sans
doute leurs relations ne s’étaient-elles pas autant développées
qu’avec Ringmar. Ce dernier l’avait pris sous son aile et il avait
essayé de faire de même avec Lars. Non pas comme un père, mais
comme un frère aîné. Il ignorait si Lars en avait un. Ils n’en
avaient jamais parlé. Il ne connaissait rien de sa famille, de son
milieu d’origine. Peut-être ai-je échoué. J’ai échoué si Lars veut
me quitter. Il le prenait comme ça, de façon personnelle. On le
quittait, lui, et non pas la brigade.
– J’ai perdu l’envie de travailler,
expliqua Bergenhem.
– Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de
particulier ?
– Non.
– Cela fait longtemps que tu ressens
cela ?
– Sans doute.
– Ce n’est pas une réponse, Lars.
– Je n’ai pas vraiment de réponse, Erik.
C’est ça le problème.
– Parfois il arrive qu’il n’y en ait pas.
Tant pis. Est-ce que tu veux te mettre en congé pour un certain
temps ?
– Non.
– Pourquoi pas ?
– Je n’ai pas de réponse non plus.
– Rester un peu à la maison, en
famille ?
Bergenhem garda le silence.
– Comment va ta famille ? s’enquit
Winter aussi délicatement que possible.
– Bien.
– Ada doit approcher les onze
ans ?
– Oui.
– C’est vrai. Comment tu le
sais ?
– J’ai oublié. En tout cas, Elsa aimerait
bien commencer le cheval. Si tu as des tuyaux.
– Je ne crois pas, Erik.
– Personnellement j’ai peur des chevaux,
sourit Winter.
– Moi aussi.
– J’espérais que tu m’aiderais.
– Désolé.
– Vous pourriez peut-être nous accompagner
la première fois, Ada et toi.
– Je vais sans doute quitter la ville,
annonça Bergenhem.
– Comment ?
– Je vais sans doute quitter
Göteborg.
– Alors là, tu me choques. Quitter une
ville pareille ?!
– J’ai du mal à plaisanter à ce
sujet.
– Mais je ne plaisante pas. Où
partiriez-vous ?
– Je… je serais le seul à déménager.
– Tu en as parlé avec Martina ?
– Non, pas encore.
Le téléphone se mit à sonner. Winter hésitait à
répondre. Bergenhem, lui, parut soulagé. Il était venu parler, mais
il n’avait plus envie de s’attarder. Winter avait échoué à
prolonger la conversation. Il n’avait plus qu’à se rabattre sur le
téléphone. Il souleva le combiné.
– Oui ?
– On dirait que c’est le même type de
munition, Erik, lui apprit Öberg.
– Les mêmes que sur le pont ?
– Oui. Calibre 7.62. Un Tokarev.
7.62 × 25.
– Un Tokarev ?
– Oui. Ça ressemble à du 9-mm mais c’est un
Tokarev.
Winter eut un regard vers son ordinateur. Il
venait de lire un rapport sur ces pistolets quelques minutes
auparavant. Ils étaient très présents à Göteborg.
– Tu veux dire que c’est le même type de
balle dans la voiture du pont d’Älvborg que dans le mur de
Sellberg ?
– On en a trouvé d’autres là-bas, précisa
l’expert. Deux de plus, sur la maison et sur un arbre du jardin.
Elles correspondent aussi.
– OK.
– Plus une douille dans le bosquet.
– Bien, mais c’est un peu étonnant.
– Oui.
– Dans ce cas, je renvoie les balles au
Labo central.
– Hmm.
– Avec un peu de chance, c’est la même
arme.
– On ne sait jamais.
– Ce n’est pas fléché prioritaire, Erik. Je
ne peux pas leur mettre la pression. Le Tokarev n’est pas un modèle
rare, non ? On pourra peut-être en faire une priorité, tout
dépend comment tourne cette affaire. On se tient au courant.
Winter raccrocha. Bergenhem était déjà debout.
Winter se leva à son tour.
– Les mêmes munitions. Mais tu as dû
entendre.
L’inspecteur hocha la tête.
– Ce serait triste que tu nous quittes,
Lars.
Bergenhem tressaillit.
– J’ai vraiment commencé à y penser.
– Où voudrais-tu travailler ?
– Je… je quitterais la police.
– Qu’est-ce que tu envisages,
alors ?
– Je n’y ai pas encore réfléchi.
– Qu’est-ce que tu détestes le plus dans ce
métier ?
– C’est direct, comme question.
– Dis-moi quelque chose.
Le regard de Bergenhem glissa vers la fenêtre.
Le ciel était jaune vif au-dessus des toits. Puis il revint à
Winter.
– Les cadavres, répondit-il. Je ne veux
plus voir de morts. Ou de gens presque morts.
– Qu’est-ce que tu veux dire par presque
morts ?
– Eh bien… Parfois j’ai l’impression que
dans ce métier, on passe son temps au milieu de morts ou de morts
vivants. Un monde de… fantômes. La mort est partout présente. C’est
comme ça que je le ressens. Si ce n’est pas la mort, c’est… une
mort en sursis. Je ne peux pas t’expliquer.
– Je crois que je comprends.
– Et c’est ma vie, continua Bergenhem,
comme s’il n’avait pas entendu Winter. C’est ma vie, mais elle est
remplie de morts.
– J’ai déjà eu cette pensée.
– Toi, tu as pu te permettre de… faire une
pause, Erik.
– Tu pourrais le faire aussi.
– Je ne suis pas sûr que ça soit suffisant
dans mon cas.
– Essaie.
– Tu pourrais prendre la maison de ma mère
en Espagne.
– Tu plaisantes ?
– Non. Elle doit rentrer en Suède d’une
semaine à l’autre. Elle compte rester assez longtemps. La maison
est disponible.
– Tu veux te débarrasser de
moi ?
– À quoi tu me sers en ce
moment ?
Bergenhem garda le silence.
– Emmène ta famille : vous passez deux
trois semaines là-bas et tu vois comment tu te sens une fois de
retour.
– Je n’ai pas les moyens.
– Bien sûr que si.
– Tu rends les choses si simples.
– Ce n’est pas mieux comme ça ?
– Ada ne peut pas manquer l’école.
– Tu lui donneras des leçons à la
maison.
– Tu rigoles ?
– Absolument pas.
– Martina a son boulot.
– Tu souhaites vraiment qu’elle vous
accompagne ?
Bergenhem tressaillit de nouveau. Il était très
perturbé, apparemment. Les choses n’étaient pas si simples. Jamais.
On pouvait faire semblant, essayer de simplifier. La simplicité
avait du bon quand ce n’était pas du simplisme. Quand c’était juste
une façon d’éclaircir la situation.
Ce n’était jamais simple, jamais facile.
Personne ne prétendait le contraire d’ailleurs. Elle ne s’y était
jamais attendue. Elle n’avait fait que ce qui lui paraissait juste.
Comme d’être avec lui. De vivre avec lui.
Ce n’était plus le cas. Elle ignorait
pourquoi.
Et en même temps, tout cela paraissait faux. Ce
qu’elle ressentait était incompréhensible. Surtout maintenant.
Maintenant que Fredrik avait commencé à mûrir, en tant qu’homme.
Ses frustrations et ses… cauchemars avaient commencé à s’effacer,
laissant place à quelque chose d’autre.
C’est alors qu’elle s’était sentie incertaine.
Qu’elle avait éprouvé une sorte d’insatisfaction.
Comme si elle avait subitement désiré retrouver
sa solitude. Vivre seule. Aller se coucher toute seule, se
réveiller seule.
Mon Dieu, comment cela
fonctionnerait-il au boulot ? Est-ce que ça pourrait
fonctionner tout court ?
Mais ce n’était pas le plus important.
Le plus important, c’était eux-mêmes. Fredrik et
elle. Hannes et Magda. Une famille. Cette pensée la fit pleurer. Et
voici qu’il entrait dans la cuisine.
– Qu’est-ce qu’il y a, Aneta ?
Elle ne répondit pas. Elle se tourna vers la
fenêtre. Dehors, c’était le reste du monde. Tout ce qui comptait
dans sa vie se trouvait dans cette cuisine, elle le sentait
maintenant.
– Aneta ?
Elle se tourna vers lui.
– Qu’y a-t-il, Aneta ?
– Je… je ne sais pas, Fredrik.
– Il y a quelque chose, je le vois bien. Je
ne suis pas si bête.
Elle garda le silence.
– C’est un truc que j’ai dit, ou
fait ?
Elle secoua la tête.
– Non ? Mais tu dois me dire ce que
c’est, Aneta. On ne peut pas continuer comme ça.
– Non.
– Qu’est-ce qu’on va faire ?
– Je ne sais pas, Fredrik.
– Tu ne veux plus de moi ?
Elle garda le silence.
– Tu ne veux plus de moi ?
– Ce… ce n’est pas si simple.
– Ah bon ? Tu trouves ça trop
simple ? Comme si on ne pouvait pas se lasser de
quelqu’un !
– Tais-toi maintenant, Fredrik.
– Non. OK. Je dis plus rien. Mais il va
falloir que toi, tu me dises quelque chose, Aneta.
– Ce… je ne sais pas. Je dois… réfléchir un
peu.
Elle sentait l’indigence de cette expression, si
banale. Elle devinait ce qu’il pouvait ressentir à ces mots qui le
mettaient en attente de… jugement. Voilà, j’ai fini de réfléchir,
ce sera comme ci ou comme ça.
– Réfléchir à quoi ?
– À ce dont on est en train de
parler.
– De quoi on parle ?
Elle s’abstint de répondre.
– On devrait mettre ça
au clair, déclara Halders. Ce serait plus agréable pour moi. Et
peut-être aussi pour toi.
– Je… je ne sais pas vraiment de quoi il
s’agit, Fredrik.
– Ah bon.
– Je ne peux pas te dire ça comme ça.
– Tu veux que moi je te le dise,
Aneta ?
– Me dire quoi ?
– Tu vas me quitter. Ce vieux bougon de
Fredrik, ses gamins, ras le bol !
– Je ne dirais jamais ça. Ce n’est pas
vrai.
Elle se remit à pleurer.
– Ah bon ! C’est pas ça ?
reprit-il. Tu ne crois pas que ça y ressemble ?
Il avait baissé la voix. Il s’était assis sur
une chaise.
– Tu auras besoin de combien de temps pour
réfléchir ?