43.
Un murmure lui parvenait du séjour où Berit
Richardsson attendait avec ses enfants, Tova et Erik. Le garçonnet
lui avait lancé un regard au passage.
Ringmar et lui attendaient dans la cuisine. Dans
quelques minutes, une patrouille de la brigade criminelle viendrait
la chercher. Les services sociaux s’occuperaient des enfants. Il
faisait encore nuit, mais ce serait bientôt l’aurore. Quelqu’un
pleurait à côté.
– Tu viens, bordel ? fit
Ringmar.
Il aperçut les phares au-dehors. Il se
leva.
Winter avait coupé le moteur. Ils restaient
silencieux, sur le parking du commissariat. Un bus passait dans la
rue de Scanie. Le premier ou le dernier de la nuit.
Le commissaire pointa la tête vers une place à
dix mètres de là :
– C’est celle de Lars.
Ringmar ne répondit pas.
– Si elle est occupée, il fait un tour
avant de revenir. Il doit être superstitieux, je suppose,
continua-t-il.
– Je suis content que tu ne parles pas de
lui au passé.
– Il n’y a pas de passé. Le seul temps qui
compte, c’est le présent. (Il regarda Ringmar.) J’y vais.
– Où ?
– Sur l’île.
– On a déjà tout fouillé sur Brännö, Erik.
On a interrogé tout le monde. Et on a vérifié chaque maison.
– Je sais. Mais j’ai besoin de réfléchir.
Là-bas. C’est là-bas que tout a commencé. Il faut que j’y
retourne.
– Tu veux que je t’accompagne ?
Ringmar bâilla.
– Pardon.
– Rentre te coucher deux trois heures,
Bertil.
– Tu n’es pas fatigué, Erik ?
– Non.
Mais il avait besoin de sentir le vent marin sur
son visage. Il fut servi sur le détroit de Källö. Les embruns lui
fouettaient les joues. Il avait un goût de sel dans la bouche, qui
lui ôtait celui du café offert par le capitaine du bateau de la
Surveillance côtière, un café bien fort tout juste sorti du
thermos. Winter sentait ses yeux se clarifier sous l’effet du vent.
Peut-être agirait-il aussi sur ses pensées. Un ciel de nuit
recouvrait toujours l’archipel, mais le petit matin n’était plus
très loin.
Au moment où il mettait le pied sur
l’embarcadère de Brännö, son téléphone mobile se mit à
sonner.
– J’ai appris que t’étais parti pour l’île,
fit Halders.
– Je viens de débarquer.
– J’ai appelé Bertil. J’étais réveillé. En
fait, j’ai pratiquement pas dormi. Il m’a tout dit.
Winter remontait la rue depuis l’embarcadère. Il
entendait encore le grondement des vagues.
– Quand on était là-bas, hier, je me suis
fait une balade, continuait Halders. Ce… ce n’est rien, mais quand
même. Quand j’ai appris que tu partais là-bas… il y a une sorte de
ruelle qui grimpe le long de l’escarpement, au-dessus d’Husvik. La
Source aux Vœux.
– Je sais, répondit Winter. J’y suis
presque arrivé.
– OK, j’ai fait l’ascension because le
panorama. T’as une mare au sommet. Et j’ai aperçu une remise pas
loin de la mare. Une cabane. C’était sûrement le soleil qui se
reflétait dessus, mais j’ai eu l’impression qu’une fenêtre avait
bougé.
– Une fenêtre avait bougé ?
– Je suis sûr que c’était le soleil. Je
suis allé voir la remise, et toutes les fenêtres étaient fermées.
La porte idem. Il n’y avait personne. J’ai regardé à
l’intérieur.
– Je crois me rappeler avoir lu sur cet
endroit dans le dossier, répondit Winter. On l’a inspecté.
Winter avait obliqué dans la ruelle de la Source
aux Vœux :
– Je vais y jeter un coup d’œil.
– C’était juste comme ça. Si tu veux, je
peux te rejoindre.
– Je fais simplement un petit tour,
histoire de réfléchir, répondit le commissaire.
– Ouais, dans ce cas, t’as pas besoin de
moi.
– Le bateau revient me chercher dans une
demi-heure.
– À bientôt, Erik. Moi, je vais pister
Lars.
– Essaie d’attraper le Tigre par la même
occasion.
– Tu peux compter sur moi, bordel.
Salut.
Winter rangea son portable dans la poche de son
manteau. Il se trouvait maintenant au pied de l’escarpement. Le
chemin qui montait là-haut était envahi de buissons, de fougères et
d’arbres. Il commença à grimper à travers cette jungle. À
mi-chemin, il vit la surface noire de la mare, mais c’était parce
qu’il savait qu’elle se trouvait là. L’eau luisait sous un dernier
rayon de lune. Winter leva les yeux. La lune était maintenant bien
pâle. Il crut voir des étoiles.
De là-haut, il voyait la mer, les îles et les
îlots. Il était sur l’un des points culminants de l’archipel. Il
voyait tout. La mer au-dessous de lui avait des reflets d’argent,
les îles étaient plaquées d’argent. Terre et mer se confondaient.
Il se retourna pour regarder en contrebas. La mare était comme une
gorge creusée dans la roche. Un œil noir. Elle était entourée de la
même jungle qu’il avait traversée pour parvenir jusque-là. On
aurait dit qu’elle n’était accessible que par les airs. Personne
n’avait dû pouvoir s’en approcher ces dernières décennies. Il ne
distinguait pas de chemin conduisant à l’eau.
En redescendant, il glissa sur une racine
apparente et dut prendre appui sur sa main pour ne pas s’étaler par
terre. Il s’était fait mal au poignet. Bon sang ! Tout le
poids du corps sur la main ! Il se releva lentement et se
massa le poignet. La douleur s’apaisa. Le ciel commençait à
s’éclaircir. Winter continua prudemment dans la dernière portion
qui menait à la clairière au-dessus de la Source aux Vœux. Il prit
à gauche et traversa un nouveau massif d’arbustes. Il restait
quarante à cinquante mètres avant la maison. Remise ou baraque, une
cabane. Elle était noire, tout autant que la mare et la jungle. Il
palpa la porte. Fermée. À qui appartenait cette merde ? Il
avait dû lire ça dans le rapport d’enquête
préliminaire. Elle avait peut-être été habitée, mais pour l’heure,
elle ressemblait plutôt à une cabane à outils. Il se dirigea vers
l’une des deux fenêtres de devant et appuya le visage contre la
vitre. Elle était fraîche contre son front. Il fut tenté d’y
plaquer son poignet endolori. Ce dernier ne le faisait plus
souffrir que de loin en loin. Il n’était pas cassé, foulé sans
doute. Et puis, c’était sa main gauche, il lui restait la
droite.
À travers la pénombre qui régnait à l’intérieur,
il voyait se dessiner les contours des meubles, une chaise, une
table sans doute. Impossible de distinguer un détail. Sur la gauche
se détachait, noir sur noir, un rectangle un peu plus étroit que la
surface du plancher. En relief en bas, ce devaient être des pieds
de lit, à l’ancienne. Sur la droite, une fenêtre laissait pénétrer
la frêle lumière de l’aube qui se hâtait maintenant, comme si elle
avait fini par se décider. La nuit avait été longue. Sur le bateau,
le café l’avait ranimé, l’air de la mer aussi. Mais il ressentait
le contrecoup de cette nuit de veille, et de ces événements. Il
réprima en vain un énorme bâillement et se sentit tout bête, bouche
ouverte et le front collé à la vitre ; cette dernière était
toujours fraîche, une sensation agréable. De l’autre côté du
bâtiment, la fenêtre donnait sur la roche. On avait dû adosser la
baraque à la paroi pour la protéger du vent. Tout à coup, un rayon
de soleil se faufila le long du mur. Il brillait comme de l’or sur
de l’argent. Cette fenêtre-là donnait à l’est. Le soleil, qui se
levait de l’autre côté de l’escarpement, dévalait en même temps la
paroi rocheuse. Winter pouvait suivre le parcours du rayon jusqu’à
la fenêtre qu’il traversait ensuite : il rencontrait la chaise
dont il avait vu les contours auparavant, puis la table, c’en était
bien une. Le petit faisceau de lumière se déplaçait lentement sur
le sol tandis que le soleil se levait loin, bien loin à l’est pour
éclairer cet endroit situé aux confins ouest de la Suède.
Le plancher à l’intérieur prenait une teinte
d’ambre jaune. Le rayon frappa l’un des pieds de lit, en forme de
coupole à bulbe. Puis ce fut l’autre pied de lit. Le bas du lit
était maintenant visible. Puis ce fut la partie supérieure.
Un homme était allongé sur le lit.
Winter sursauta. Il se cogna le front contre la
vitre. La douleur au poignet ressurgit immédiatement. La vitre ne
s’était pas cassée. Il avait toujours la figure plaquée
dessus.
L’homme le regardait droit dans les yeux.
Il était allongé dans la position d’un mort, les
bras le long du corps, mais il n’était pas mort. Il clignait des
yeux, mais son regard fixait le commissaire.
Il a dû rester tout ce temps à m’observer. Il
espérait que je finirais par partir. Et je serais parti sans ce
lever de soleil. Il devrait pourtant le savoir, cet automne, on est
gâtés avec la météo.
Richardsson ne bougeait toujours pas. Winter ne
distinguait ni corde ni chaînes. Il leva sa main blessée et lui fit
signe à travers la fenêtre. La porte. Lève-toi et ouvre la porte.
Winter tenait déjà son Sigsauer dans la main droite. Richardsson
remua la tête, regarda sur le côté : vers la porte. Il se
redressa et s’assit sur le lit. Puis il se leva, tremblant sur ses
jambes, avant de retrouver l’équilibre. Il regarda de nouveau
Winter qui pointait du doigt la porte. Il hocha la tête puis il
disparut de son champ de vision. Tout était maintenant éclairé. En
décollant le front de la vitre, Winter put constater que le jour
était là. C’était un tout autre endroit désormais.
Il se détacha de la fenêtre. Il franchit les
trois quatre mètres qui le séparaient de la porte. Le pêne crissa
dans la gâche. Winter s’était plaqué contre le mur, le pistolet au
poing. La porte s’entrouvrit. Derrière, il entendait bouger
Richardsson.
– Pas un geste !
L’autre s’immobilisa.
– Avancez-vous !
Richardsson fit un pas et Winter le vit
apparaître sur le perron.
Il se planta devant lui. L’homme n’était pas
armé. Mal habillé, d’une chemise sale, d’un pantalon en toile et de
grosses chaussettes en laine, il avait une barbe de plusieurs jours
et les cheveux en bataille. Plus rien à voir avec le politicien
soigné.
– Que faites-vous ici ? lui demanda le
commissaire.
– Per… permettez-moi de vous retourner la
question.
Winter lui décocha un direct du gauche dans
l’abdomen. La douleur lui remonta dans le bras jusqu’au coude. Il
avait oublié. Richardsson tituba et retomba lourdement sur le
plancher.
– Salaud ! cria Winter.
Il se tenait maintenant
au-dessus de lui et tâchait de contenir sa douleur à l’avant-bras
en le pressant de sa main droite, qui tenait le pistolet.
Richardsson fit mine de se protéger en levant le bras.
– Je ne vais pas vous frapper davantage.
Que faites-vous ici ?
– Je… je suis ici.
– Que faites-vous donc ?
– Rien. Je ne fais rien.
– Comment êtes-vous arrivé ?
– Par bateau.
Richardsson paraissait effrayé. Il ne faisait
pas le malin : on ne pouvait accéder à l’île autrement qu’en
bateau.
– Quand êtes-vous arrivé ?
– C’était… quel jour sommes-nous…
– Dimanche. Dimanche matin.
– Hier. Tôt dans la journée d’hier. Ou
alors, très tard dans la nuit de vendredi…
– Levez-vous, lui dit Winter.
Il fit deux pas en arrière. Richardsson se
redressa prudemment.
– Qui vous a emmené ici ?
– Je… je suis venu tout seul.
– Bordel !
Winter avança d’un pas. Il avait toujours le
pistolet en main. L’homme paraissait attendre un nouveau coup, ou
même pire. Ce doit être l’expression de mon visage. Je ne me
reconnaîtrais sans doute pas moi-même si je me voyais dans la glace
en ce moment. Mais lui me reconnaît. Inutile de me présenter.
– Qui vous a caché ici ?
Tiger ?
Richardsson ne répondit pas, mais Winter lut la
réponse dans son regard.
– Si c’est lui, vous avez intérêt à me le
dire. C’est la dernière personne sur qui vous pouvez compter. Il a
déjà tué Roger Edwards.
Richardsson tressaillit. Il ne chercha pas à le
dissimuler. Au-delà d’une certaine limite, on ne peut plus mentir.
Il l’avait déjà dépassée depuis longtemps. Du moins depuis qu’il
était arrivé sur l’île. Chez lui. Plus difficile de mentir une fois
rentré chez soi.
– C’est la vérité, reprit Winter. Il l’a
abattu.
– Comment… comment le
savez-vous ?
– Vous… vous l’avez attrapé ?
Tiger ?
– Non. Mais il a cinquante policiers aux
trousses. Et vous pouvez aussi nous aider.
Richardsson jeta un œil sur le tabouret près du
lit. Un téléphone portable était posé dessus.
– Il est… il a dit qu’il allait
venir.
– Qui ? Tiger ?
Richardsson hocha la tête.
– Quand ça ?
– Comment ?
– Quand doit-il arriver ?
– Bientôt… (Richardsson consulta sa
montre.) Ce matin.
– Quand vous a-t-il appelé ?
– Cette nuit.
– Pourquoi doit-il venir ?
– Il devait m’aider à partir.
– C’est juste, répondit Winter. Il va vous
faire faire le grand voyage. Vous assassiner. (Il avança d’un pas.)
Il vient vous tuer.
– Qu’en… qu’en savez-vous ? Non, ce
n’est…
– Il avait donné l’ordre à Edwards de vous
assassiner.
– Comment ?
Richardsson parut voir un fantôme. Il fixait
Winter des yeux mais il voyait quelqu’un d’autre.
– Edwards n’était pas capable de vous tuer.
Pas plus que de tuer Sellberg.
– Mais qui… qui l’a fait ?
– Vous ne le savez pas, Jan ?
– Non.
– Pourquoi vous êtes-vous enfui ?
Pourquoi avez-vous disparu ?
– Il m’a dit que c’était ce que j’avais de
mieux à faire. Tiger.
– Mon Dieu, c’est incroyable que vous soyez
encore en vie.
Richardsson baissa les yeux au sol.
– Il y a une autre personne disparue,
continua Winter. Mon collègue Lars Bergenhem. Inspecteur de la
brigade criminelle. Vous l’avez déjà rencontré. Lars Bergenhem. Où
est-il ?
– Je ne sais pas.
(Richardsson avait toujours les yeux rivés au sol. Il ne paraissait
plus vraiment écouter.) Je ne sais pas.
– Est-ce que Tiger vous a parlé de
lui ?
– Non.
– Où est Bergenhem ?
– Je ne sais pas !
Richardsson releva les yeux. Il écoutait.
Tremblant de tous ses membres.
– Où étiez-vous jusque-là ?
– Un peu partout… J’étais sur une autre
île.
– C’est Tiger qui vous a aidé ?
– Non… oui… il m’a retrouvé. Il m’a
contacté.
– Comment ?
Richardsson garda le silence.
– Pourquoi devait-il vous
aider ?
Même silence.
– Vous ne comprenez pas qu’il avait une
raison de vous installer précisément sur cette île ?
Richardsson secoua la tête.
– Quelqu’un d’autre est-il au courant de
votre présence ? demanda Winter.
– Quelqu’un d’autre ? Qui cela
pourrait-il être ?
– Un vieil ami.
– Je n’ai pas d’amis sur l’île.
Un grincement derrière Winter. Il se retourna.
La porte battait au vent. C’était le matin maintenant, le matin
d’un jour nouveau. Une végétation épaisse grimpait vers le sommet
de l’escarpement. Toujours verdoyante. Un bateau se faisait
entendre. Le moteur devait être assez puissant.
– Quand est-ce que Tiger devait
venir ?
– Comme je vous l’ai dit… maintenant, ce
matin.
– À quelle heure ?
– Je ne sais pas.
– Il devait venir seul ?
– Aucune idée.
Richardsson fit un pas en avant. Son regard
croisa celui de Winter.
– Où est ma femme ? Que lui est-il
arrivé ?
– Pourquoi cette question ?
Winter soutint le regard de Richardsson, un
regard fiévreux. Il avait peut-être de la fièvre. Il avait l’air
malade, le visage blême, aussi sombre que
cette pièce dans laquelle il avait couché.
– Pourquoi me posez-vous cette question
maintenant ?
Richardsson regarda le téléphone posé sur le
tabouret.
– Le crédit est épuisé, expliqua-t-il. Je
ne peux pas appeler.
– Votre femme a-t-elle appelé ici ?
Berit.
– Non.
– Pourquoi ?
– Elle… ne savait pas. (Richardsson le
fixait toujours.) C’est vrai. Elle n’est pas au courant. Je ne
voulais pas lui dire. Et Tiger… Tiger…
– Quoi, Tiger ?
– Il a… Mon Dieu ! Lui a-t-il fait du
mal ? Et les enfants ?
C’était comme si Richardsson retrouvait enfin
l’usage de sa tête, après le premier choc. Comme s’il reprenait
conscience.
– Non, répondit Winter. Elle est désormais
hors d’atteinte pour lui.
– Comment le savez-vous ?
– Elle est chez nous.
– Chez vous ? Pourquoi ?
Winter s’abstint de répondre. Richardsson
attendait une réponse. Il s’était rapproché, son corps dégageait
une odeur aigre après ces quelques jours sans toilette.
– Vous ne le savez pas ?
– Savoir quoi ? De quoi
parlez-vous ?
Il n’était pas au courant, c’était évident. Il
ignorait encore beaucoup de choses. Mais il en savait, il en avait
beaucoup fait aussi. Ce dont il s’était rendu coupable expliquait
la situation d’aujourd’hui. Une faute majeure. Il n’y avait plus de
passé : il était enclos dans ce moment présent et Winter ne
comptait pas le lâcher. Tout se ramenait à ce matin-ci, le dernier
matin.
– Savoir quoi ? répéta Richardsson en
élevant le ton.
– Votre femme a tué Sellberg.
– Non ! (Richardsson était livide.)
Non ! Ce n’est pas… ce n’est pas vrai !
– Je ne vous mentirais pas sur un sujet
pareil.
– Mon Dieu ! Mon Dieu !
Richardsson était tombé à genoux. Il se tournait
maintenant vers Dieu. Mais Dieu ne l’écoutait pas. Il était trop
tard. Depuis toujours peut-être. Winter savait que Richardsson
avait rejoint une communauté religieuse après avoir quitté l’île, des années auparavant. Avait-il la
foi ? Sans doute pas plus que l’essentiel des gens qui
l’entouraient.
– Mon Dieu ! Mon Dieu !
criait-il, faisant résonner ces mots dans la petite pièce. Mon
Dieu !
– Elle l’a fait à la place de son frère,
continua Winter. Il n’en était pas capable. C’est elle qui l’a
fait. (Winter s’accroupit, en s’appuyant au sol sur sa main
blessée. Des élancements jusqu’à l’épaule maintenant. La main
toujours au sol, il tâcha de capturer le regard du politicien.)
Elle l’a fait pour Roger. Et pour vous.
Richardsson garda le silence.
– Pour vous, Richardsson ! Elle a tué
un homme à cause de vous.
Richardsson releva les yeux de ses mains nouées.
Il était toujours sur les genoux.
– C’est de votre faute, insista Winter. Quelle faute avez-vous
commise, Jan ? À quoi ressemble-t-elle ? Votre faute. La
faute de Roger. Celle de Sellberg.
– Non, non. (On aurait dit un gémissement.
Richardsson se tordait les mains comme s’il voulait les sceller
pour toujours, dans une prière éternelle à son Dieu.) Non, non,
non !
– Racontez-moi. Jan, racontez-moi tout. Ici
et maintenant ! Qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous fait à
Beatrice Kolland ?
– Non !
C’était un hurlement. Winter sentit passer la
rafale. Tout à coup, Richardsson lui agrippa les épaules. Il avait
enfin détaché ses mains l’une de l’autre. La Source aux Vœux, on y
est, songea Winter. Ici et maintenant. Il tâcha de se dégager, mais
les doigts de Richardsson s’enfonçaient dans sa chair. Il avait
horriblement mal à l’épaule gauche.
– Non !
Sur le tabouret, l’appareil fit entendre un
signal perçant. On aurait dit un coup de feu.